La bataille du vin

L'auteur de vin anglais Jancis Robinson a créé le verre à vin universel parfait avec le créateur londonien Richard Brendon.

Faut-il un verre différent pour chaque vin? Les producteurs et les négociants aimeraient vous en persuader. Un énorme business de verres à vin s’est développé, où l’on se livre à la bataille du plus beau design. Et de la plus grande part de marché.

Longtemps, le verre à vin a été considéré comme un récipient neutre. Mais Claus Riedel, fondateur de la marque éponyme de verres à vin, a révolutionné la dégustation du vin. Il a démontré qu’un vin ne peut s’épanouir que dans un verre adapté. C’est pourquoi il a conçu différents verres pour différents vins. Cela lui a porté chance commercialement: il en a fait une marque mondiale.

Les Riedel, d’origine tchèque, ont toujours été une famille de verriers en Bohême, région réputée dans le monde entier pour être le haut lieu du soufflage du verre. Après 1945, Claus Riedel s’est installé à Kufstein, en Autriche, en plein coeur des vignobles. L’un des vignerons lui a demandé de concevoir un verre à vin. C’était l’étincelle d’une passion qui ne l’a jamais quitté.

Claus Riedel a découvert que chaque forme de verre estompe ou souligne chacun des arômes du vin. Un exemple bien connu est le haut du verre plus étroit, ce qui concentre les arômes à l’endroit précis où l’on porte le verre au nez ou à la bouche. Les grands verres, quant à eux, laissent évoluer l’expression aromatique d’un vin, car l’apport en oxygène est plus important.

Claus Riedel a également conçu des verres dans le but d’acheminer le vin vers une zone précise de la bouche. Par exemple, il affirmait que son verre à vin doux acheminait la liqueur de chaque côté de la langue, car c’est là que les acides sont le mieux perçus, ce qui crée un meilleur équilibre des saveurs. Son verre à riesling, un vin avec une généreuse acidité, fait en sorte que le vin touche d’abord l’avant de la langue, où la douceur fruitée peut mieux s’exprimer.

Salle de concert

Peu à peu, toutes les régions viticoles du monde souhaitaient la fabrication d’un verre spécifique pour leurs vins, si bien que la collection n’a cessé de s’agrandir. Et ces verres ont aussi acquis une reconnaissance artistique. Certaines créations de Claus Riedel font partie de la collection permanente du Museum Of Modern Art de New York.

Les verres de Claus Riedel sont coûteux, c’est pourquoi la famille a racheté la marque de verres plus modeste Spiegelau, pour répondre à la demande d’un segment plus abordable sur le marché.

Jean-Pierre Lagneau, créateur de verres français pour Spiegelau, a qualifié le verre à vin de “salle de concert du vin”. Pour lui, “tout comme la salle de concert fait le lien entre l’artiste et le public, le verre lie le vigneron et celui qui boit. Ce n’est qu’alors que la symphonie des saveurs est réellement mise en valeur.” Claus Riedel a dû particulièrement apprécier cette citation.

Le principal concurrent de Riedel était Schott Zwiesel, sous-marque de Schott AG, un grand fabricant multinational allemand de verre pour les applications les plus diverses. Cette société a mis au point et breveté un nouveau matériau pour les verres à vin, le Tritan, qui allie l’élégance et la clarté du cristal à une solidité, une résistance aux rayures et une résistance aux chocs sans précédent. Une invention que Claus Riedel n’avait pas vue venir. Et pour remuer le couteau dans la plaie, Robert Hartel et Andreas Buske, deux managers de Schott Zwiesel, ont retiré la marque de la société mère en 2001 par le biais d’un management buyout. Ils ont rebaptisé la marque Zwiesel, qui est la ville allemande dans laquelle les verres sont produits, et ont revitalisé l’entreprise. Toutefois, en raison de la renommée mondiale de Schott Zwiesel, la société a continué à vendre des verres à vin sous ce nom.

Impossible à améliorer

Longtemps, la concurrence sur le marché mondial du verre à vin s’est en grande partie limitée à ces deux acteurs: Riedel/Spiegelau et (Schott) Zwiesel. Ensemble, ils contrôlaient les trois quarts de la production mondiale de verres à vin.

Cette forte position sur le marché a été menacée il y a une dizaine d’années par de nouveaux producteurs de verre proposant un design innovant. Parmi ceux-ci, l’entreprise autrichienne Zalto a réussi à tirer son épingle du jeu. Avec ses verres à vin légers et soufflés bouche, Zalto a su allier “un savoir-faire ancestral à une esthétique moderne”.

Après tout, Zalto est le nom de famille d’une ancienne lignée de designers de verre. Ceux-ci ont quitté Venise, autrefois le centre européen du soufflage du verre, pour se rendre en Autriche et s’y installer près de la frontière avec la République tchèque, la patrie — oui — des Riedel. C’est la sixième génération qui a eu l’idée de bouleverser le marché du verre à vin avec le “verre à vin ultime pour le 21e siècle”.

Cette mission a réussi, car depuis plusieurs années, les verres à vin Zalto sont devenus la nouvelle norme pour les sommeliers, les viticulteurs, les critiques et les amateurs de vin. Ils séduisent par leur verre très fin, leur somptueux design et leur incroyable légèreté.

Le verre ultime

Mais la marque Riedel a riposté par un coup d’une agressivité sans précédent. Par le biais de sa marque plus abordable Spiegelau, elle a lancé une nouvelle gamme de verres: Spiegelau Definition, une copie presque identique des verres Zalto. Seulement, ils n’étaient pas soufflés bouche, mais fabriqués en usine, ce qui les rendait plus solides et moins susceptibles de casser. Et ils étaient trois fois moins chers. Le résultat ne s’est pas fait attendre: les verres Spiegelau Definition ont rapidement fait leur apparition dans les restaurants gastronomiques et bistronomiques. Les verres à vin ont beau être délicats, le business qui les entoure est dur comme la pierre.

La bataille du vin

C’est de Grande-Bretagne que nous est arrivée une affirmation inattendue concernant les verres à vin. On la doit à Jancis Robinson, critique de vin britannique de renommée mondiale, Master of Wine et auteur de l’ouvrage de référence The Oxford Companion to Wine. Elle a décrété que c’était un mythe qu’il faut un verre différent pour chaque type de vin. Pour elle, un seul type de verre à vin suffit, du moins s’il répond à certains critères de base. Et pour prouver cette déclaration, elle a conçu, avec le designer londonien d’articles de table Richard Brendon, le parfait verre à vin universel, sous la devise “One glass for every wine”.

Quels sont ces critères de base, selon elle? Pour commencer, le calice doit être suffisamment spacieux pour permettre aux arômes de s’exprimer. Le haut du verre est un peu plus étroit, ce qui concentre les arômes à l’endroit précis où l’on porte le verre au nez ou à la bouche. Par ailleurs, Jancis Robinson n’est pas insensible aux effets psychologiques d’un beau verre à vin: il doit respirer le raffinement et l’élégance, ce qui se reflète sur l’expérience du vin. Un pied fin et allongé, un bord de verre fin et la légèreté du verre renforcent ce sentiment de sophistication et de qualité. “Si tout cela est réuni dans un seul verre, dit-elle, on n’a tout simplement pas besoin d’autres verres pour apprécier le vin.” Ce n’était probablement pas son intention, mais c’était un désaveu total du business du verre à vin que personne n’avait vu venir.

Le verre de Jancis Robinson est disponible sur vinetiq.eu, les verres Zalto sur adbibendum.be, les verres Spiegelau Definition sur start2taste.be

Un bon verre à vin a

– Un calice spacieux, permettant au vin de “respirer”.

– Le haut du calice qui s’incline légèrement vers l’intérieur au sommet.

– Un bord fin pour siroter le vin.

– Un pied fin et allongé, pour prendre le verre à vin en main.

– Un poids léger, pour ne sentir que le poids du vin.

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