Le café de spécialité

Jens Crabbe

Aujourd’hui, on ne commande plus un café, mais un “americano”. Et ne vous aventurez pas à demander du lait, sous peine d’avoir la Gestapo du café sur le dos. Le café de spécialité est-il meilleur? Ou s’agit-il surtout d’un conflit de générations?

Qu’est-ce que le café de spécialité?

Crabbe. “On considère qu’un café est un specialty coffee ou café de spécialité lorsque les Q-graders lui attribuent une note de plus de 85 points sur 100. On tient compte de la qualité des grains de café. Ils doivent avoir le moins de défauts possible.”

Vandille. “Pour nous aussi, c’est devenu un critère aujourd’hui, mais à mon époque, on n’en parlait pas. On tenait principalement compte de la taille des grains. Plus le grain est gros, plus sa saveur est intense. J’utilise toujours un tamis qui filtre les petits grains.”

Crabbe. “Mesurer la qualité par la taille du grain de café est un peu dépassé. Comme pour les fruits (et le café en est un), la taille n’a pas d’importance. Mais quoi qu’il en soit, ce score n’est qu’une indication de la part des Q-graders. Plus le café est vieux, plus sa qualité diminue. Je préfère donc fixer moi-même le score et je ne tiens même plus à la dénomination de café de spécialité. C’est un terme éculé.”

Vandille. “Chez nous, c’est le type de café qui est spécial. Je travaille exclusivement avec du café 100% arabica, celui des deux types de cafés qui est généralement de meilleure qualité et plus raffiné, avec de belles marques comme Blue Mountain de Jamaïque et le café d’Hawaï. Nous avons longtemps eu du luwak, mais j’ai arrêté d’en proposer. Il était trop cher et ne se vendait pas très bien” (le kopi luwak est un café indonésien et l’un des plus chers au monde, car la cerise est d’abord mangée par des civettes, après quoi leur noyau — la graine — fermente dans leurs excréments, N.D.L.R.).

Le hater Paul Vandille: ” J’ai pas moins de quinze types de cafés que j’assemble toujours selon la recette authentique du fondateur de Brazila

Crabbe. (Rires) “Ce sont les marques de café typiques des torréfacteurs conventionnels. Nous n’en avons plus depuis longtemps. Il y a de meilleurs cafés pour moins cher. Nous proposons aussi principalement de l’arabica, mais je n’exclus pas de tomber un jour sur un bon robusta. On en trouve principalement dans les pays où la torréfaction est foncée, comme en Italie. Bien sûr, il est bien moins cher, mais ce n’est pas vraiment mon préféré non plus. Cela dit, je suis heureux d’apprendre que vous avez arrêté le luwak, car ce n’est pas vraiment responsable. On ne sait pas comment sont traitées ces civettes, elles sont souvent enfermées dans des cages dans de mauvaises conditions. C’est un peu le même problème qu’avec le foie gras.”

Le lover Jens Crabbe: “Par principe, nous ne proposons pas d’assemblages. Je veux offrir un café sélect provenant de petits cultivateurs et je trouve important de percevoir l’acidité du café

To blend or not to blend

Vandille. “Chez Brazila, nous sommes fiers de nos assemblages. J’ai pas moins de quinze types de cafés que j’assemble toujours selon la recette authentique de feu monsieur Leconte, le fondateur de Brazila. Mes clients adorent ces saveurs et viennent spécialement pour cela.”

Crabbe. “Par principe, nous ne proposons pas d’assemblages. Je veux offrir un café sélect provenant de petits cultivateurs, d’une plantation spécifique dans une région spécifique. Ce n’est qu’ainsi que l’on goûte réellement le terroir du café. Les assemblages servent à ajouter du goût et du corps. Je trouve justement important de percevoir l’acidité du café. Plus la plante pousse haut, plus le café est acide. C’est un signe de qualité. Il ne faut pas dissimuler l’acidité par la torréfaction.”

Vandille. “Je n’aime pas le café torréfié de cette façon. Dernièrement, ma fille m’a fait goûter un café de ce type. Je le trouve trop acide. Je préfère les saveurs intenses.”

Crabbe. “J’avoue que mon café est plus acide que le vôtre, mais il n’est pas vraiment acide. Plutôt fruité.”

Torréfaction claire ou foncée

Vandille. “Je torréfie toujours par petites fournées pour vendre le café le plus frais possible. Si les gens veulent du Blue Mountain, je leur demande de le commander. Je préfère ne pas le moudre trop longtemps à l’avance. Il perd alors de son arôme. J’utilise trois torréfactions: claire, moyenne et foncée pour notre assemblage italien. Mais c’est une question de goût. Plus la torréfaction est claire, plus le goût est doux. Nous commençons toujours par l’assemblage avant la torréfaction. Nos single origins sont évidemment torréfiés séparément.”

Paul Vandille
Paul Vandille

Crabbe. “Quel torréfacteur utilisez-vous?”

Vandille. “Un Probat 22 kilos.”

Crabbe. “Ah, c’est le même que le mien. (Ricane) Mais vous n’avez donc pas de torréfaction séparée pour le slow coffee?”

Vandille. “Non, nous ne servons pas de café filtre. Si les gens veulent en préparer chez eux, je leur recommande notre torréfaction la plus claire.”

Crabbe. “Pour faire ressortir au mieux les saveurs du terroir, nous préférons la torréfaction claire. Plus la torréfaction est foncée, plus le café aura des arômes de noix et de caramel. Notez que même un café légèrement torréfié peut avoir un goût sucré, mais uniquement parce que cela fait partie de l’arôme de ce café. Si la torréfaction est trop claire, notre café devient trop acide, mais si la torréfaction est trop foncée, les acides disparaissent et il devient alors inutile d’acheter un café d’une telle qualité. Si la torréfaction est trop foncée, le grain est carbonisé, ce qui camoufle les délicats arômes du café. Le temps d’extraction de l’espresso étant plus court, l’eau ne s’imprègne que brièvement de l’arôme, c’est pourquoi sa torréfaction est plus foncée. Pour le café filtre, l’eau s’écoule plus lentement, ce qui laisse au grain dont la torréfaction est plus claire le temps de révéler toutes ses saveurs subtiles. C’est pourquoi les différentes torréfactions sont importantes. Votre torréfaction la plus claire est probablement plus foncée que notre torréfaction pour espresso.”

Le choc des générations

Vandille. “Je trouve incroyable à quel point vous êtes passionné et j’apprends beaucoup. C’est ce qui me plaît dans ce métier. Je suis aujourd’hui retraité, mais je continue à rechercher les meilleurs cafés. Bien sûr, je réfléchis toujours en fonction de mes clients. J’achète ce qu’ils aiment. Je pense que c’est différent pour la nouvelle génération.”

Crabbe. “Évidemment, je n’avais pas de tradition à perpétuer. J’ai commencé il y a dix ans et j’ai directement donné mon propre cachet au café. Cela a eu l’avantage de pouvoir être beaucoup plus progressiste. Je ne peux offrir à mes clients que ce que j’ai. Les clients ne savent pas toujours exactement de quoi ils parlent, c’est donc à nous de les conseiller. Par exemple, le lait n’a sa place que dans un espresso et non dans du café filtre.”

Vandille. “Nous n’aurions jamais osé faire cela à notre époque” (rires).

Crabbe. “J’avoue qu’il y a une forme de snobisme dans le café. Autrefois, on le plaçait dans le luxe de certaines marques de café comme Blue Mountain qui se vend à 200 euros le kilo et aujourd’hui, il se situe plutôt dans l’origine du café et dans la façon dont il est traité, par exemple washed ou natural.”

Vandille. “Quant à nous, le natural (le grain n’est pas lavé, mais sèche dans sa pulpe) nous semblait une hérésie. Avant, la saveur devait être intense et savoureuse et aujourd’hui, elle doit être spécifique. Mais j’aimerais toutefois venir déguster un café chez vous.”

Crabbe. “Moi de même.”

Jens Crabbe, le lover

– Il est le propriétaire du MOK Coffee à Bruxelles et à Leuven

– Il torréfie ses grains de café depuis dix ans et préfère la torréfaction claire

– Il achète du café single origin auprès de petits cultivateurs

– Il propose de l’espresso et du slow coffee

– Il préfère ne plus parler de café de spécialité, car il trouve le terme éculé

– www.mokcoffee.be

Paul Vandille, le hater

– Il est le propriétaire du Brazila à Knokke et à Bruges, torréfacteur emblématique des années 1930

– Il a relancé Brazila en 1992 après huit ans de fermeture

– Il prépare toujours les mêmes assemblages que le fondateur en 1930

– Il préfère la torréfaction foncée

– Il achète un café de qualité auprès des cultivateurs

– Il sert uniquement de l’espresso

– Le terme de café de spécialité lui est étranger

– Brazila.be

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