Il a horreur du mot décorateur. “Ce mot évoque l’impression superficielle d’un assemblage aléatoire d’objets”, dit Jean-Philippe Demeyer. “Ce n’est pas ce que nous faisons. Nous donnons vie aux intérieurs de manière authentique.” C’est le moins que l’on puisse dire de cette singulière maison de vacances au Portugal.
“Après avoir traversé la forêt, prenez le chemin de terre. Continuez jusqu’au poteau électrique. Prenez à droite et puis à gauche dans l’allée.” Ce sont les indications que m’envoie l’architecte d’intérieur Jean-Philippe Demeyer lorsque je lui demande l’adresse de la maison de vacances, car il n’y a pas de nom de rue. Je traverse en voiture le paysage vallonné de l’Alentejo. Il n’y a aucune maison à l’horizon, le soleil brille et la route fend des champs infinis de chênes-lièges, d’oliviers et d’herbes blanchies qui se balancent au gré du vent. Je suis in the middle of nowhere. Mon GPS se détraque et j’ai de moins en moins de réseau. Quand j’arrive après quelques errances, Jean-Philippe m’attend dans l’allée.
Nous ne reproduisons jamais un intérieur réussi de Knokke dans une maison du Cap. On aurait l’impression de vivre dans un faux décor de cinéma
“Ah, vous avez trouvé. Bienvenue!”, dit-il en me saluant. “Nous voulions un lieu vierge avec de l’espace où nous pourrions être seuls et où la vie est encore authentique. C’est ce que nous avons trouvé ici”, dit-il en riant. “Et pourtant, nous ne sommes qu’à une petite demi-heure en voiture de l’océan Atlantique. Quel bonheur!”
Voilà près de 20 ans que Jean-Philippe Demeyer, Frank Ver Elst et Jean-Paul Dewever sont partenaires dans la vie privée comme professionnelle. Ils créent des intérieurs et des jardins authentiques qui vous transportent dans leur univers singulier débordant de couleurs, d’audace, d’élégance et d’évasion ludique. Jean-Philippe et Frank s’occupent de la partie créative et artistique. Jean-Paul prend en charge la logistique et les finances.
“Nous sommes toujours restés très fidèles à notre singularité et nous avons réussi à attirer des clients qui sont tout à fait ouverts à cette idée. C’est fantastique”, déclare Frank Ver Elst quand je m’installe à la table de leur maison de vacances. “Nous menons des projets d’architecture d’intérieur tant résidentiels que professionnels, notamment pour les bureaux, commerces et établissements du secteur de l’hospitalité. Nous avons pensé l’intérieur du restaurant Gigi à Gand et nous travaillons actuellement sur de nouveaux projets à Paris et à Lille. Nous avons collaboré avec Flamingo Estate à Los Angeles et, à Londres, nous concevons l’intérieur d’un concept store à South Kensington.”

Fearless living
“Ici, au Portugal, nous avons choisi une ferme que nous avons rénovée pour en faire une maison de vacances. Nous avons agrandi la porte d’entrée et, à l’intérieur, nous avons abattu deux murs pour ouvrir l’espace. Nous n’avons rien changé d’autre au bâtiment. Les murs sont très épais. Ils ont une épaisseur de soixante centimètres et sont en pisé et en pierre. Les boîtes blanches, ce n’est pas notre tasse de thé. Tous nos projets privilégient la couleur, les superpositions et une touche ludique. Nos intérieurs sont frais, pas trop sérieux et inattendus. Nous écoutons nos intuitions. Nous sommes tout l’opposé de l’architecte d’intérieur cérébral. Tout a été ressenti et pourtant il y a énormément de structure et de méthode. Je peux parfois aller très loin dans mes idées. Heureusement, Frank est plus terre à terre et a un très bon oeil pour donner une forme réaliste à toute cette créativité. Nous nous complétons parfaitement.”, déclare Jean-Philippe

“Le salon était une écurie avant. Les tapisseries et les tapis colorés ont été tissés par un artisan de l’intérieur du pays. C’est une laine très lourde, que les bergers de la région portent le soir. Car même si les journées sont chaudes, il peut faire très froid la nuit. Nous avons une sorte de climat désertique. Le motif est une ligne typique de cette région, mais nous avons adapté les couleurs pour ajouter notre touche de singularité.”
Quelques grandes pattes en faïence turquoise servent de tables basses. Et les coussins aux yeux brodés de la collection JP Demeyer&co ne manquent pas de faire sourire. Le tableau est de Kristof Santy, un artiste de Roulers qui est venu peindre ici dans le jardin. Le bleu, le jaune, le bordeaux et le blanc sont des couleurs traditionnelles, caractéristiques de l’Alentejo. Elles sont omniprésentes dans le salon.
“Nous nous inspirons toujours de la culture locale et de ce que nous voyons dans la région, mais nous ne copions jamais. Nous traduisons l’ADN local et le déclinons selon nos goûts. Cela s’appelle le “Genius Loci”, l’esprit du lieu. Par exemple, les portes des armoires dans les chambres ont été fabriquées dans le coin. Il y a au Portugal des sacs en osier traditionnels avec des couleurs tissées. Nous avons trouvé une dame de plus de 80 ans qui fabrique encore ces sacs à la main et nous lui avons demandé de tisser des panneaux dans le même style pour les portes des armoires. Nous adorons les collaborations locales.”
“Inspirés par une fenêtre que nous avons vue dans le village, nous avons traduit ses formes et ses couleurs en une étoffe que nous avons drapée autour de notre propre fenêtre. Et nous avons ajouté un rappel de ce motif dans le cadre de lit. Les luminaires sont ceux de notre collection. Dans la salle à manger, nous avons suspendu une planche de bois dans laquelle nous avons découpé des courbes. Le canapé et le buffet sont portugais, mais recouverts de l’une de nos étoffes. La table ronde de la cuisine est également de fabrication régionale et nous l’avons entourée de rideaux dont nous avons créé le motif patchwork. Pour le carrelage de la salle de bain, nous avons longtemps cherché au Portugal, mais nous ne voulions pas tomber dans le cliché des azulejos. Nous cherchions quelque chose de plus sportif et nous avons trouvé celui-ci. Nous l’avons trouvé en Espagne, juste de l’autre côté de la frontière. Dans la région de l’Alentejo, on fabrique de magnifiques céramiques assez brutes, donc toute la vaisselle vient d’ici. Chaque pièce est unique. Il y a également quelques créations de Bela Silva. C’est une artiste qui partage sa vie entre le Portugal et la Belgique. Des châssis de fenêtres en métal sombre ont remplacé ceux en plastique des années cinquante et un sol en béton coulé assure une transition fluide entre les chambres et la terrasse à l’extérieur et crée une certaine unité.”

Storytellers
“Nous nous considérons comme des story- tellers par le biais d’un intérieur. Notre récit est composé de couleurs, de superpositions et de compositions. Tout a l’air ludique, mais il y a une structure, car tout doit être cohérent. Nous avons horreur du mot décorateur. Il évoque l’impression superficielle d’un assemblage aléatoire d’objets. Ce n’est pas ce que nous faisons. Nous travaillons par superpositions, de manière très authentique, et créons une ambiance de vie complète. Nous donnons vie aux intérieurs de manière authentique. À l’instar du chef cuisinier qui assemble toutes sortes d’ingrédients pour créer un repas délicieux, nous pouvons “cuisiner” un intérieur à notre manière. Et nous en avons le talent. Nous ne reproduirions jamais un intérieur réussi de Knokke dans une maison du Cap. Cela ne semblerait pas juste. On aurait l’impression de vivre dans un faux décor de cinéma. Une sorte de décor à la Truman Show qui vous fait vous demander: sommes-nous au bord de la mer, en Espagne, à Kapellen, ou à New York? Car c’est ce qu’on voit souvent, le même canapé avec le même coussin, le même tapis et le même livre partout. C’est dommage. Avec nous, chaque projet est unique: notre style, relié au donneur d’ordre et à l’environnement.”
Une collaboration avec la nature
Jean-Philippe m’emmène faire un tour à l’extérieur. “Ce que vous voyez là, c’est la couche de fond. La maison restera blanche à nonante pour cent, mais nous voulons aussi, en plus d’une couleur sable, mettre à l’honneur le bleu de la région.” Un peu plus loin, nous contemplons la folle avoine se balancer joliment dans le vent. “Nous voulions que la piscine soit dans l’herbe et qu’elle ne soit pas directement reliée à la maison, pour éviter d’avoir une trop grande surface bétonnée. Cela aurait été dommage. Il y a des idées plus créatives, en symbiose avec la nature.”
Un grand dessin de l’artiste Luke Edward Hall, illustrant six personnages classiques masculins qui prennent la pose, orne le fond de la piscine. “Quand j’ai vu ses créations, j’ai su immédiatement que j’avais envie de travailler avec lui. C’était vraiment une intuition. Rien à voir avec la raison. La grande sculpture jaune est l’oeuvre de l’artiste Renaat Ramon. Les chaises longues sont celles de notre collection. La terrasse en bois a été construite à côté de la piscine avec des découpes autour des arbres. Cela donne un aspect plus original et les arbres apportent un peu plus de fraîcheur”, poursuit Jean-Philippe.
“La maison elle-même ne fait que 100 m2. Nous avons l’autorisation de construire jusqu’à 500 m2, nous ajouterons donc probablement une annexe contemporaine plus tard. C’est plus pratique pour séjourner à plusieurs pendant un certain temps. La superficie totale de notre terrain est de 18 hectares, nous avons donc un beau coin de nature. Il y a près de trois cents oliviers autour de la maison, mais cela nous semble beaucoup trop peu et nous avons donc le projet d’en ajouter des milliers d’autres. La désertification est réelle ici. Les arbres groupés se protègent mutuellement, nous avons donc commencé à en planter. Si nous disons pouvoir en ajouter cinq mille, nous ne serons pas loin du compte. Même si ce n’est pas évident, car le sol est très sec et dur. On dirait du béton. Il faut une grue pour planter. Pourtant, notre mission est vraiment de verdir les lieux. Autour de la maison, nous allons planter des cactus, des succulentes et des plantes désertiques. Ce sont des plantes qui s’épanouissent dans ce climat.

J’aimerais également réaliser une gigantesque sculpture à partir de vieux outils agricoles en fer. On les trouve parfois en train de pourrir dans les basses-cours de fermes abandonnées. J’aimerais en fabriquer un robot. Avec d’anciennes charrues comme bras. Une immense sculpture de dix mètres de haut, de couleur rouge Ferrari, sur un socle en béton. Ce serait fantastique, non? J’ai tout le temps des idées. Être créatif et poursuivre ses rêves est, à mon avis, la meilleure forme de pleine conscience qui soit. Surtout quand on a l’esprit ludique. Le plus grand succès dans la vie, c’est de réussir à être soi-même. C’est l’énergie que nous incarnons dans tous nos projets, avec élégance et toujours avec un clin d’oeil bien sûr.”
