Barbara Salomé Felgenhauer : la photographe qui conjugue l’amour de soi au masculin
Son idée de départ était toute simple : photographier des hommes qui accepteraient de tomber le tee-shirt pour poser devant l’objectif. La réalité s’est révélée un peu plus complexe. Bienvenue au coeur de l’exposition “Torse à nu” de la photographe Barbara Salomé Felgenhauer.
Un complexe se trouve au croisement d’une histoire intime et sociale Marino Carnevale
De la cour de récréation à l’open space, notre physique influence la manière dont les autres nous perçoivent. Et dont nous nous percevons. “Dès la naissance, le corps de l’enfant est au centre des échanges (bains, soins, repas, câlins). Dans la construction des liens avec les parents et les proches, le regard, le discours et l’attitude de ceux-ci peuvent être le terreau de complexes”, explique Marino Carnevale, psychologue clinicien et psychothérapeute. Ces complexes peuvent apparaître très rapidement chez l’enfant qui, une fois adulte, se retrouve en proie à un manque d’estime de soi.
Le mouvement Body Positive invite les femmes du monde entier à (s’)assumer (notamment leurs rondeurs) sur les réseaux sociaux. Malgré de véritables avancées (pensez aux mannequins plus size), la déferlante d’images et de hashtags n’a pas éradiqué la stigmatisation et la discrimination des personnes obèses ou en surpoids. La preuve, à côté d’autres mots issus des débats sociaux et politiques pile dans l’air du temps (la charge mentale ou le poids intellectuel de la gestion du quotidien, le dégagisme de Mélenchon, ou encore le frotteur, cet homme aux mains baladeuses dans le métro), le terme grossophobie a fait sa malheureuse entrée dans le Petit Robert 2019 et son pendant illustré. Une attitude à combattre en dénonçant les mythes de la féminité et de la masculinité. Pour une véritable égalité entre les femmes et les hommes.
L’homme, une femme comme les autres
Tu seras viril mon kid Tu tiendras, dans tes mains, l’héritage iconique d’Apollon Et comme tous les garçons, tu courras de ballon en champion Et deviendras mon petit héros historique Eddy de Pretto
Les hommes ne sont pas épargnés par les diktats de la beauté. Aujourd’hui, le marché des cosmétiques au masculin est en plein essor, comme en témoigne la ligne de maquillage Boy de Chanel. Or, aux yeux de certains, se soucier de son apparence écorne la virilité. Cette kyrielle de rôles et d’attributs qui sont réputés définir ce qu’est un homme dans notre société genrée. Par conséquent, beaucoup d’hommes ne s’interrogent pas sur leur identité ou leurs besoins. Ils suivent une ligne de conduite toute tracée, qui leur interdit de pleurer et leur impose de subvenir aux besoins de leur famille par exemple. On parle alors de masculinité toxique, très bien illustrée dans “Je suis un homme, un vrai“, le court-métrage bouleversant d’Aurélien Mathieu qui dénonce les injonctions faites aux petits garçons. Ou encore de virilité abusive à laquelle s’attaque Eddy de Pretto, le chanteur qui avait peur du regard de son père quand il était enfant, dans son morceau “Kid“. De quoi rappeler que la gent féminine n’est pas la seule à faire l’objet de sexisme.
“Les hommes baignent dans une culture qui les pousse à considérer leur corps comme une machine, dont les rouages doivent être solides et performants. La comparaison entre pairs, qui fait écho à des pressions sociales véhiculées par les adultes ou les médias, peut devenir un territoire extrêmement blessant. Honteux, certains hommes ne se confient pas sur leurs souffrances. D’autres peuvent développer une agressivité vis-à-vis de l’extérieur, voire vis-à-vis d’eux-mêmes (automutilation). En réalité, un complexe se trouve au croisement d’une histoire intime et sociale”, précise Marino Carnevale.
Ode à la beauté naturelle
Parce qu’elle a longtemps été complexée par son physique, la photographe Barbara Salomé Felgenhauer (26 ans) aide les femmes à se réconcilier avec leur corps. À travers son exposition “Torse à nu” à découvrir chaque vendredi et samedi de 18 à 23 heures jusqu’au 23 février à l’Aquilone à Liège, l’artiste aussi charmante que brillante a créé, avec les hommes cette fois, un dialogue sur l’amour de soi.
Après une adolescence imprégnée de mode belge par le biais de la profession de vidéaste de ses parents et une formation en photographie à l’École Supérieure des Arts Saint-Luc de Liège, Barbara Salomé Felgenhauer s’installe à Bruxelles. Elle devient alors l’assistante de Merel T’hart, une photographe de mode et de publicité talentueuse. Ensuite, tout s’enchaîne relativement vite, à coups d’éditoriaux mode et d’une première expo (“The Blues Highway”, dédiée à son road-trip aux États-Unis). Autant d’expériences qui la conduisent à l’Institut royal du Patrimoine artistique où elle photographie l’inventaire mobilier de la Région de Bruxelles-Capitale.
Bien qu’il soit acteur, Oscar était terrifié à l’idée d’enlever son tee-shirt Barbara Salomé Felgenhauer
Aujourd’hui, dans son propre studio à Liège, Barbara met son amour de l’esthétique au service du réel, avec le soutien de Job’in au sein d’une couveuse d’entreprise. Son exposition “Torse à nu” nous fait voyager en Europe – de Madrid à Berlin en passant par la Zélande, Bruxelles et bien sûr Liège – et dans le temps puisque ses quatorze modèles ont entre 20 et 50 ans. C’est ainsi que nous faisons la connaissance, par portrait interposé, d’Oscar capturé au soleil couchant. “Bien qu’il soit acteur, Oscar était terrifié à l’idée d’enlever son tee-shirt. Il a réfléchi à la question pendant 24 heures et ce n’est que le lendemain de notre rencontre, à la tombée de la nuit, qu’il s’est décidé”, raconte Barbara. Nous découvrons aussi le torse dénudé de Manuel dans une scène du quotidien. Si le jeune homme n’a pas hésité une seule seconde à poser pour la photographe qui n’est autre que celle qui partage sa vie, joindre l’acte à la parole s’est révélé plus complexe qu’il ne l’avait imaginé. “Pour se mettre à l’aise, il a cuit des pâtes”, s’amuse Barbara.
La photographe n’a rien imposé à ses modèles, sauf d’être torse nu. “De manière générale, je suis assez spontanée. Je n’aime pas trop prévoir les choses. Pour ce projet, je ne savais pas où j’allais atterrir, car ce sont les modèles qui ont choisi nos lieux de rendez-vous.” Résultat : des moments pris sur le vif. Des émotions capturées en un éclair. “Une séance durait en moyenne entre 15 et 30 minutes. Je ne pouvais pas dépasser ce laps de temps. Au-delà de la demi-heure, les anxieux se crispaient davantage. Et les plus détendus au départ prenaient des poses qui manquaient de naturel”, souligne Barbara.
Et la jeune photographe de conclure en commentant une photo : “Lorsque celle-ci a été prise, Constantin traversait une phase difficile et il avait grossi. En découvrant son portrait, il m’a demandé de le retoucher, ce que j’ai refusé de faire. Aujourd’hui, il a perdu le bourrelet qu’il trouvait disgracieux et est heureux que j’aie immortalisé cette période de sa vie, car elle fait partie de son histoire.”
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