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Pourquoi le retour des mégafusions n’est pas mégaréjouissant

Après un gros mois de mise en oeuvre, l’assouplissement monétaire décidé par la Banque centrale européenne (BCE) montre ses premiers effets dans l’économie réelle. Car si trois annonces de méga-fusions – Royal Dutch Shell et BG dans le secteur de l’énergie (un deal à 64 milliards d’euros), Mylan et Perrigo dans le pharmaceutique (24,5 milliards d’euros) et FedEx et TNT dans celui de la logistique (4,4 milliards d’euros) – sont tombées la semaine dernière, ce n’est pas par hasard.

La création monétaire en Europe a d’abord eu comme effet de dévaluer l’euro face au dollar, avec pour résultat une quasi- parité que l’on n’avait plus connue depuis 12 ans. Résultat : s’il devient difficile pour les entreprises américaines d’exporter leurs biens et services en Europe, les rachats d’entreprises européennes font aujourd’hui office de bonnes affaires. Pour FedEx, c’est certainement cette logique qui a prévalu.

Les taux d’intérêt extrêmement bas pratiqués tant aux Etats-Unis qu’en Europe et l’abondance monétaire ambiante a pour seconde conséquence de rendre l’argent peu cher : on s’endette facilement, éventuellement gratuitement – c’est le cas de GDF Suez qui a émis début mars un emprunt obligataire à 0 % sur deux ans – voire même en gagnant de l’argent, comme l’a expérimenté Nestlé début février grâce à un emprunt à – 0,08 % sur quatre ans ! La plupart des fusions annoncées dernièrement se feront donc vraisemblablement, en partie du moins, grâce à l’émission de dette nouvelle.

Ajoutez à cela la dégringolade du prix du pétrole – un phénomène certes tout à fait indépendant de la BCE, mais qui a fait chuter le cours de Bourse de certaines entreprises du secteur, devenues des proies d’autant plus appétissantes – et vous avez là un cocktail gagnant pour booster le marché des fusions et acquisitions. A ce rythme, 2015 pourrait même être la deuxième année la plus porteuse de l’histoire !

Pourquoi le retour des mégafusions n’est pas mégaréjouissant

Doit-on voir dans cette apparente vitalité du marché un signe de la reprise tant attendue ? Certes, une forte activité de fusions et acquisitions est souvent associée à des périodes fastes sur le plan économique, comme ce fut le cas vers la fin des années 1990 et en 2006-2007. A cette époque, les entreprises pouvaient utiliser la forte valorisation de leurs actions comme un levier pour acheter. La bonne santé actuelle des Bourses n’est donc pas totalement étrangère au phénomène que l’on observe aujourd’hui (sauf en ce qui concerne le secteur de l’énergie pour les raisons évoquées plus haut).

Mais ne nous voilons pas la face: ces mouvements de consolidation ressemblent davantage à une lutte pour la croissance dans un contexte très incertain qu’à un vrai dynamisme économique. Une plus grande taille permet de mieux appréhender la volatilité des marchés, et vu la faiblesse des taux d’intérêt, il apparaît plus rentable – et surtout moins risqué – de grandir par acquisition plutôt que d’investir dans la recherche et le développement.

La manoeuvre créera peut-être de la valeur pour l’actionnaire, mais pour la société en général, rien n’est moins sûr… Car n’oublions pas que ces grands mariages visent généralement aussi les synergies, synonymes dans la plupart des cas de pertes d’emplois. Et puis, cette fièvre acheteuse profite indubitablement au secteur financier : les avocats et banques d’affaires sollicités dans ces dossiers se sucrent au passage, et les rumeurs concernant les prochains deals alimentent la spéculation. Bref, ce qui pouvait apparaître comme un joyeux frémissement économique n’est sans doute que le résultat d’un effet d’aubaine créé de toutes pièces par les banques centrales. Pour la méga-fête, il faudra attendre encore un peu.

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