Hors taxes en mer

© Thomas De Boever.

Sur les quais du port d’Anvers, au Scheurweg, se trouve ce qui doit être la boutique d’articles de luxe la plus étrange du pays. Rien à voir pourtant avec le style de l’avenue Louise même si y est proposée une offre énorme de marques prestigieuses. Autrefois réservé aux marins et aux diplomates, Sunny Europe s’ouvre désormais à tous.

Nul besoin d’exposer un millier de flacons de parfums exclusifs pour mettre Trends Style sur la piste d’une entreprise hors du commun. Mais cela peut aider. Stefan Venqueleir, Business Development Manager de Sunny Europe : ” Pourquoi des murs entiers couverts de flacons de parfum ? Parce que, depuis plus de trente ans déjà, Sunny fournit des articles de luxe hors taxes aux marins accostant dans les ports belges, néerlandais et allemands. “

Nul doute, dès lors, que Sunny est connu des marins. Même si ceux-ci ne se rappellent pas toujours le nom du parfum que, au terme d’une navigation parfois très longue, ils souhaitent ramener chez eux pour leur compagne. ” Nos clients viennent des quatre coins du monde. Et savent ce qu’ils veulent. Certains sont parfois munis d’une coupure de catalogue, pour être sûrs de ne pas se tromper. Notre parfum le plus exclusif ? Les flacons décorés de bijoux de House of Sillage. “

Depuis plus de 30 ans, nous fournissons des produits de luxe hors taxes aux marins à quai.

Sunny Europe compte 140 collaborateurs de 24 nationalités différentes. Le babélisme y est pourtant rare. Ce creuset culturel et linguistique offre au contraire un intérêt particulier : il met les tendances en exergue. Quelles sont actuellement les montres les plus à la mode pour les hommes philippins ? (Réponse : la Hanowa Swiss Military suisse, version automatique.) Et les sacs à main pour les Brésiliennes ? (Réponse dans quelques mois : Sunny crée actuellement une nouvelle collection de grandes marques.)

Stefan Venqueleir, Business Development Manager.
Stefan Venqueleir, Business Development Manager.© Thomas De Boever.

Chaque année, Sunny conçoit sur base des tendances mondiales un certain nombre de catalogues très prisés par les marins. Des catalogues en impression de luxe, centrés sur les produits, bien mis en page mais sans article ni reportage. ” Nous avons réalisé jadis un catalogue comparable aux magazines de qualité. Selon moi, le plus beau que nous ayons jamais édité mais aussi celui qui a eu le moins de portée. Car que demandent les marins ? De grandes photos, un minimum de textes et des prix. Point. Cela étant, le catalogue est pour nous le mode de communication par excellence – en pleine mer, les marins ne disposent pas de connexion Internet. Nous réalisons chaque année plusieurs éditions – ainsi, celui dédié aux montres paraît trois fois par an, à 60.000 exemplaires chaque fois – qui font le tour du monde. Il nous arrive de recevoir des courriers d’Afrique ou d’Amérique du Sud passant commande sur base de ces catalogues. “

Un marin en mer ne peut venir signaler au guichet que le colis fourni n’est pas le bon.

” Et les commandes affluent. Nous approvisionnons chaque jour quelque 200 bateaux dans les ports de Belgique, des Pays-Bas et d’Allemagne. Le laps de temps au cours duquel cet approvisionnement peut avoir lieu (la durée pendant laquelle le bateau est à quai) est très bref. Raison pour laquelle le centre de contrôle de Sunny Europe surveille les mouvements de navires sur grands écrans. Il faut agir vite. Et bien. Le marin n’a pas la possibilité de venir se présenter au guichet le lendemain de son achat pour signaler qu’on ne lui a pas fourni le bon colis. “

UNE BOÎTE N’EST PAS L’AUTRE

Sur le plan logistique, le fournisseur maritime d’articles de luxe doit faire preuve d’une efficacité de tous les instants. Ce dont témoigne l’incessant ballet des nombreuses camionnettes qui vont et viennent sur les quais de chargement. La mention AEO figurant sur les portières signifie ” Authorized Economic Operator “, un label de fiabilité en matière de transactions douanières qui permet d’accélérer les contrôles exercés par les autorités portuaires. Ce jour-là, à Anvers, l’espace de chargement des camionnettes donnait à voir des articles (dont un télescope et une guitare acoustique) destinés au Huseyn Javid et au Magnus Oldendorff. Chaque emballage est marqué d’une étiquette sur laquelle figure un code unique identifiant le contenu et le navire – là encore, pour satisfaire le plus facilement possible aux obligations douanières. Une fois à bord, les commandes sont rangées dans un ” bonded store “, un entrepôt sous contrôle douanier, car il est interdit d’ouvrir les colis hors taxes avant que le navire ne se trouve dans des eaux internationales.

Hors taxes en mer
© Thomas De Boever.

Même logique logistique à l’arrière des quais de chargement, dans les entrepôts qui abritent en permanence 30.000 articles en stock, à raison de plusieurs exemplaires par article – ici, le client ne peut attendre. Autrefois, les preneurs de commandes parcouraient 16 kilomètres par jour. Le nouveau système de gestion informatisé des entrepôts et les gigantesques ascenseurs pourvus de tiroirs géants permettent de réduire cette distance à 1 kilomètre et donc aussi le nombre d’emballeurs. Les fournitures entrantes et sortantes sont traitées ensemble. Un travail de titan qui ne peut se concevoir sans support informatique fiable.

Electronique, smartphones, montres et parfums, tels sont les cadeaux de relation les plus demandés.

Le fleuron de l’entrepôt est la nouvelle emballeuse Neopost, la troisième du genre dans le monde. Chaque commande étant différente en termes de volume, de forme ou de poids, une boîte est à chaque fois confectionnée sur mesure. A sa vitesse la plus élevée, cette emballeuse mesure et plie 500 boîtes par heure. Et ce, avec une précision telle, qu’il est superflu de prévoir des remplissages de protection pour les articles. Résultat: moins de pollution et moins de frais de transport et de douane.

DE DUNKERQUE À L’ALLEMAGNE

Comment la société Sunny Europe a-t-elle pu se construire un tel succès ?

STEFAN VENQUELEIR : ” Elle a été lancée il y a 33 ans par les deux frères Karamichalis. En 1999, l’entreprise a quitté le centre d’Anvers pour le port, où se trouve notre clientèle. Auparavant, les entrepôts étaient disséminés dans la ville, et le petit magasin de 200 m² n’était pas vraiment le point de départ idéal pour un scénario de croissance. En 2006, Gert Jacobs, le beau-fils, et son épouse ont repris l’entreprise qui n’a cessé de se développer. Nous approvisionnons ce qu’il est convenu d’appeler la route de la Mer du Nord, de Dunkerque aux pays baltes. En Belgique et aux Pays-Bas, nous sommes les seuls à être actifs sur le marché des articles de luxe. La plupart des concurrents se limitent aux cigarettes et aux alcools, produits qui, sur un bateau, trouvent toujours acquéreur. Mais ces fournisseurs se sont plus d’une fois laissé dire qu’ils pourraient s’épargner cette charge, les tracasseries administratives étant trop importantes pour la fourniture de deux produits seulement. “

” En Allemagne, cette formule de fournitures hors taxes à bord n’était pas connu. Les Allemands ont donc d’abord cherché à savoir si ce que nous faisions était légal, ce qui est bien sûr le cas. Par ailleurs, ils pensaient que les fournitures sur bateaux se limitaient à des vis, à des chaises, à un gouvernail… Celle d’articles destinés aux marins travaillant sur un navire était pour eux totalement inédite. “

Hors taxes en mer
© Thomas De Boever.

Comment se passent en pratique les commandes et les livraisons ?

” Chaque jour, 200 bateaux en moyenne reçoivent la visite de l’un de nos agents de liaison qui traite les commandes de l’équipage, note quand le bateau repart et encaisse les paiements. Le marin reçoit sa commande entre deux et douze heures plus tard. Cela va très vite : lorsque notre agent de liaison quitte le bateau, nous sommes déjà occupés à emballer l’article dans nos entrepôts. Et cela ira plus vite encore grâce aux investissements que nous consentons actuellement. “

Une montre est le produit de luxe par excellence, mais qui reste accessible à tout le monde.

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Quels sont les produits les plus demandés ?

” L’électronique et les smartphones ainsi que les montres – qui font donc l’objet d’un catalogue distinct. Une montre est le produit de luxe par excellence, mais qui reste accessible à tout le monde. Puis il y a les parfums. Ce sont les cadeaux de relation les plus prisés. Dès novembre, nous valoriserons un autre produit destiné aux compagnes : une collection très étendue de sacs à main. Mais nous vendons aussi… des machines à laver – l’une des rares marques au monde de machines fonctionnant sur un bateau. “

Entretenir des relations avec une clientèle qui ne cesse de parcourir le monde ne doit pas être chose facile.

” En effet. Il peut se passer des années avant que nous ne revoyions certains clients. Ce qui ne nous empêche pas d’entretenir une relation chaleureuse avec eux. En nous basant sur l’historique de leurs achats, nous sommes capables de bien les accueillir. Nous aimons investir du temps dans le simple fait de garder le contact. Ces gens sont parfois absents de chez eux durant plusieurs mois, et ils doivent pouvoir de temps à autre reprendre pied. Certains tiennent d’ailleurs à nous montrer des photos de leur famille. Notre page Facebook démontre aussi la nécessité de ce caractère amical. Nous l’avons lancée plutôt timidement il y a moins d’un an et n’en attendions pas un retour énorme puisqu’une connexion Internet est impossible en haute mer. Mais on y trouve des films de marins montrant ce qu’ils ont acheté – certains jouant même sur une batterie nouvellement acquise en scandant : Sunny ! Sunny ! Incroyable ! “

Hors taxes en mer
© Thomas De Boever.

Mais vous avez aussi un pied à terre et dans le monde virtuel.

” Notre activité maritime est connue sous le nom de Sunny, mais nous gérons également Diplomatic House. En cinq ans à peine, nous sommes devenus le plus grand acteur de ce marché. Diplomatic House est une copie conforme de Sunny, mais il est dédié aux institutions diplomatiques en Belgique et aux Pays-Bas. Cela dit, depuis mai 2015, il n’est plus nécessaire d’être diplomate ou marin pour accéder à notre méga-magasin de luxe. Oyaya est une boutique en ligne accessible à tous mais nous invitons la clientèle à venir voir préalablement les articles en magasin. Oyaya signifie partager le bonheur – raison pour laquelle nous apportons notre soutien à Make A Wish. Nous avons l’intention de faire d’Oyaya, en Belgique et aux Pays-Bas, une plate-forme des articles les plus porteurs: bijoux, produits cosmétiques, montres, sacs à main… ”

TOUT SOUS UN MÊME TOIT

Pour les marins et pour le personnel diplomatique, l’avantage direct d’acheter chez Sunny ou Diplomatic House est évident : l’absence de taxes. Quel intérêt a le contribuable belge à s’adresser à Oyaya ?

” Il réside dans l’offre : un assortiment énorme de bijoux et de montres qu’un bijoutier ordinaire ne peut se permettre. Tout est sous le même toit. Nous ne tablons pas tant sur les prix que sur le service, la sélection et l’attention apportée aux clients. Sur Oyaya, nous ne proposons pas les produits ordinaires (appareils photo, instruments de musique…) qui intéressent les marins puisqu’ils sont peu à quai. Nous n’avons pas l’intention de nous lancer dans une concurrence féroce à l’égard des discounters Internet en proposant des produits ordinaires. Il s’agit d’un marché différent que nous ne souhaitons pas investir. “

TEXTE Dirk Remmerie

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