“Etre une belle femme ne suffit pas, c’est la personnalité qui fait la différence” (Anton Corbijn)

Qu’ont en commun David Bowie, Nick Cave, Tow Waits, Björk… outre le fait d’être des stars du rock internationales ? Celui de s’être fait tirer le portrait par Anton Corbijn, photographe et réalisateur néerlandais autodidacte et réputé, qui vient de signer un clip pour Miss Dior.

2015 est une année phare pour Anton Corbijn. A l’occasion du 60e anniversaire de cet amoureux de musiques et d’images, le Gemeentemuseum et le Fotomuseum de La Haye lui consacrent une rétrospective détaillée, revenant sur un parcours varié et autodidacte de quelque 40 ans. Mais 2015 marque aussi l’entrée de Corbijn réalisateur sur la scène du clip publicitaire.

Avez-vous aimé de tourner sur la Côte d’Azur ? Avez-vous apprécié la lumière qui y règne ?

” J’avais déjà eu l’occasion, au cours de ma carrière, de me rendre dans le sud de l’Europe – au Portugal, plus précisément – pour des séances photos. Et j’y avais beaucoup aimé la lumière et l’atmosphère. La lumière du sud de la France est très belle – particulièrement celle du soleil couchant qui éclaire la dernière scène sur la falaise avec l’hélicoptère. J’aime filmer certains plans en pleine lumière mais, de manière générale, je préfère saisir mes sujets dans l’ombre… Je suis d’ailleurs davantage connu pour cela. Alors même qu’à mes débuts, dans les années 1970, je faisais l’inverse : je photographiais les gens, le visage éclairé frontalement. Mais, à un certain moment, j’ai changé et j’ai opté pour l’ombre. Cela donne plus de grain à l’image et c’est ce que j’aime. “

Vos images n’ont cessé d’évoluer entre vos premiers films – des clips vidéo – et Control, tout en conservant un style qui vous est propre. L’annonce de ce clip Miss Dior signé par vous a donc été une surprise. Comment vous êtes-vous plongé dans un univers qui ne vous correspond pas ” naturellement ” ?

” En réalité, c’est la première fois que j’accepte de réaliser un clip publicitaire. Cela m’intéressait de me plonger dans un univers différent du mien, lié à une maison de luxe, à un parfum. Certains de mes proches ont un lien avec le monde de la mode. J’ai voulu faire de Miss Dior un personnage à part entière, une héroïne. Cela a été formidable de pouvoir tourner avec une troupe d’acteurs. Les top-modèles ne peuvent pas aller aussi loin dans le jeu. Natalie Portman est fantastique. Son authenticité se ressent à l’écran et parle aux gens. Je pense que cette “vérité” est plus importante que la seule beauté. Etre une belle femme ne suffit pas, c’est la personnalité qui fait la différence. “

Anton Corbijn.
Anton Corbijn.

Dans le clip, l’héroïne s’échappe de sa cérémonie de mariage mais cette histoire pourrait presque être réinterprétée dans une perspective oedipienne puisque c’est en fait son père qu’elle abandonne.

” Oui, et pas seulement son père selon moi (rires). C’est sa vie entière, symbolisée par ce père, qu’elle quitte. L’histoire parle d’évasion, d’abandon de tout ce qui peut constituer une entrave dans la vie, de tout ce que l’on ne peut plus accepter. A ce titre, le morceau choisi pour la bande-son, Piece of my heart de Janis Joplin, est très pertinent. Cette voix, ces paroles ont quelque chose d’essentiel. Elles ajoutent au clip une perspective féministe. “

L’histoire parle d’évasion, d’abandon de tout ce qui peut constituer une entrave dans la vie, de tout ce que l’on ne peut plus accepter.

Vous aimez beaucoup cette artiste. Pour preuve, vous avez réalisé un portrait de vous déguisé en Janis…

C’est exact (rires). Je n’ai jamais été aussi proche d’elle.

Ce choix de bande-son apparaît très pertinent dans la mesure où Janis Joplin était une femme habitée par une rage de vivre mais aussi par une certaine tristesse.

” Pour moi, c’était une femme forte, puissante. J’ai rencontré Jim Marshall, le photographe qui l’a beaucoup suivie. De fait, sur les photos qu’il a prises d’elle, on décèle une grande tristesse. Elle s’est perdue dans l’esprit de liberté des années 1960. “

LA RÉVOLUTION DES BEATLES

Depuis vos débuts, vous avez toujours eu un lien avec la musique.

” A l’approche de mes 50 ans, je me suis demandé pourquoi j’étais toujours autant obsédé par la musique que j’écoutais lorsque j’avais 14 ans, pourquoi je n’évoluais pas. Je me suis rendu dans mon village natal (NDRL: sur une île du delta de la Meuse et du Rhin en Hollande-Méridionale), pensant trouver une réponse à ces questions. Mais rien ne m’est apparu… Il m’a toujours semblé que le monde auquel je voulais appartenir était différent… J’ai grandi dans un univers profondément religieux, peu inspirant. Mon père – tout comme mon grand-père et mon oncle – était pasteur. Cétait un monde sévère, austère, sans télévision. La musique était pour moi une évasion. “

Et quel est pour vous le lien entre les images et la musique?

” Je me souviens du jour où les Beatles sont venus en Hollande. Ce fut une vraie révolution. On pouvait sentir que la société était en train de changer. J’ai pris quelques clichés avec l’appareil photo de mon père lors d’une ouverture de concert. Et là, j’ai su que c’était ce que je voulais faire – être au plus près de la musique. Je ne connaissais rien à la photographie, mais elle est devenue ma vie dès les années 1970. A la fin de cette décennie, je me suis rendu en Angleterre. Je suis devenu un portrait and life photographer. Puis, au début des années 1980, j’ai commencé à réaliser des clips vidéo. La musique comptait beaucoup pour moi. Je considérais que trop de mauvais clips gâchaient des chansons géniales. J’ai voulu créer des images qui aient un sens, qui accompagnent réellement la musique et ne se bornent pas à illustrer les paroles. “

Natalie Portman.
Natalie Portman.

La musique est partie prenante dans tous vos longs-métrages. Comme si chacun d’eux était une chanson…

” Je n’y ai jamais pensé de cette manière car pour moi il suffit d’une simple note pour qu’une musique s’incarne dans une image. Ainsi, dans le morceau All these things I’ve done de The Killers, le son du piano m’évoquait une goutte d’eau. Cette idée a servi de fondement au clip vidéo qui met en scène quelqu’un tombant à l’eau. Dans le cas des longs-métrages, le choix de la musique vient le plus souvent après les images. L’inverse est très rare. Mais de manière générale, j’essaie de rester attentif à tout ce qui peut m’inspirer. Et je veille toujours à ce que cela ait du sens ou, plus simplement, à ce que cela me plaise. “

LA RÉALITÉ DU NOIR ET BLANC

Vos images possèdent une esthétique très reconnaissable qui se retrouve dans l’ensemble de votre travail. Qu’avez-vous à dire sur votre deuxième long-métrage, The American, dans lequel George Clooney sort de l’ordinaire ?

” Il y est très sombre… Peut-être plus qu’il ne le souhaitait… J’aime beaucoup ce film. Pour mon premier long-métrage, Control, j’étais très concentré sur les images, le cadre. Pour The American, j’ai voulu pénétrer plus profondément dans l’histoire des personnages, les approcher selon un cadre moins rigide. “

La plupart des personnages clés de vos films sont des hommes, intenses, sombres, mystérieux. Les femmes se trouvent en arrière-plan et pourtant vous les filmez avec beaucoup de nuances et de délicatesse. A quand un film sur une femme ?

” Ce ne sera pas le prochain en tout cas. Car il y est à nouveau question d’un homme. Peut-être parce que j’en suis un et que cela me semble plus facile. Mais j’aimerais beaucoup faire un film sur une femme. Il y a tant d’actrices formidables à qui j’aimerais confier un grand rôle – Robin Wright, par exemple. Mon prochain film parle de la relation entre James Dean et Dennis Stock, le photographe du magazine Life. Il s’arrête juste avant la sortie du film A l’est d’Eden qui a rendu James Dean mondialement célèbre. “

Le jeune acteur Dane de Haan y incarne James Dean, et Robert Pattinson, le photographe…

” Ce n’est jamais facile pour un acteur de se glisser dans la peau d’un autre acteur – particulièrement James Dean.. Mais Dane de Haan y est excellent. Et Robert Pattinson aussi. Pour lui, il était très intéressant d’incarner un photographe alors même qu’il ne cesse d’être pourchassé par eux. Et pour moi, cela avait du sens de faire un film sur un photographe dont le modèle possède une image forte. Cela s’apparente un peu à mon histoire. “

S’agira-t-il d’un film en noir et blanc ?

” Je voulais qu’il le soit mais pour des raisons de budget, je l’ai tourné en couleurs. Et finalement, le résultat s’avère plutôt bon – meilleur même. “

Pour Miss Dior, vous avez donc alterné le noir et blanc et la couleur. Peut-on dire que pour vous, le premier renvoie à la réalité et la seconde à l’évasion, au rêve?

” Je le pense. Mais toute autre interprétation reste valable. Cela paraît assez singulier car très généralement, c’est la couleur qui est censée exprimer la réalité. Or, pour moi, c’est le noir et blanc qui l’incarne. Comme je ne filme pas en format numérique, il m’a fallu faire un choix avant le tournage. Lorsque je filme ou photographie en couleur, je suis toujours curieux du résultat alors que pour le noir et blanc, je sais ce que je vais obtenir. Le noir et blanc est pour moi comme une seconde nature. “

(Texte: Caroline Bernard)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content