Apprendre avant d’entreprendre

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Acteur atypique du marché belge des maisons de repos, Vivalto Home est un opérateur mixte qui possède les murs et assume la totale responsabilité opérationnelle de ses établissements. A sa tête, Benoît della Faille qui a le goût d’entreprendre dans le sang.

Face à Orpea ou Armonea, Vivalto Home (créée en 2009) est un petit acteur du monde belge de la maison de repos et de soins (MRS). Pas que le terme soit péjoratif. En sept années, le groupe a acquis et rénové 21 maisons de repos en Belgique, principalement dans la partie francophone du pays. Une belle expansion donc qui va se poursuivre puisque d’ici à la fin 2017, Vivalto Home comptera 25 établissements pour un portefeuille global de 2.200 lits. Mais contrairement à ses concurrents, le groupe est un opérateur mixte. Il achète les murs des maisons de repos et en assume la gestion. Dans le même temps, il propose des activités de soins puisqu’il prend l’entière responsabilité opérationnelle de ces mêmes maisons. A la tête du groupe et à la base de cette idée : Benoît della Faille. Issu d’une famille belge bien connue dont le patrimoine pictural est exposé au Musée des arts anciens, ce quinquagénaire déborde d’idées.

” Vivalto découle d’un constat posé avec des amis en 2008, explique Benoît della Faille. Vu le contexte financier, nous avons réfléchi à des investissements résistant à l’épreuve de la récession et de l’inflation. L’immobilier paraissait évident mais tant la logistique que le bureau ou le résidentiel sont liés au contexte économique. Nous avons donc songé aux maisons de repos. L’Etat les finance, de façon directe ou indirecte, à 100 %. C’est un secteur acyclique. Deux risques cependant : l’exploitant choisi peut faire faillite et le politique peut décider de ne plus financer le secteur. Dans ce contexte, nous avons décidé de créer ce groupe, opérateur mixte qui gère tant les murs que l’opérationnel à 100 %. Notre motivation, outre la création de valeur pour notre société, est de faire son métier de la façon la plus éthique possible. Nous gérons la fin de vie et ce n’est pas anodin. Je suis très attaché à la qualité de vie de mes employés et des résidents. ”

” Comme dans ses autres entreprises, Benoît a travaillé dur pour comprendre un milieu qu’il ne connaissait pas, confie Gérard Philippson, spécialiste avec la Sopedi dans la structuration de financement à long terme et consultant pour Vivalto. C’est un autodidacte qui est devenu un véritable spécialiste du secteur. Il a écouté, été sceptique par moments, et a poussé son raisonnement le plus loin possible. Benoît n’a pas son pareil pour travailler les points forts et éliminer les faibles l’un après l’autre pour tendre vers l’excellence. Ce qui me frappe chez lui, c’est son intelligence émotionnelle. Il sent et analyse très vite. En même temps, en tant qu’entrepreneur, je pense qu’il a besoin d’une certaine opposition de la part d’experts afin de tester ses idées. ”

Vélos de trial

A 18 ans, Benoît della Faille avait déjà soif d’entreprendre. Sa première expérience entrepreneuriale concerne des vélos de trial. ” Nous étions en 1978, explique-t-il. Avec 10.000 francs, je suis devenu actionnaire minoritaire dans la société d’un copain. Un jour par semaine et pendant les vacances, je mettais deux-trois vélos dans ma Polo et je faisais le tour des magasins pour essayer de les vendre. ” Cette première expérience, somme toute mineure, va lui apprendre une belle leçon qu’il met encore en pratique aujourd’hui. ” J’ai compris que les relations entre associés, tout feu tout flamme au début, peuvent vite se dégrader face aux difficultés. Deux des amis actionnaires de cette société de vélos se sont disputés. Croyez-moi, cela m’a marqué. Durant ma carrière, j’ai fait du business avec mes amis mais toujours sur la base d’un pacte d’actionnaires. ”

Benoît della Faille entame parallèlement un cursus à l’Ichec. Mais il détestait étudier. ” Je suis quelqu’un de pratique mais il fallait bien obtenir un papier. J’y ai réussi un graduat puis je suis allé à l’IAG à Louvain-la-Neuve. Busé en informatique – ce qui est comique vu le succès que j’aurai dans ce domaine par la suite -, je devais doubler ma troisième année. Là, j’ai dit stop, je voulais entreprendre. ”

Mais son père ne l’entendait pas de cette oreille. ” C’est bien de vouloir entreprendre, m’a-t-il dit, mais d’abord, tu dois apprendre un métier. Il voulait que j’aille travailler dans une entreprise, qu’un patron m’engage, me fasse confiance, me confie des responsabilités et me demande des comptes. Je ne le remercierai jamais assez pour ce conseil. ”

Un conseil qui, en fin de compte, vient un peu à contre-courant des pratiques actuelles où des jeunes quasi sans expérience démarrent une start-up. ” Je pense sincèrement que c’est la raison qui fait échouer sept ou huit start-up sur 10. Cela se passerait mieux si ces jeunes managers avaient un peu plus de connaissances des mécaniques du business. La plupart des start-up sont bien positionnées mais mal capitalisées. Ils ne comprennent pas la nécessité de la solidité d’un bilan pour réussir. Quand je conseille un jeune, je lui parle de ma recette ‘apprendre avant d’entreprendre’. Elle m’a bien réussi. ”

La chance Capgemini

Dans sa quête d’un métier, Benoît della Faille va taper dans l’oeil d’un manager de Capgemini. Nous sommes au milieu des années 1980 et les services informatiques explosent en Belgique. ” Nous nous sommes bien amusés. Le manager était très paternaliste et m’a inculqué toutes les bases du business. Capgemini avait quelque chose à apporter à des jeunes comme moi et pas uniquement à faire suer le burnous. Cela a influencé ma façon de gérer plus tard mes propres collaborateurs. ”

Ces années chez Capgemini seront déterminantes pour l’évolution de l’entrepreneur della Faille. Notamment dans sa gestion quotidienne de ses sociétés. ” Chez Capgemini, j’ai appris la discipline des affaires. Leur modèle était très structuré. Si vous l’intégrez bien, cela dirige toute votre existence de manager. Leurs recettes, tellement claires et efficaces, sont applicables quasi partout. L’autre grande leçon, je la tire d’une phrase de Jacques Maisonrouge, un patron français d’IBM : la vente est la meilleure école de management moderne. C’est, en effet, l’art d’expliquer et de convaincre… sans ascendant hiérarchique ! ”

Par la suite, Benoît della Faille continuera sur la voie de l’informatique. Après un bref passage chez Computer Sciences où, selon ses dires, il a vu tout ce qu’il ne fallait pas faire, il lance Onsite en 1994. Une société spécialisée dans les services et conseils en informatique et dans la mise en place de grands réseaux pour administrations et entreprises. Onsite profitera entre autres de la folie autour du bug de l’an 2000 pour développer des activités très rentables autour de SAP. Son ami Patrick Lhoest, aujourd’hui managing partner d’Arrowstone, société spécialisée dans l’interim management, l’accompagnait dans cette première entreprise. ” Il s’agissait d’une filiale d’une boîte française tombée en faillite. Benoît l’a rachetée via une vente aux enchères par fax ! Et l’a transformée en une société très lucrative qui sera finalement rachetée par un grand groupe français. J’ai été son bras droit jusqu’à la vente. Soit pendant sept ou huit ans. Benoît aime les business qu’il comprend. Ce n’est pas un meneur d’hommes à proprement parler. Il est davantage un inspirateur. Il a 1.000 idées à la minute mais les mettre en musique l’amuse moins, je pense. J’ai plus les pieds sur terre et nous nous complétions bien. Benoît est un patron exigeant et qui pousse ses employés. Il laisse beaucoup de liberté mais ses idées induisent parfois des changements de cap qu’il faut pouvoir comprendre. Il faut être intelligent pour bosser avec lui. Mais c’est son côté humain qui me frappe le plus. Vivalto est positionné dans le haut de gamme en termes de services. C’est une société gérée très humainement et c’est un facteur qui est fondamental pour lui. ”

Au fait, cela aide-t-il de s’appeler della Faille quand on lance un business ? ” Cela aide dans le sens où appartenir à une famille qui se maintient depuis des générations permet au banquier de se dire que vous avez baigné dans une bonne atmosphère, conclut Benoît della Faille. Mon papa m’a coaché mais ne m’a jamais signé de chèque, pas plus qu’il ne s’est porté garant. Faire un chèque est un mauvais service à rendre à ses enfants qui débutent car cela ne permet pas de percevoir la difficulté d’avoir de l’argent… ”

Xavier Beghin

“Chez Capgemini, j’ai appris la discipline des affaires. Leur modèle était très structuré. Si vous l’intégrez bien, cela dirige toute votre existence de manager.”

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