” La voûte des délices “

Ni simple cuisinière, ni four quelconque. Non, piano de cuisson – appellation poétique pour un fourneau parfaitement en phase avec le style culinaire français. Et sur lequel jouent aussi bien les plus grands chefs que les amateurs éclairés. Depuis 1908, les fours à voûte font la renommée de La Cornue. Et demeurent uniques au monde. Aujourd’hui, le fabricant parisien s’offre une innovation technologique pour son modèle Château de 4e génération. Découverte.

La Cornue. Le fabricant français tire son nom de la forme particulière de ses fours. Depuis les débuts en 1908, la technologie qui les distingue de tous les autres fours du monde réside dans leur forme voûtée. Brevetée et jamais imitée. L’histoire de La Cornue est étroitement liée à celle de la famille d’entrepreneurs parisiens Dupuy. Une histoire que Xavier Dupuy, petit-fils du fondateur Albert, se plaît à rappeler.

L’invention de la bouteille de gaz dans les années 1930 a permis de rendre nos fours accessibles à tous les Français.

Xavier Dupuy : ” En 1908, lors d’un salon des inventions, mon grand-père découvre un petit four en forme de demi-cylindre, doté d’un bouton en bois et d’une manette en émail. Intrigué, il interroge l’inventeur – un certain Barbary – qui lui affirme que tous les plats cuits dans ce four se révèlent divins. Selon lui, la forme en voûte constitue le secret d’une cuisson sans dessiccation des aliments, ni perte de saveur. Albert Dupuy achète le four, l’expérimente et constate avec ravissement que l’inventeur n’a pas menti. Les plats qui en sortent s’avèrent exquis. Il propose à Barbary de continuer à travailler sur le projet et en achète les droits. “

GOURMETS, GOURMANDS & GASTRONOMES

L’embrasement mondial de 14-18 ne constitue qu’un bref contretemps à l’essor international de La Cornue. ” Après la guerre, mon grand-père délaisse son métier d’herboriste et de parfumeur pour se consacrer à La Cornue. Il a la brillante idée d’installer un petit brûleur sous le four de manière à le rendre autonome. Jusqu’alors, les fours étaient installés sur le poêle à bois ou à charbon, comme une marmite ou une casserole. Cette innovation n’est possible que grâce à la mise en place du réseau gazier à Paris. Mon grand-père se met à la pratique du porte-à-porte : seuls les habitants bénéficiant d’une connexion gazière – source d’énergie high-tech de l’époque – peuvent acquérir un four La Cornue. “

Les affaires prospèrent pour atteindre leur apogée dans les années 1930 avec l’invention de la bouteille de gaz, grâce à laquelle les fours La Cornue ne sont plus réservés aux Parisiens mais deviennent accessibles à tous les Français des zones rurales et des colonies. Albert Dupuy expédie par bateau ses fours-voûte vers l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et ce qui s’appelle encore à l’époque l’Indochine (Vietnam, Laos et Cambodge). Il ouvre également un magasin à Londres et un bureau à Buenos Aires.

” Il fut aussi un précurseur en matière de marketing. Il y a peu, nous avons soumis le logo qu’il conçut à l’époque à quelques-uns des meilleurs designers, lesquels nous ont tous recommandé de ne rien y changer, estimant qu’il était tout bonnement ” parfait “. Et il raisonnait déjà en groupes cibles, bien avant que ce mot ne fasse son chemin. La Cornue s’adressait à ceux que l’on appelait les 3G : gourmets, gourmands et gastronomes. “

RÉTRO AVANT LA LETTRE

La Seconde Guerre mondiale mit un terme à ce succès planétaire. Et une deuxième relance de La Cornue se révéla moins évidente. ” Mon grand-père était âgé, fatigué et il avait perdu un oeil. L’entreprise s’effondra rapidement. Mon père, André Dupuy, reprit la barre mais de manière beaucoup plus discrète. Il n’avait rien d’un industriel. Il détestait voyager et ne parlait pas un mot d’anglais. C’était plutôt un artiste – un peintre. Mais il a laissé son empreinte dans l’entreprise qu’il avait héritée, concevant des dizaines de fourneaux uniques. Littéralement uniques puisque produits en un seul exemplaire. Et entièrement fabriqués à la main. Il leur a également donné des couleurs. Jusqu’alors, toutes les nuances étaient possibles mais seulement dans la gamme des blancs. A l’évidence, André Dupuy regorgeait d’idées. Mais il a mis un certain temps à devenir un commercial de haut vol. Fort heureusement, ma mère travaillait. “

En 1964, tout change. ” Par hasard. Mon père conçoit le Château, au look rétro avant la lettre. Il faut se replonger dans l’ambiance de l’époque : ce sont les années 1960, le monde entier n’a d’yeux que pour le futur que l’on promet mirifique. Et quelle est la réaction de mon père ? Il dédaigne les designs futuristes, préférant rester fidèle au passé. Lorsqu’il présente le Château au Salon des Arts, les visiteurs se moquent gentiment de ce look moyenâgeux. Pour couronner le tout – car il n’était pas dénué d’un certain sens de l’humour -, il fait figurer à côté du Château non pas des jolies filles mais des personnages du Moyen-Age afin de maximiser l’effet rétro… Au final pourtant, ce qui aurait pu être un fiasco s’est transformé en succès. Car, cinquante ans plus tard, alors que les objets les plus modernes de l’époque sont devenus des pièces de musée, le fourneau Château continue de trôner dans les cuisines. Il s’agit d’un concept intemporel qui séduit tout un chacun, ce qui en fait le pivot de notre entreprise depuis de nombreuses années. “

Le disque RCC – radiation, convection et conduction – représente un saut qualitatif.

PRÊT POUR LE 21e SIÈCLE

” De mon grand-père, j’ai hérité la technique, le four à voûte. De mon père, un design à toutes épreuves. Sur base de ces deux idées, je dirige La Cornue depuis trente ans déjà. ” Le (trop) modeste CEO actuel est parvenu à positionner l’entreprise sur de nouveaux marchés – Russie, Chine, Etats-Unis, Canada, Moyen-Orient, Asie. Huit fourneaux faits main sur dix partent à l’étranger.

Mais, sur le plan technique également, Xavier Dupuy a fait la démonstration de sa clairvoyance. A preuve, le Château G4, présenté en première mondiale dans les ateliers de La Cornue à Saint-Ouen-l’Aumône en région parisienne (voir encadré).

Adrien Dupuy, fils de, reprendra-t-il prochainement le flambeau de l’entreprise familiale (qui, depuis 2004, a intégré l’AGA Rangemaster Group) ? Xavier Dupuy : ” C’est à lui d’écrire sa propre histoire. Il n’y a pas de destin tout tracé. D’ailleurs, même s’il s’agit d’une entreprise familiale, elle ne tourne pas autour d’un seul homme. Je suis fier d’avoir amené, via le Château G4, de nouveaux brevets dans l’escarcelle de La Cornue, grâce auxquels nous sommes prêts pour le 21e siècle. Avec l’aide d’une jeune équipe. Si quelqu’un avait demandé à mon père, six mois avant que je ne reprenne les rênes, s’il trouvait qu’il s’agissait d’une bonne idée, il aurait très certainement répondu : “Je l’ignore”. “

TEXTE DIRK REMMERIE

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