Rolex jete un pont dans le monde artistique

Berlin, avril 2015. Olafur Eliasson, artiste contemporain dano-islandais, et Sammy Baloji, artiste congolais, respectivement Mentor et Protégé du programme de mentorat artistique de Rolex, ont rendez-vous pour parler art. En exclusivité pour la Belgique, la marque horlogère suisse a convié Trends Style à les rencontrer.

En réalité, ce tête-à-tête est loin d’être unique. Olafur Eliasson et Sammy Baloji doivent se voir très régulièrement, dans le cadre du Rolex Mentor and Protégé Arts Initiative. Un programme biennal qui lors de chacune de ses éditions apparie de grands maîtres et de jeunes artistes issus de sept disciplines différentes – les arts visuels, l’architecture, la danse, la littérature, le cinéma, le théâtre et la musique. Et qui donne donc lieu, depuis près de vingt ans, à des relations uniques d’échanges et de dialogue entre des artistes de différentes cultures et générations.

L’initiative permet aux plus jeunes – les Protégés – de pénétrer l’univers d’artistes parmi les plus reconnus au monde – les Mentors -, lesquels se montrent prêts à ouvrir à leur attention le champ de leurs idées, de leurs connaissances et de leurs expériences. La dimension internationale, la multiplicité des formes d’art et la diversité culturelle sont donc des éléments clés de ce programme qui, au fil du temps, a fait naître une remarquable communauté artistique internationale.

DU TEMPS ENSEMBLE

Entre le Mentor et son Protégé, prévaut une règle essentielle édictée par Rolex : passer du temps ensemble. Du temps en tête-à-tête. Concrètement, il s’agit d’un minimum de six semaines, laps de temps qui s’élargit souvent à des périodes beaucoup plus longues, le Protégé allant même parfois jusqu’à déménager pour travailler non loin de son Mentor.

Au fil du temps, le Rolex Mentor and Protégé Arts Initiative a fait naître une communauté artistique internationale.

Du temps, Olafur Eliasson et Sammy Baloji, appariés dans la catégorie ” arts visuels “, en ont déjà passé ensemble cette année, dans le studio berlinois du mentor scandinave.

Entre les deux hommes, ce n’est pas tant une relation de ” maître à élève ” qui s’est développée qu’un échange ouvert, émaillé de discussions tantôt abstraites, tantôt pragmatiques. Initialement, Olafur Eliasson avait, bien entendu, beaucoup à transmettre à Sammy Baloji. Mais, selon ses propres dires, il a aussi beaucoup à apprendre de lui. Raison pour laquelle il l’a nominé lors du processus de sélection mené par Rolex.

” Il ne peut y avoir de bonne relation que s’il existe un potentiel d’échange. Si elle est uniquement basée sur le fait que l’un donne et que l’autre prend, cela devient rapidement lassant. J’ai été particulièrement intéressé par le fait qu’il vit à Bruxelles et au Congo. Je me suis senti interpellé par la complexité de cette identité créée par deux cultures. Il pouvait donc m’en apprendre beaucoup sur un sujet dont je ne connaissais que très peu de choses. Et Rolex a mis tout en place pour créer une bonne relation de travail entre nous. “

Et qu’en est-il de Sammy Baloji ? ” J’apprécie la chance que j’ai de pouvoir bénéficier de ce programme, de ce temps passé en compagnie de ce grand artiste. Il s’agit d’une expérience importante dans ma vie – par rapport à mon futur, également. J’ai pu voir comment il travaille, découvrir toutes les étapes intermédiaires entre l’idée et les processus de création qui se succèdent au sein de son studio, et la synergie entre les départements qui, tous, apportent des contributions. “

IN THE KITCHEN

Professeur d’université, artiste mondialement reconnu, aujourd’hui à la tête d’un studio de plus de 80 personnes qui travaille selon trois pôles interactifs – artisanat, recherche et développement et architecture -, Olafur Eliasson est un ” malaxeur d’idées “. Son studio – une ancienne brasserie – se pose en immense laboratoire à projets, où la lumière s’invite sans modération. Et où les artistes apparaissent concentrés et… heureux. L’âme du lieu s’avère être la cuisine, THE kitchen, où tous se retrouvent de 13 heures à 13 heures 45 précises pour déguster une nourriture commune, savoureuse, colorée, vitaminée et exclusivement végétarienne. Car ici, le fait de s’alimenter est, comme tout le reste érigé en art…

Le studio d'Olafur Eliasson à Berlin.
Le studio d’Olafur Eliasson à Berlin.

Olafur Eliasson : ” La cuisine joue un rôle social important, de connexion – entre les artistes aussi. Ici, la nourriture a évolué dans une dimension de responsabilité créative autour de la question de ce que signifie réellement l’acte de cuisiner. Il y a deux ans, nous avons même réalisé un livre sur base des recettes du studio, des expériences culinaires, des concepts de couleur et de goût pour 80 personnes mangeant la même chose au même moment “. Une approche qui cadre parfaitement avec la démarche artistique globale d’Olafur Eliasson.

110 ANS DE HAUTES VALEURS

Par ce programme de mentorat artistique – qui revitalise en quelque sorte un concept très ancien remontant à l’Antiquité -, Rolex témoigne de sa volonté de soutenir des talents prometteurs dans l’affirmation de leur approche artistique personnelle.

Si la marque horlogère suisse a toujours été reconnue pour son esprit pionnier en matière d’innovations techniques – que l’on songe à l’emblématique Datejust, un chronomètre à calendrier qui imposa ses performances et son style dès son lancement en 1945, ou à la Rolex Oyster, première montre étanche au monde -, les valeurs de la maison en termes de qualité, de compétence et d’accomplissement individuel font partie intégrante de sa vision et de son approche. Depuis sa création, en 1905, par Hans Wilsdorf, Rolex n’a eu de cesse d’encourager les hommes et les femmes visionnaires, et ce dans des domaines très variés. C’est au coeur de cette philosophie que le Rolex Institute, dont dépend ce programme, a puisé ses fondements, y intégrant une longue tradition philanthropique et éducationnelle visant à saluer l’excellence et à apporter une contribution significative à la société.

HOW AND WHY

Comment et pourquoi ? Voilà qui pourrait résumer le fil rouge des échanges entre ces deux explorateurs des arts visuels. Olafur Eliasson : ” L’idée était d’arriver à décrypter comment Sammy exprime ce qu’il ressent, et pourquoi il le fait de cette manière. Cela prend du temps de comprendre “comment” travaille un artiste, mais la question du “pourquoi” en exige encore davantage “.

” Etre capable, dans la vie, de réaliser un travail artistique est un vrai cadeau. On ne devrait jamais perdre de vue que l’art est un fait très spécial, unique – les gens ont parfois tendance à croire qu’il s’agit d’une activité normale, voire courante ou banale. Une idée, une sensation apparaît à propos d’un sujet, on la met en mots, en forme, en action, en matière et, peu à peu surgit un travail d’artiste. C’est comme donner corps à un concept, en faire quelque chose de physique. Pour moi, cela s’apparente au luxe ultime. Et c’est de cette manière aussi que Sammy travaille, dans la trouvaille et l’expérimentation. L’art est toujours un processus de traduction. “

Olafur Eliasson : ” Je me suis senti interpellé par la complexité de cette identité créé par deux cultures.

Sammy Baloji : ” J’ai rencontré Olafur à un moment où je faisais de la photographie et de la vidéo, mais j’avais déjà en moi certaines idées en vue d’évoluer vers d’autres moyens d’expression. Nous n’avons évoqué ni l’une ni l’autre, préférant parler de ce qui pourrait être la manière pour moi de créer quelque chose de différent, d’inédit par rapport à ce que je faisais déjà. Nous avons plusieurs centres d’intérêt communs – les questions liées à l’identité et à la signification de l’espace public en tant qu’outil de parole, par exemple “.

PASSÉ BELGO-CONGOLAIS EN QUESTION

Mais comment la rencontre artistique s’est-elle traduite concrètement ? Sammy Baloji : ” J’ai montré à Olafur mes travaux autour des scarifications. Mais je cherchais à les mettre en lien avec l’urbanisme et l’édification des villes au Congo. J’ai donc réalisé des recherches sur la manière dont Lubumbashi avait été construite, et j’ai trouvé deux éléments d’archives qui m’ont conduit à entamer un travail que je considère comme important. Le premier est une photo datant de 1929 et montrant deux ouvriers noirs assis à côté d’une pile de mouches mortes. A l’arrière du cliché, la légende mentionne “campagne contre les mouches”. Chaque ouvrier devait ramener 50 mouches à la cantine pour recevoir sa ration quotidienne de nourriture “.

Mentor et Protégé : un tête-à-tête enrichissant.
Mentor et Protégé : un tête-à-tête enrichissant.

” Le second provient d’une publication dédiée à l’urbanisme et au principe de séparation entre les deux communautés – blanche et noire – à l’époque coloniale. L’espace physique de séparation – une sorte de cordon sanitaire – avait été fixé à 700 mètres environ, soit la longueur de vol d’un moustique susceptible de transmettre la malaria. J’ai réalisé des prises de vue aériennes de la ville et j’ai aussi retrouvé au musée national de Lubumbashi une collection de mouches et de moustiques de 1918 à 1951. Mon travail met en dialogue ces éléments d’archives avec le principe d’expansion urbanistique, de manière cartographique. Mais j’utilise aussi du cuivre sur lequel j’applique des scarifications comme éléments symboliques de la culture de mon pays. Mon objectif est d’ouvrir des questionnements. Je considère mon travail comme un moyen plutôt que comme une fin. “

Olafur Eliasson : ” Sammy est un artiste contemporain qui utilise un langage ayant trait à des questions de lieux, mais qui est accessible internationalement et auquel les gens extérieurs au Congo peuvent s’identifier. Il s’implique aussi dans la manière dont l’art est communiqué. Pour un artiste, il est important à la fois de créer, de montrer ce que l’on crée et de s’adresser à un public. Il s’agit de compétences polyphoniques “. Compétences qui, à n’en pas douter, s’épanouiront davantage encore durant cette année de mentorat artistique.

Texte: Nathalie Marchal

LE MENTOR & LE PROTÉGÉ

OLAFUR ELIASSON

De nationalité dano-islandaise, Olafur Eliasson réalise depuis le milieu des années 1990, des projets et expositions majeurs à travers le monde. Il a notamment représenté le Danemark à la 50e Biennale de Venise en 2003, et on lui doit, la même année l’installation The weather project au Tate Modern’s Turbine Hall à Londres. Parmi ses nombreuses interventions dans les espaces publics, on retiendra The New York City Waterfalls à Manhattan en 2008.

SAMMY BALOJI

Diplômé de l’Université de Lubumbashi (province du Katanga, République Démocratique du Congo), Sammy Baloji a créé plusieurs séries de travaux photographiques – dont Mémoire – largement exposées en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique. Co-fondateur de la Biennale de Lubumbashi, cet artiste en pleine évolution vers de nouveaux moyens d’expression, expose deux installations à la 56e Biennale de Venise (qui a lieu jusqu’au 22 novembre) – dans le Pavillon central et dans le Pavillon belge.

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