La Nouvelle-Calédonie, l’éblouissant caillou du Pacifique

Un festival de couleur pour raconter la nature et l'histoire de la Nouvelle-Calédonie. © Movi Press

Les indépendantistes l’appellent Kanaky, en évoquant le peuple autochtone. Les expats disent le Territoire, comme un lien rassurant avec la France. Et les Caldoches, présents depuis des générations, le surnomment affectueusement le Caillou. Même si l’atout touristique de la Nouvelle-Calédonie réside dans ses paysages, cette beauté naturelle n’est rien sans ceux qui foulent sa terre rouge et ses plages blanches.

Nouméa est une capitale agréable, pensée pour ses expats. Les enfants vont jouer dans la baie des Citrons après l’école et on se réunit le samedi sur la place des Cocotiers pour faire une pétanque et siroter un pastis. Les ” en poste ” aiment ses supermarchés made in France. Les locaux l’appellent Nouméa la blanche. Ce n’est qu’au marché de Moselle, au milieu des légumes et des poissons, que les Zoreilles (nés en France) se mêlent aux Caldoches (descendants des colons) et aux Kanaks (population autochtone) – dont la culture en ville semble confinée au Centre culturel Tjibaou et à son formidable Chemin kanak, mythique et botanique. Les visiteurs comprennent vite que c’est en brousse, dans les montagnes, dans les îles, et de préférence en tribus, que se niche le bijou du caillou.

Un destin commun

La case futuriste vue par l'architecte Renzo Piano, au Centre culturel Tjibaou, temple de la culture kanake.
La case futuriste vue par l’architecte Renzo Piano, au Centre culturel Tjibaou, temple de la culture kanake.© MOVI PRESS
Lifou. L'île la plus authentique, et sa Fête de la patate.
Lifou. L’île la plus authentique, et sa Fête de la patate.© MOVI PRESS

La fuite s’impose donc. D’abord dans les collines. Pour écouter la vie, la musique et les conseils d’un couple qui illustre le futur incertain de cet appendice français posé sur le plus grand lagon naturel du monde, à 20.000 km de chez nous. Dany est Kanak. Aurore est Belge. Ils ont des enfants et font de la musique ensemble. Elle partage désormais ce ” destin commun ” à toutes les composantes de la mosaïque calédonienne. Ce fatum, qui oblige les trois grandes communautés du pays à s’entendre, est le slogan du futur référendum qui devra organiser les modalités de cette cohabitation. En attendant, tous taisent les drames du passé et les difficultés du présent, que ce soit dans les programmes scolaires ou lors des repas comme le bougna, le plat traditionnel. L’histoire récente n’est pas davantage évoquée au bord du lagon turquoise, ou pendant les parties de pêche – au gros sur un yacht pour les ” métros ” (métropolitains) ou à la langouste sur une pirogue pour les Kanaks. Ni dans le maquis minier du sud de Grande Terre, où il fut un temps où les experts d’ArcelorMittal travaillaient pour les mines de nickel. Ni dans le nord-est, entre les falaises et les forêts de Hienghène, pourtant berceau des tribus indépendantistes et du héros Jean-Marie Tjibaou dont la nièce Charline a tout oublié et préfère cuisiner le bougna pour les randonneurs – ” J’étais trop jeune et c’est un mauvais souvenir “, dit-elle. Ni dans le nord-ouest, chez les broussards caldoches qui, entre l’élevage des cerfs et des vaches brahmanes et un peu de tourisme pour faire bouillir la marmite, ont à peine le temps de confier qu’ils se sentent Calédoniens et plus proches des Kanaks que des ” métros “. ” Parce que c’est trop dur. Parce que la pensée aussi a été colonisée. Parce que les règles sont différentes “, préviennent Dany le policier kanak et Aurore la Blanche, brillante interprète qui a quitté l’ONU pour le caillou. Empêtrés dans les questions d’identité et d’éducation, tiraillés entre droit coutumier et droit civil, entre plantes médicinales et médocs ” qui coupent les rêves “, ils ont choisi de faire confiance à l’avenir.

Grande Terre, sol rouge et lagon turquoise

Le Jour de la citoyenneté: une des rares occasions de parler du référendum qui scellera le sort des habitants de l’archipel.

Empreint de cette possibilité d’une île et de la bonne énergie de ce couple mixte, nous empruntons les pistes de latérite jusqu’au Parc de la Rivière Bleue à la recherche du kagou huppé. Fragile et menacé, l’oiseau est l’animal emblématique de la Nouvelle-Calédonie. Il ne vole pas car il n’était confronté à aucun prédateur avant l’arrivée des colons qui ont introduit des nouvelles espèces. Comme le nickel, en chute libre, il est victime du temps qui va trop vite. Pourtant, c’est ce temps que les Kanaks ont traversé pendant 3.000 ans avant de devenir des ” victimes de l’histoire “. Pourtant, c’est cette population ancestrale qui est le bijou de cet éden au statut unique de pays d’outre-mer. Quant à l’écrin qui le serre, il est tout simplement somptueux. Végétation exubérante de part et d’autre de la chaîne centrale qui traverse Grande Terre du nord au sud, forêts primaires, plaines, savanes, parcs naturels terrestres et marins, mangroves bordées d’un magnifique lagon labellisé Unesco et une biodiversité endémique classée troisième au palmarès mondial.

Dans la baie de Prony, au sud, là où la rivière des Kaoris – du nom de l’arbre dans lequel les Mélanésiens creusent leurs pirogues – devient brune du nickel avant de se jeter dans le lagon, même l’ancien bagne est protégé. Devenu centre d’exploitation du bois, puis site minier, le village fantôme abrite, derrière une végétation sauvage, quelques espaces moins idylliques que la baie où les baleines n’hésitent pas à s’introduire jusque dans les meilleurs spots de plongée. Si l’on s’écarte du sentier de grande randonnée qui le traverse pour s’aventurer dans la forêt tropicale, les ruines d’un espace de torture réservé aux bagnards rappellent que les paradis ont souvent vécu l’enfer avant d’ouvrir leurs portes. Le trajet vers la baie de Waho, à travers le massif de Kouakoué et les plaines minières, avec franchissement de rivières et de champs d’igname, est une véritable épopée pour celui qui aime randonner dans l’Histoire. Sur l’unique route, nous traversons une aire coutumière, plusieurs districts coutumiers, une réserve coutumière, quelques clans, des tribus et des chefferies – soit toute l’organisation kanake inspirée de la terre et de la généalogie, la ” coutume ” et son ensemble complexe de règles légales et rituelles.

L’île des Pins, la star

La pirogue à balancier est idéale pour naviguer le long de ses baies paradisiaques.
La pirogue à balancier est idéale pour naviguer le long de ses baies paradisiaques.© MOVI PRESS

Cap sur l’île des Pins, star de la Nouvelle-Calédonie. La baie Kanuméra abrite la plus belle plage de l’archipel – sauf le mercredi, lorsqu’un paquebot australien débarque ses passagers. C’est l’endroit idéal pour prendre la mer, partir à la rencontre des tortues et des dauphins, faire du snorkeling et pique-niquer à la langouste sur un atoll qu’on rejoint en bateau à moteur. L’occasion de grimper à bord d’une pirogue à balancier pour caboter de baie en baie – elles sont toutes plus belles les unes que les autres et ont chacune leur particularité. Upi est la plus colorée. Les majestueux pins colonnaires – qui firent fuir James Cook qui les a confondus avec une armada de vaisseaux ennemis ! – reflètent leurs troncs stylisés dans ses eaux turquoise. Saint-Joseph abrite le dernier chantier de construction des pirogues millénaires. Kanuméra est dominée par un rocher sacré qui ne l’est pas du tout mais ça fait plaisir de le croire. Kuto étale le plus beau sable blanc. Et Oro ne dévoile son secret qu’aux marcheurs qui ont d’abord franchi une forêt dense et un chenal d’eau tiède : une magnifique piscine naturelle séparée de l’océan par une falaise de corail. Le soir, alternative à la cuisine gastronomique du coquet Ouré Tera Beach Resort (en Nouvelle-Calédonie, l’hôtellerie, limitée, mise sur le charme et non sur le tourisme de masse), un bougna en tribu. Hélène et Loulou, comme beaucoup de locaux, pêchent la langouste et mitonnent le vrai ragoût calédonien en emballant les ingrédients (poisson ou poulet, patates douces, bananes, ignames, tomates, coco) dans des feuilles de bananier avant de les cuire dans un four à pierres chaudes souvent enfoui dans le sol.

Lifou, la coutume, la patate et l’igname

Nord-est. Au coeur de la culture kanake, le tressage des feuilles de cocotier est toujours une tradition et une activité économique.
Nord-est. Au coeur de la culture kanake, le tressage des feuilles de cocotier est toujours une tradition et une activité économique.© MOVI PRESS

Pour rejoindre Lifou, au nord-est de Grande Terre, on survole la mer de corail, joyau inscrit au Patrimoine naturel de l’humanité. L’île, terre de Kanaks et de vanille, célèbre le Jour de la citoyenneté, une des rares occasions, pour les habitants, de parler du référendum qui scellera leur sort dans quelques mois. Il manque encore 25.000 Kanaks sur les listes d’inscrits. ” Voulez-vous être décolonisés ? “, harangue un orateur sur une des scènes érigées un peu partout sur l’île principale des Loyautés. Et d’évoquer Jean-Marie Djibaou, les accords de Nouméa et ce satané soleil qui détourne les insouciants vers la pêche, le farniente sur la plage, le Woodstock local à Hapetra ou la célèbre Fête de la patate dans la tribu de Nathalo. Là, aucun discours politique, mais l’âme kanak est bien là. Des papys chantent des refrains traditionnels, des jeunes slameurs annoncent qu’ils sont sélectionnés pour se produire à Plume, situé à 20 km. Dans les travées des stands, où les patates douces se disputent le prix de la plus belle, la plus grosse, la plus colorée, la meilleure en gâteau, en beignet, en bougna et, évidemment, avec la langouste, pas de touriste. Aléza, la tante du batteur de nos amis musiciens, travaille à la mairie et dans les champs d’ignames. Elle nous rejoint tard – ” Quand les baleines passent dans la baie, c’est le signe qu’il faut planter l’igname. Cela ne peut pas attendre.”

La case traditionnelle en construction végétale, toujours symbole du lien social et familial qui gère la société kanake.
La case traditionnelle en construction végétale, toujours symbole du lien social et familial qui gère la société kanake.© MOVI PRESS

Comme Georges, petit chef de la tribu Xodre, rencontré sur les falaises du sud qui plongent dans l’océan, elle se dit qu’il en faut peu pour offrir un tourisme de qualité, surtout depuis que les terres ont été restituées au ” peuple premier “. ” On forme une ou deux personnes dans chaque clan et tout s’organise “, dit Aléza. Pierre, chef du clan Drueulu, vit sur le haut-plateau d’où les missionnaires ont chassé les autochtones pour les éloigner des esprits de la forêt, et s’improvise guide quand il croise un visiteur. Sa tribu compte 400 Kanaks mais de nombreux hommes sont partis à Nouméa pour suivre leurs enfants au collège – aucun n’imagine les laisser seuls à la capitale. Le mari d’Aléza fait pareil, et elle se sent seule. En se mariant, elle a suivi son homme, comme l’impose le droit coutumier, et les sublimes plages de son enfance à Luengoni lui manquent. Aléza reçoit gentiment chez elle et aime se laisser photographier devant la grande case, symbole sacré de la culture kanak. ” La maison en dur, c’est pour dormir, explique-t-elle. La case ronde en paille, cocotier et pandanus, c’est pour recevoir les amis et loger en hiver car elle se chauffe mieux. ” Elle nous envoie chez Noël, son neveu qui a deux fois son âge – ” Tu passes deux tribus puis, après le deuxième dos d’âne, à droite “. Au passage, nous allons réaliser le ” geste coutumier ” auprès de Georges – ici, tout est codifié et hiérarchisé. Notre offrande est constituée d’un petit sac en raphia dans lequel nous avons glissé un billet de banque – sur lequel est dessiné le Mont Panié, plus haut point de l’île, 1.628 m, interdit d’accès car il abrite l’Amborella trichopoda, le premier arbre à fleurs du monde – et un morceau de tissu. Une façon d’introduire les visiteurs aux pratiques d’échange et de respect qui caractérisent le système kanak.

Dans les pas de Nicolas Hulot

Noël, grosse tignasse grise prolongée par deux tresses et T-shirt à son effigie, s’est autoproclamé gardien de la grotte de Hutr – dite les Joyaux de Luengoni – qui se trouve sur le territoire de sa famille. L’homme refuse que le site soit répertorié dans les guides et refoule catégoriquement les passagers des paquebots qui mouillent au nord, dans le beau district de Wetr. Il faut payer et être accompagné pour pénétrer l’étrange forêt de stalactites et de stalagmites et descendre la falaise de corail qui mène aux ténèbres. Sa nièce Wana accompagne les téméraires quand elle n’est pas à la pêche ou dans les champs. Une fois en bas, elle nous tend masque et palmes, puis remonte. La température de l’air a chuté d’au moins 20 degrés, celle de l’eau aussi. Celle-ci est saumâtre lorsque nous la balayons avec notre lampe-torche en aveuglant les anguilles – solide contraste avec les eaux de la mer de corail qui offrent des plongées passionnantes. Wana nous attend ” au-dessus du puits de lumière ” qu’il faut donc rejoindre à la nage. Attention, prévient-elle, certains boyaux atteignent plus de 30 m de profondeur et il ne faut pas mettre la tête sous l’eau en avançant pour ne pas se perdre. La caverne fait 150 m de boyaux et, même s’il reste une corde filante à certains endroits, nous n’avons pas l’infrastructure dont disposait Nicolas Hulot lors de son passage. Au retour, Noël partage sa vision du succès calédonien comme nombre de Kanaks le rêvent, un mix entre les lois françaises et la coutume reconnue, une sorte d’indépendance assistée. ” Je fais le guide et je paie des taxes sous le droit français, précise Noël. Mais si j’emploie des gens et que je ne gagne pas assez, je me retranche derrière le droit coutumier pour ne pas payer de taxes. Il faut prendre le meilleur de chaque partie. Si je fais du black ? Mais je suis déjà black ! ” Humour kanak.

Par Béatrice Demol.

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