L’Everest de la voile

© PHOTOPRESS/IWC

La Volvo Ocean Race, dont les participants font le tour du monde à la voile en neuf étapes, est la compétition la plus ardue de ce type. A l’arrivée à Göteborg, Trends Style a conversé avec les protagonistes au rang desquels figurait la marque horlogère IWC.

C’est le jour le plus long de l’été et… la fête à Göteborg, en Suède : les 59 héros qui ont fait le tour du monde à la voile en 9 mois, parcourant ainsi quelque 78.000 kilomètres, sont revenus en bonne forme à leur port de départ. On se réjouit aussi quelque part au Moyen-Orient, où se célèbre la victoire du voilier engagé par Abu Dhabi, l’Azzam (” persévérance ” en arabe), bien qu’il n’y ait qu’un seul des huit membres d’équipage qui porte la nationalité du sponsor. Et dans la ville suisse de Schaffhausen, un petit groupe fête le succès d’IWC qui, pour la troisième fois et avec une exactitude digne de ses produits, a été le sponsor de l’équipage gagnant.

L’organisateur, Knut Frostad, qui a à son actif quatre tours du monde à la voile au cours d’éditions antérieures de la Volvo Ocean Race, est ravi. ” Cette course répond à notre volonté de nous mesurer avec l’imprévu. Cette journée est mémorable d’abord parce que tout le monde est revenu sain et sauf. Don’t cry because it’s over, smile because it happened. ”

Cette course répond à notre volonté de nous mesurer avec l’imprévu.

Mais il a une autre raison de se réjouir. Voici quatre ans, il avait plaidé pour que ce soient des bateaux identiques qui se présentent au départ. Cela permettait de gagner sur deux tableaux : sur le coût – moindre pour les sept équipages – et sur la compétition – plus captivante. Et il a eu raison car, sur sept des neuf étapes, il n’y avait pas plus de dix minutes d’écart entre le premier et le deuxième.

Il a aussi limité à huit le nombre de voiles embarquées à bord et veillé à offrir un meilleur service lors des étapes. Par le passé, il revenait aux équipages de s’occuper de tout alors qu’aujourd’hui une tente-atelier géante est prévue à chaque étape où tous les fournisseurs de matériel et de pièces de rechange sont présents, et où les voiliers peuvent faire l’objet d’un entretien en profondeur. Auparavant, cette maintenance devait être assurée par chacun des équipages, du fait de la diversité des bateaux. A Göteborg, un véritable village – mieux équipé d’une édition à l’autre – a été construit autour du bassin du port. Les sponsors peuvent y présenter leurs produits et les amateurs de voile découvrir les divers shows et expositions.

L'Everest de la voile
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L’ÉVALUATION DES RISQUES

Cette course unique a eu lieu pour la première fois en 1973-1974. Elle fut remportée par le bateau mexicain Sayula II. Dix-neuf équipes étaient inscrites au départ, mais les navigateurs amateurs qui en faisaient partie n’avaient pas toujours les moyens ni une bonne estimation de ce qui les attendait. Dans le Pacifique Sud, deux participants sont passés par-dessus bord en moins de quatre jours, disparaissant pour toujours dans les flots. Autre aventure dramatique : celle du skipper français Sébastien Josse et de son ABN Amro 2, lors de l’édition 2005-2006. Son coéquipier Hans Horrevoets, qui avait basculé par-dessus bord, fut repêché mort et, trois jours plus tard, le skipper fit demi-tour pour hisser à bord l’équipage du Movistar qui avait dû abandonner son bateau à 300 miles des côtes britanniques. Depuis, 12 éditions ont été disputées et ce sont les Néerlandais qui ont connu le plus de réussite : ils ont gagné en 1978 et en 1982, sous la houlette du skipper Cornelis Van Rietschoten. Et en 2006, ils ont terminé deuxième – avec, à bord, la présence d’un Belge, Louis Balcaen.

La longueur des étapes et leur degré de difficulté diffèrent sensiblement. La traversée – redoutable – entre Auckland et Itajai au Brésil est longue de 6.776 miles marins, alors que celle entre Lisbonne et Lorient correspond à peine à un dixième de cette distance. Au terme de chaque étape, est disputée une compétition in-port. Elle ne dure qu’un peu plus d’une heure et fait l’objet d’un classement distinct. L’objectif est de permettre aux nombreux spectateurs de profiter du spectacle. Pour les équipages, habitués à braver durant des semaines vents, vagues et tempêtes, cela équivaut à un simple petit sprint.

Les hommes passent quatre heures sur le pont et consacrent les quatre suivantes à manger ou à se reposer.

La visite de l’Azzam permet de découvrir le caractère limité et spartiate de l’espace libre dans l’entrepont. Les couchettes ne sont guère plus qu’un filet tendu dans un cadre. Le reste de la place est réservé aux voiles enroulées, à l’électronique et au siège du navigateur qui détermine la tactique à appliquer en fonction des prévisions météorologiques. Les hommes passent quatre heures sur le pont et consacrent les quatre suivantes à manger ou à se reposer. La nourriture est lyophilisée pour une question de poids. Un litre de fuel suffit pour dessaler 15 litres d’eau de mer et c’est donc cette eau-là qui est utilisée pour réhydrater les aliments. Les portions étant emballées individuellement, chaque membre d’équipage peut choisir ce qu’il souhaite manger.

” Ce sont les Français qui m’ont appris cela “, explique Neal McDonald, coach à bord de l’Azzam, qui sait à quel point un repas peut être un facteur de motivation. Ce Britannique qui habite dans le Midi de la France se dit exceller en matière de risk assessment (évaluation du risque). ” Cette technique consiste à limiter les risques à un minimum et à les évaluer par rapport à l’avantage que présenterait un certain nombre d’actions ou de choix. Cela n’a pas de sens de prendre gagner des risques considérables pour ne gagner que quelques centaines de mètres. Ce raisonnement s’applique à la vie de chacun mais, ici, cela s’impose chaque jour et les conséquences peuvent être dramatiques. Le remarquable état des voiles à notre arrivée à Göteborg montre que cette approche a porté ses fruits. “

Le skipper Ian Walker
Le skipper Ian Walker© Ian Roman

GÉRER ET MOTIVER

Mais l’homme qui se trouve réellement à la base du succès est le skipper Ian Walker qui, à Göteborg, paraît assez marqué.

Qu’est-ce qui est le plus dur dans ce type de compétition ?

IAN WALKER : zIl y a énormément de moments durs, le plus grave étant quand le bateau ne fonctionne pas comme on veut et qu’on ignore pourquoi. Il n’est pas toujours possible de trouver les raisons. Autre moment dur : lorsque, après avoir commis une erreur, il faut lutter contre le découragement, se ressaisir et remotiver les hommes. Lors de l’édition précédente, beaucoup de choses s’étaient mal passées. Le bateau n’était structurellement pas au point – ce qui ne peut pas être expliqué à l’équipage au risque de le démotiver. Le manque de sommeil est aussi un problème parce qu’il est rend la prise de bonnes décisions difficile. “

Cette compétition est-elle comparable à d’autres événements sportifs ?

” Elle ne l’est en tout cas pas avec tout ce que j’ai pu entreprendre jusqu’ici. En matière de voile, il existe d’autres défis sportifs – les JO, l’America’s Cup, qui exigent aussi de s’absenter longtemps et d’investir une énergie énorme dans les plus petits détails. “

Quelles sont les qualités d’un skipper gagnant ?

” En premier lieu, le sens du management et de la motivation des hommes. Mais il doit aussi être un bon tacticien et pouvoir interpréter la météo. Des qualités qui s’acquièrent dans les disciplines olympiques mais, ici, les décisions doivent être prises pour toute l’équipe. Et il y en a beaucoup à prendre. Bref, on grandit très vite. “

Le manque de sommeil est aussi un problème parce qu’il est rend la prise de bonnes décisions difficile.

Comme le bateau ne peut en rien être modifié et que le nombre de voiles est limité, on ne peut investir d’argent que dans l’équipage : il faut chercher les meilleurs éléments et investir dans les bons coaches et de meilleurs hôtels – pour s’offrir une bonne nuit de repos entre les étapes. Mais, les prix des membres d’équipage différant peu, la durée de la préparation reste la seule vraie variable. L’équipage féminin d’ACS s’est entraîné durant 18 mois alors que le bateau disposant du plus petit budget a dû se limiter à un mois. “

LA FÊTE APRÈS LA FAMINE

Le sponsoring d’IWC n’est pas une moindre affaire.

” En effet. Et sa participation a été une expérience très instructive. Nous avons visité la manufacture et appris ici comment démonter une montre mécanique et la remonter. En un temps record, comme cela est apparu plus tard. Notre travail en commun m’a appris qu’il existe de nombreux parallèles entre la voile et l’horlogerie – la technologie, la durabilité, le souci de précision… Et que la marque IWC tire, tout comme nous, une grande fierté de ce qu’elle met en oeuvre – design, etc. “

Qu’y a-t-il au programme après un tel voyage de neuf mois ?

” Le fait d’être parti longtemps est pesant. Mais je tente d’en voir les côtés positifs. Combien de pères peuvent-ils se targuer de passer tout un été avec leurs enfants ? Bien sûr, la période a été difficile mais elle est passée. Je qualifie cela de feast and famine. Après la famine, voici venu le temps de la fête. Lorsque je suis chez moi, j’y suis totalement. Je suis l’un des rares pères qui conduisent leurs filles à l’école ou assistent à leurs cours de gymnastique. Bien sûr, il m’arrive aussi d’être absent durant trois mois. Mais cela pourrait être pire – les hommes qui s’engagent à l’armée partent aussi pour trois mois et… ils se font tirer dessus. Et pour les enfants, tout cela a aussi un côté excitant : ils voyagent dans le monde entier pour accueillir leur père à son arrivée, ils ont appris la géographie et se sont fait partout de nouveaux amis. “

L'Everest de la voile
© PHOTOPRESS/IWC

SANS ÉMOTIONS PAS DE RÉSULTATS

La Volvo Ocean Race reste une compétition de superlatifs. Knut Frostad la qualifie de ” Everest de la voile ” et la plus imprévisible dans son genre : ” On peut heurter un iceberg, croiser un ouragan au milieu de l’océan Indien. C’est le défi par excellence et, bien qu’il n’y ait pas d’argent à y gagner, tout le monde veut la faire figurer sur son CV. Il s’agit de l’expérience de groupe la plus intense que je connaisse. “

La Volvo Ocean Race reste une compétition de superlatifs. Il s’agit de l’expérience de groupe la plus intense que je connaisse.

Neal McDonald : ” Tout le monde pense qu’il s’agit d’investissement physique et de maîtrise des émotions, mais ce n’est pas vrai. Si vous n’avez pas d’émotions, vous n’obtenez pas de résultats. Et si vous en éprouvez, vous rencontrez des conflits : il faut apprendre à vivre avec cela lorsqu’on est coach et skipper. Et ce n’est pas le moindre des défis. “

TEXTE PIERRE DARGE

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