La Clean Beauty est elle vraiment clean?

© Gorgeous Georges Studio

La clean beauty, qui favorise les cosmétiques sans substances nocives, a changé l’industrie. Elle a apporté plus de transparence et de conscience. Mais elle a aussi engendré de la désinformation et du marketing de la peur. Et elle suscite de plus en plus de réactions.

Alors que la clean beauty fait rage ces dernières années, c’est du mouvement green beauty datant d’une vingtaine d’années qu’elle est née. À l’époque, on considérait encore les marques naturelles comme des marques de hippie et elles souffraient du greenwashing de concurrents malhonnêtes. Ce greenwashing a été vaincu par l’arrivée des labels bio qui ont imposé des critères clairs et donné aux consommateurs une base sur laquelle se reposer. Ils ont également interdit certaines substances, comme les conservateurs, parfums ou colorants chimiques. Une étude réalisée en 2004, qui révélait un lien présumé entre les parabènes — les conservateurs les plus utilisés à l’époque — et le cancer du sein, a mis le feu aux poudres. Rétrospectivement, cette étude s’est révélée fausse, mais le mal était fait. Les parabènes ont été relégués aux oubliettes selon le principe “pas de fumée sans feu”. D’autres ingrédients, comme les silicones, les phtalates et certains filtres UV, ont également fait l’objet de controverses, alimentées par des ONG, des organisations de consommateurs et des marques opportunistes qui rejetaient toute “substance suspecte” et utilisaient cette donnée comme argument de vente.

Hiram Green, parfumeur: Tout produit cosmétique vendu dans l’UE est clean par définition, puisque la législation européenne interdit les substances toxiques dans les cosmétiques.

Ce procédé a particulièrement marché aux États-Unis, où une législation archaïque ne protège guère les consommateurs. À titre de comparaison, seules 9 substances cosmétiques sont interdites aux États-Unis, alors que l’UE en répertorie plus de 1 300. Les marques de beauté propre comme Tata Harper et Drunk Elephant rassuraient les consommateurs en communiquant de manière transparente sur leurs ingrédients et leurs politiques de durabilité. Leur philosophie s’inscrivait parfaitement dans le mouvement “clean lifestyle”: faire du yoga, des détox, de la méditation et pratiquer la pleine conscience pour s’alimenter, prendre soin de sa peau ou trier les déchets. Cette pleine conscience a pris de l’ampleur dans la même mesure que les problèmes environnementaux et les scandales sanitaires. Les consommateurs exigent des marques qu’elles fabriquent des produits “cleans”, mais aussi qu’elles le fassent de manière durable et éthique.

Les grandes entreprises ont pris plus de temps à réagir. “Repenser les formules est un processus de longue haleine”, explique Véronique Labatut, responsable du laboratoire des soins pour la peau à La Roche-Posay. “De plus, il n’existe pas toujours une alternative pour chaque ingrédient.” Nous travaillons aussi beaucoup sur la durabilité. “D’ici 2030, 95% de nos ingrédients seront issus de sources renouvelables ou de l’économie circulaire. Cela semble encore loin, mais nous dépendons de nos fournisseurs, qui doivent changer leur façon de cultiver en adoptant des méthodes plus écologiques. Par ailleurs, nous améliorons sans cesse l’empreinte écologique de nos produits, sans faire de compromis sur la sécurité, l’efficacité ou l’aspect sensoriel. Chaque nouveau produit doit répondre à de nombreux critères, ce qui prend du temps.”

Marketing créatif

“Tout le monde parle de beauté propre, mais comme il n’y a pas de définition officielle, chaque marque en donne son interprétation”, explique Véronique Labatut. Initialement, on se concentrait sur la sécurité des composants, mais l’attention s’est progressivement élargie sur la durabilité des formules, des ingrédients, de la production et des emballages. Ce que la formule ne contient pas est plus important que ce qu’elle contient. Par exemple, la société américaine Drunk Elephant bannit systématiquement 6 ingrédients (huiles essentielles, silicones, filtres UV chimiques, laurylsulfate de sodium, parfums et colorants, alcool) qu’elle appelle “The Suspicious 6”. En faisant de la mention “sans” ou “no nasties” un argument de vente, les marques suggèrent que les autres produits sont dangereux, ce qui rend les consommateurs réticents à les utiliser. Ce n’est pas très éthique et c’est pourquoi l’UE a interdit ce type d’allégation.

“De nombreuses marques affirment être spéciales en bannissant certaines substances”, explique le Canadien Hiram Green, qui fabrique des parfums naturels. “On me demande régulièrement s’il y a des parabènes dans mes parfums. Mais le parfum n’a pas besoin de conservateurs. Vous n’en trouverez donc pas dans les parfums, ni dans ceux des marques bon marché ni dans ceux des grandes marques.” Il estime aussi que les termes de type “cruelty-free” et “végane” sont souvent trompeurs. “Les tests sur les animaux sont interdits depuis des années dans l’UE, donc tout produit vendu ici est automatiquement “cruelty-free”. Et ce n’est pas parce qu’une formule n’est pas végane qu’elle n’est pas respectueuse des animaux. Par exemple, pas besoin de maltraiter ou de tuer des abeilles pour obtenir de la cire d’abeille.” Selon Hiram Green, ces allégations de “sans” donnent aux consommateurs un faux sentiment de sécurité. “Tout produit cosmétique vendu dans l’UE est clean par définition, puisque la législation européenne interdit les substances toxiques dans les cosmétiques.”

Un autre terme souvent utilisé est “naturel”. “Beaucoup de gens pensent que les extraits naturels sont moins nocifs”, explique Véronique Labatut, “mais la nature a aussi ses poisons. De plus, les conditions de chaque récolte varient et atteindre une qualité constante et pure n’est donc pas facile. Ce problème ne se pose pas avec les ingrédients de synthèse.” Le terme “naturel” est trompeur, estime Hiram Green. “De nombreuses marques affirment aujourd’hui que leurs parfums sont naturels, mais si vous utilisez de l’alcool naturel, votre eau de parfum est déjà à 90% naturelle. Même si elle contient 10% de concentré de parfum composé uniquement de molécules de synthèse.”

Pour les néophytes, les listes d’ingrédients sont littéralement du charabia, souvent incompréhensibles et difficiles à évaluer.

Tiffany Masterson, de la marque Drunk Elephant, précurseure de la beauté propre, admet aussi que les choses vont trop loin. Elle utilise d’ailleurs de moins en moins le mot “clean”. “Aujourd’hui, je préfère parler d’ingrédients biocompatibles, respectueux de la peau, que l’on peut combiner sans problème.” La marque Clarins aussi se base sur les critères de la beauté propre, même si elle n’utilise jamais ce terme. “La définition du mot “clean” est multiple, diffère d’un pays à l’autre et ne s’applique pas de la même manière à tous les ingrédients.” C’est ce que constate Olivier Courtin, le PDG de Clarins. “Nous préférons utiliser le mot “green”. Il décrit mieux nos produits, qui sont naturels à 93% en moyenne. Notre objectif n’est pas d’être naturels à 100%, nous voulons surtout que l’utilisation de nos produits soit agréable, efficace et sans danger.” Marie-Hélène Lair, directrice de la communication scientifique, ajoute: le terme “clean” laisse entendre que l’on retire certains ingrédients. Mais cela ne rend pas nécessairement un produit plus efficace ou plus sûr.”

Tous experts en beauté

Pour les néophytes, les listes d’ingrédients sont littéralement du charabia, souvent incompréhensibles et difficiles à évaluer. Des applis ont donc été conçues pour scanner les produits et les listes d’ingrédients à la recherche de substances “suspectes”, comme Good Face Index, Yuka, Think Dirty, Clean Beauty… Mais ces applis ne sont pas sans faille, précise Véronique Labatut: “Chaque appli se base sur sa définition de ce qui est “propre” et met l’accent sur différents aspects. Certaines se concentrent davantage sur la durabilité des ingrédients, d’autres sur les ingrédients controversés. Mais la sécurité d’un ingrédient est déterminée par la dose, la manière et la fréquence d’utilisation du produit. Ces applis n’en tiennent pas compte. Elles affichent une couleur ou un score en fonction de la présence d’un ingrédient, sans connaître les formules.”

Les réseaux sociaux sont une autre source d’information. La même plateforme qui a contribué à la diffusion et à la popularité de la philosophie de la beauté propre est aujourd’hui utilisée par de plus en plus d’experts en beauté. Plusieurs dermatologues, scientifiques et autres experts en cosmétiques de renom ont des comptes sur Instagram ou TikTok sur lesquels ils expliquent certaines choses, séparent les infos des intox et informent leurs followers. On y présente des sujets compliqués et nuancés sous forme de capsules digestes aux consommateurs affamés d’informations. C’est une bonne chose, selon Véronique Labatut: “Les informations correctes atteignent plus rapidement et plus simplement le consommateur.”

Charlotte Palermino
Charlotte Palermino© Gorgeous Georges Studio

Les “skinfluencers” à suivre

Charlotte Palermino

@charlotteparler

Entrepreneuse beauté et ancienne journaliste

Ranella Hirsch
Ranella Hirsch© Gorgeous Georges Studio

Ranella Hirsch

@ranellamd

Dermatologue

Michelle Wong
Michelle Wong© Gorgeous Georges Studio

Michelle Wong

@Labmuffinbeautyscience

Chercheuse en cosmétiques

Esther Olu
Esther Olu© Gorgeous Georges Studio

Esther Olu

@themelaninchemist

Chercheuse en cosmétiques

Caroline Hirons
Caroline Hirons© Gorgeous Georges Studio

Caroline Hirons

@carolinehirons

Ancienne esthéticienne, auteur et skinfluencer

Dustin Portela
Dustin Portela© Gorgeous Georges Studio

Dustin Portela

@208skindoc

Le dermatologue TikTok le plus célèbre d’Amérique

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content