Spirale déflationniste pour l’or

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Le métal jaune a connu en 2013 sa pire année depuis plus de trois décennies avec une chute de 28 % et apparaît toujours aussi fragile en raison de la désaffection des investisseurs. Les compagnies aurifères en sont les premières victimes.

Septembre 2011, l’once d’or dépasse les 1.900 dollars sur fond de nouveau plan de soutien de la Réserve fédérale américaine (opération Twist*) et les marchés spéculent sur la date à laquelle il atteindra les 2.000 dollars. L’or ne passera jamais ce cap malgré un important troisième plan d’assouplissement monétaire quantitatif annoncé un an plus tard.

Protection contre des risques inexistants

Ces nouvelles injections de liquidités ne sont en effet pas traduites par une hausse de l’inflation qui a plafonné à près de 4 % en août-septembre 2011 aux Etats-Unis. Ces derniers mois, la hausse annuelle des prix à la consommation a nettement ralenti outre-Atlantique à 1,7 %. Cela enlève à l’or son principal atout aux yeux des marchés : le maintien du pouvoir d’achat, la quantité d’or étant par essence limitée contrairement à la quantité de monnaie.

A l’époque, les amateurs d’or misaient également sur un affaiblissement du dollar en raison de la création monétaire consécutive aux plans d’assouplissements quantitatifs (près de 4.000 milliards de dollars). La Banque du Japon et la Banque centrale européenne (BCE) ont toutefois appliqué des remèdes similaires pour relancer leur économie, ce qui s’est traduit par une hausse du billet vert.

Par ailleurs, le renforcement de la cohésion de l’euro a également pesé, l’or étant considéré comme une valeur refuge en cas d’implosion de la monnaie unique. Le cours du métal jaune a ainsi plongé de 1.700 à 1.250 dollars l’once au cours des 12 mois suivant l’annonce par la BCE de son Outright Monetary Transactions (OMT), un programme permettant à l’institut francfortois d’intervenir sur les marchés si un pays de la zone euro demande une aide financière.

Depuis l’année dernière, l’or souffre également de la crise dans les pays émergents. L’Inde, ex-premier consommateur mondial d’or, a ainsi imposé des droits de douane et des limitations à l’achat afin d’améliorer sa balance commerciale, réduisant de moitié ses importations d’or à une centaine de tonnes par trimestre. En Chine, premier consommateur depuis l’année dernière, la demande a chuté de moitié au second trimestre 2014 sur fond de ralentissement économique et de lutte contre la corruption. Les banques centrales émergentes, confrontées à la nécessité de protéger leur devise, ont par ailleurs limité leurs achats d’or, la demande globale des banques centrales passant de 544 tonnes en 2012 à 409 tonnes en 2013 selon le World Gold Council.

Poursuite de la chute attendue

Au total, la demande mondiale d’or a chuté de plus de 4.700 tonnes en 2011 à 3.905 tonnes au cours des 12 derniers mois (fin juin, données les plus récentes). La majeure partie de ce repli est liée aux instruments financiers – essentiellement les ETF (exchange-traded fund )misant sur l’or – qui ont réduit leurs positions chaque trimestre depuis début 2013, selon le World Gold Council. En 18 mois, ils ont ainsi vendu pour 42 milliards de dollars d’or en raison de la désaffection des investisseurs, comme George Soros qui a vendu ses parts dans l’ETF SPDR Gold Trust entre 2011 et 2013 pour un total de plus d’un demi-milliard de dollars.

La demande globale d’investissements est toutefois restée positive grâce aux lingots et pièces qui ont même atteint un niveau record en 2013 avant de chuter de moitié au premier semestre 2014. Cela a prolongé la correction de l’or malgré la quasi-stabilisation des avoirs des ETF après une chute d’un tiers en 2013, selon les données de l’agence Bloomberg.

Le prix du métal jaune apparaît ainsi de plus en plus dépendant des investisseurs, les besoins de la bijouterie (un peu plus de 2.000 tonnes par an) et de l’industrie (400 tonnes par an) restant relativement stables et inférieurs à la production minière annuelle de 2.800 à 3.000 tonnes. Selon George Zivic, gérant chez Oppenheimer Funds, “il n’y a pas de théorie d’investissement favorable à l’or actuellement”.

“Avec la probable hausse des taux aux Etats-Unis (la Fed prévoit une première remontée mi-2015, Ndlr) et l’appréciation du dollar, il devient onéreux (l’or ne générant pas de revenus, Ndlr) de conserver de l’or comme couverture d’un portefeuille. Et les craintes d’inflation sont pour ainsi dire inexistantes.” Gan Barnabas, économiste chez OCBC, précise également que l’attente d’une accélération de l’économie nord-américaine et mondiale l’année prochaine devrait également contribuer à réduire les risques ressentis par les investisseurs et donc peser sur le cours du métal jaune.

De nombreux analystes estiment ainsi que l’or retournera vers les 1.000 dollars l’once, voire un niveau moindre. Georgette Boele, analyste chez ABN Amro, mise même sur un cours de 800 dollars d’ici la fin 2015.

Une protection coûteuse

Les perspectives pour le métal jaune ne justifient donc guère actuellement de position dynamique. La conservation d’or en portefeuille relève ainsi davantage de la conviction. D’une part, on retrouve les chauds partisans du métal précieux qui arguent du maintien de valeur sur le long terme et la protection contre les crises potentielles. D’autre part, beaucoup demeurent sceptiques, comme Warren Buffett dont le bras droit chez Berkshire Hathaway, Charlie Munger, lançait en 2012 un cinglant : “Les personnes civilisées n’achètent pas d’or.” L’oracle d’Omaha insistait sur le fait que l’or ne produit aucun revenu. A l’époque, tout l’or du monde valait 9.600 milliards de dollars, de quoi acheter toutes les terres agricoles des Etats-Unis (produisant pour 200 milliards de dollars de denrées par an) et 16 fois Exxon Mobil (profit annuel de 30 à 40 milliards de dollars) tout en conservant 1.000 milliards de dollars en cash. A contrario, l’or, conservé dans un coffre, coûte.

* L’opération Twist consistait pour la Fed à troquer ses titres à court terme pour d’autres à long terme afin de réduire les taux d’intérêt à long terme, moins dépendants des taux directeurs de la banque centrale.

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