Philippe Rosinski: “Rassembler plusieurs cultures au sein d’une entreprise n’est pas suffisant”

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Avec “Le Coaching Interculturel”, le professeur Philippe Rosinski a écrit un manuel, un mode d’emploi pour affronter les difficultés et les opportunités auxquelles une entreprise multiculturelle doit aujourd’hui faire face. Trends Style a pu lui poser quelques questions.

Des nombreuses citations sur la diversité jusqu’à Marck Zuckerberg, qui s’est récemment exprimé sur l’importance des différentes cultures au sein de Facebook, le ‘multiculti’ peut aussi tabler sur l’enthousiasme à foison au sein du monde des entreprises. Mais bien que trouver et assembler des profils divers est une première étape essentielle, le réel travail ne commence que par la suite. Le professeur Philippe Rosinski a perçu l’urgence de ce potentiel et y a consacré son livre “Le Coaching Interculturel”. “Si vous regroupez simplement différentes cultures, sans autre intervention, vous pourriez justement créer davantage de discorde.”

Trends Style: Cela fait 25 ans que vous êtes coach dans le monde des entreprises. Pourquoi avez-vous ressenti la nécessité d’un livre sur le coaching interculturel ?

Rosinski: Sur le coaching, il y a déjà un nombre impressionnant de livres parus, mais ils partent en général du point de vue d’un même groupe de personnes, souvent des Américains. J’ai observé que, de ce fait, nous passions à côté d’un important point de vue multiculturel. Les stratégies qui fonctionnent dans un pays ne fonctionnent en effet pas partout dans le monde. Où une communication directe est appréciée dans beaucoup de lieux, elle est évitée dans d’autres. Mais il y a aussi différentes manières d’observer comment nous abordons notre organisation, nous gérons le pouvoir ou nous définissons notre identité. Il est important de ne pas perdre de vue cette nuance si vous désirez tisser des liens avec des personnes d’autres cultures.

Philippe Rosinski:
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Que retirons-nous d’une plus grande utilisation des différences culturelles dans la vie d’entreprise ?

Il est très facile de s’ankyloser dans une certaine manière de penser. En portant le regard sur d’autres cultures, vous remarquez qu’il existe bien d’autres possibilités d’aborder les problèmes. Ces informations, nous en avons à présent désespérément besoin pour nous armer contre le climat difficile dans lequel le monde des entreprises se trouve.

Mais le regroupement de cultures seul ne suffit pas, écrivez-vous.

Si vous regroupez simplement des personnes de différentes cultures, cela peut même avoir un effet contre-productif. Si on ne tient pas compte des cultures, les groupes peuvent en l’occurrence se heurter davantage. Vous devez par conséquent créer un climat propice à l’acceptation des différences culturelles. Ce n’est que si cela existe que vous pouvez réellement parler de synergie et contribuer à ce que l’output de l’ensemble de l’équipe soit supérieur. C’est pourquoi il est aussi tellement important que les entreprises prennent la peine de relier les différentes cultures entre elles.

En se tournant vers d’autres cultures, on constate qu’il existe beaucoup plus de possibilités pour aborder les problèmes

La culture n’est en outre pas nécessairement liée à la nationalité. Bien que vous puissiez bien sûr faire des généralisations, des différences existent aussi au sein des nationalités, ne le perdons pas de vue. Le fait qu’une personne vienne de Flandre n’est qu’une partie de sa culture. Parfois, la génération à laquelle elle appartient est par exemple beaucoup plus déterminante de la manière dont cette personne voit la vie. Toutes des différences derrière lesquelles tellement de potentiel se cache, si l’on osait seulement l’utiliser véritablement.

Sont-elles déjà nombreuses, les entreprises qui appliquent cette manière de fonctionner sur le lieu de travail ?

Parfois, des personnes proclament que nos cultures différentes sont un enrichissement pour notre monde. Ce n’est le cas que si vous essayez effectivement de les comprendre et que vous leur permettez ensuite de vous enrichir. J’observe que toujours plus d’entreprises recherchent activement ce potentiel, mais nous avons encore un long chemin à parcourir. La prise de conscience de la nécessité d’utiliser les différentes cultures que nous avons grandit cependant.”

Dans votre livre, vous abordez aussi la divergence entre un coach et un leader classique. Où se situe la différence ?

Un coach poursuit une sorte de philosophie au sein du leadership. Il ou elle croit dans le fait qu’une personne possède davantage de potentiel que ce qu’elle exprime ou montre à un certain moment. Les coaches sont donc axés sur la pleine utilisation de la potentialité d’une personne, tant dans l’intérêt de l’employé, de telle sorte que celui-ci retire plus de satisfaction du travail, que dans l’intérêt de l’entreprise.

Philippe Rosinski:
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Cette évolution vers le coaching est-elle propre à l’époque à laquelle nous vivons ?

Auparavant, les gens étaient diplômés et allaient ensuite travailler pour une société à laquelle ils restaient fidèles peut-être leur vie entière. Aujourd’hui, les gens choisissent eux-mêmes où ils aboutissent. Le rôle d’un coach consiste par conséquent aussi à accompagner la personne dans l’ensemble de ce processus, à mettre en lumière ses forces et ses faiblesses de telle sorte que la personne puisse trouver l’ensemble des éléments par elle-même. Cela ne doit également pas être limitatif. Certains dirigeants perçoivent parfois qu’une personne est compétente dans une matière, et cette personne est complètement dédiée à cette tâche. Nous oublions ainsi parfois que les personnes ont aussi d’autres potentialités.

Quel est le rôle de l’employé dans toute cette histoire autour du coaching interculturel ?

Eux aussi doivent adopter cette manière de travailler. Il ne faut pas partir du principe qu’un leader va générer l’ensemble de ce changement. Les employés doivent d’abord et avant tout se coacher eux-mêmes, car pour eux aussi, il y a beaucoup à y gagner. Si vous tenez davantage compte des différences culturelles et que vous apprenez de celles-ci, vous vous donnez aussi à vous-même les outils pour remodeler votre propre vie. Cela ne peut être que bénéfique.

Pour les coaches, cela leur coûte bien sûr beaucoup de temps de s’informer sur différentes cultures et de réagir ensuite en conséquence. Ce temps en vaut-il la peine ?

Être innovant et productif n’est plus un luxe aujourd’hui, c’est une nécessité. Les organisations ne peuvent plus se permettre de ne pas utiliser leur plein potentiel humain, et la diversité joue à cet égard un rôle clé. Si elles ne le font pas, quelqu’un d’autre le fera.

On pense souvent que cet accroissement de diversité est un élément du discours politiquement correct, et c’est parfois aussi le cas. Pourtant, il n’y a pas que la diversité visible qui soit importante pour une entreprise, différentes manières de penser sont également cruciales. Les entreprises peuvent de la sorte être plus créatives, ce qui est indispensable pour contrer les problèmes d’aujourd’hui.

Comment faites-vous cela concrètement ?

Il n’y a pas que la diversité visible qui est importante pour une entreprise, différentes manières de penser sont également cruciales

Prenons l’exemple de la manière dont nous considérons le temps. Nous pensons très souvent que le temps est un bien rare, ce qui nous conduit à courir de deadline en deadline. Cela a comme conséquence que nous devenons parfois tellement productifs, que nous passons à côté de nous-mêmes. D’autres cultures pensent que le temps est présent en abondance, ce qui les mène à prendre plus de temps pour travailler aux projets. Ils sont capables de travailler plus lentement, et par conséquent de mettre de meilleures priorités et de réfléchir. Mais cela ne doit pas être soit l’un soit l’autre. Le coaching interculturel peut vous aider autant à être plus efficient qu’à être plus raisonnable.

Comment pouvons-nous intégrer cette manière de penser dans le monde des entreprises ?

Pour les leaders, la collaboration avec un coach peut les aider à détecter le potentiel non encore entièrement utilisé dans leur entreprise. Mais tout cela part en fait d’un intérêt sincère pour les cultures avec lesquelles vous travaillez. Ce n’est que lorsque vous vous ouvrez entièrement à l’écoute d’une personne et que vous admettez ne pas avoir toutes les réponses, que vous en apprendrez quelque chose.

Quels sont les pièges dans lesquels les sociétés tombent lorsqu’elles essaient de démarrer la prise en compte des cultures présentes parmi leurs employés ?

Un problème fréquent est la compréhension superficielle d’une culture. Vous pouvez par exemple apprendre des astuces avant de partir en Chine sans en comprendre les normes et valeurs sous-jacentes. Le risque existe ainsi que vous stéréotypiez des cultures et que vous fassiez l’impasse sur les intentions positives. La communication indirecte n’est par exemple pas nécessairement un signe de timidité ou de tromperie, mais elle peut viser à maintenir l’harmonie. Le coaching interculturel peut nous apprendre à tirer pleinement parti des différences culturelles. En l’occurrence, autant en étant clair dans le message que sensible à la manière dont nous le transmettons.

Votre livre n’est-il dès lors pas d’une certaine façon un plaidoyer pour davantage d’humanité sur le lieu de travail ?

Absolument. L’humanité est également le sens le plus large du mot. Je suis réellement persuadé que nous pouvons apprendre énormément d’autres cultures, que c’est une force que nous négligeons encore trop souvent. Nous devons simplement être prêts à écouter, et cela nous rendra même également meilleurs.

Pour plus de conseils sur la manière d’utiliser pleinement la diversité dans votre entreprise, nous vous recommandons son livre, que vous pouvez commander ici.

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