Toi aussi commercialise tes données !

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Jusqu’ici contrôlées par les marques et les géants du Web, les données personnelles des individus pourraient bientôt revenir dans leur propre escarcelle. Objectif : une réappropriation pour une exploitation plus juste.

Faire de l’argent, beaucoup d’argent, avec quelque chose qui ne leur appartient pas. En quelques gros traits caricaturaux, voilà le business model des géants Google et Facebook. Inexistants il y a 15 ans à peine, ces “nouveaux” acteurs de l’économie mondiale ont un indéniable point commun : ils ont bâti leur renommée sur l’audace et leur empire financier sur l’exploitation sans scrupules des données personnelles des internautes, à leur insu. Décrit comme le “new oil” (le nouveau pétrole) par plusieurs stratèges, ce trésor informatique que l’on nomme big data permet en effet à Google et Facebook de cibler chaque consommateur potentiel avec un message commercial pertinent. Et donc d’engloutir ensemble plus de 40 % du gâteau mondial de la publicité en ligne…

Soucieuses de connaître toujours mieux leurs clients, les marques ont évidemment surfé sur la tendance, s’appropriant rapidement les données mises à leur disposition, qu’elles soient payantes ou non. Ainsi, Coca-Cola reconnaissait récemment que les informations recueillies auprès de ses 90 millions de fans sur Facebook, croisées avec d’autres sources d’informations émanant des points de vente et des sites d’e-commerce, lui permettaient d’adapter sa stratégie commerciale en temps réel et donc de procéder à un réapprovisionnement rapide ou au lancement d’une opération publicitaire spécifique.

Se réapproprier ses données

Généralement peu ou pas conscient de cette force de frappe commerciale dictée par l’obscur big data, l’internaute lambda se moquait jusqu’il y a peu de l’exploitation insidieuse de ses données par les acteurs du Web. Mais les choses sont en train de changer et des initiatives, tant privées que publiques, se mettent tout doucement en place pour inciter les consommateurs à reprendre le contrôle de leurs données personnelles.

L’un des premiers à avoir secoué le cocotier est un certain Federico Zennier. A l’époque étudiant en communication à l’Université de New York, ce jeune Américain a lancé en 2013 une opération originale visant à répertorier un maximum de données qu’il laissait lui-même sur le Net et dans la vraie vie. Adresses des sites visités, trajectoires des clics de souris, géolocalisation des déplacements physiques… Toute son activité online et offline a été enregistrée par ses soins et proposée à tout un chacun contre 2 dollars par jour et 50 dollars par mois. Objectif avoué de Federico Zennier : se réapproprier ses propres données pour les commercialiser comme bon lui semble. “Si de plus en plus de gens font la même chose que moi, alors un jour, les marketers pourraient bien payer pour obtenir nos données”, écrivait alors ce “rebelle” sur son site internet.

Prémonitoire, son constat semble aujourd’hui séduire de plus en plus de monde et les marques commencent à jouer d’ailleurs la carte de la transparence. Ainsi, aux Etats-Unis, l’opérateur télécom AT&T a innové en proposant dernièrement une réduction de tarif aux clients de son forfait “haut débit” en échange de la transmission de certaines données personnelles à des tiers. Concrètement, la personne qui sollicite ce rabais de 30 % sur sa facture accepte en retour que les informations sur les pages web qu’il a visitées soient par exemple transmises à des sociétés qui les utiliseront pour lancer une promotion ciblée.

Un nouveau type de banque

“On va évoluer vers un système où les données vont revenir aux clients, prédit Gautier Krings, responsable R&D de Real Impact Analytics, une société belge active dans l’analyse de big data. Si le marché se structure et si la régulation s’opère, les gens auront davantage confiance dans le système. On pourrait alors voir émerger de nouvelles plateformes baptisées PDS pour “Personal Data Store” et qui seraient des espèces de magasins de données personnelles où chaque individu pourrait gérer son compte comme dans une banque traditionnelle. Le client pourrait ainsi donner un mandat à ce nouvel intermédiaire pour exploiter ou non ses propres données dont il resterait le propriétaire et donc décider de les commercialiser en échange d’un avantage financier ou autre.”

Forte d’un chiffre d’affaires estimé à 7 millions d’euros cette année et d’un effectif de 65 employés, Real Impact Analytics réfléchit au développement de ce type de plateforme inédite en Belgique et joue d’ailleurs déjà ce rôle de PDS dans un programme de recherche. Une expérience que partage aussi un autre Belge, à près de 6.000 km de là. Chercheur en mathématiques appliquées au MIT Media Lab dans l’Etat américain du Massachusetts, Yves-Alexandre de Montjoye travaille en effet actuellement sur un projet appelé OpenPDS et qui s’inscrit exactement dans ce courant de réappropriation des données personnelles par le consommateur. Ce nouveau type de plateforme se développe en partenariat avec différentes sociétés, aux Etats-Unis et en Europe, dont le groupe Telecom Italia qui teste actuellement le prototype.

Maître de son profil

En Europe, certains n’ont pas attendu que le marché se régule complètement pour lancer de nouveaux services inédits. Créée en 2011 mais inaugurée il y a quelques mois dans sa version actuelle, la société française Yes Profile entend jouer un rôle prépondérant dans la monétisation des données personnelles du consommateur. Son objectif est clair : permettre à chaque individu de redevenir propriétaire de son profil, de le contrôler, de le louer aux annonceurs qu’il choisit lui-même, de recevoir des offres personnalisées et, en échange, de gagner de l’argent.

“Nous jetons un énorme pavé dans la mare car nous voulons rééquilibrer les choses, explique Christian-François Viala, fondateur de Yes Profile. Nous ne nous considérons pas comme des intermédiaires, mais plutôt comme une société de services qui fournit des outils aux individus afin de leur permettre de tirer profit de leurs propres données et qui propose en même temps aux marques de mieux cibler leurs offres.” Concrètement, Yes Profile se présente comme une plateforme sécurisée où l’internaute peut créer et gérer son profil, remplir certains modules liés à différents secteurs d’activité et entrer en contact, quand il le souhaite, avec les annonceurs de son choix pour mettre ses données à disposition contre une rémunération. Au passage, Yes Profile prend évidemment une petite commission.

Si Christian-François Viala reste muet sur le nombre de consommateurs actuellement inscrits sur sa plateforme, il précise en revanche qu’une quarantaine de marques ont déjà rejoint l’aventure et que son business devrait connaître un sérieux développement dans les semaines à venir. Sa société vient en effet de signer un partenariat avec Start’inPost, “l’accélérateur industriel” de La Poste dédié aux start-up en France, et le fondateur de Yes Profile espère donc atteindre 150.000 utilisateurs au printemps 2015 et trois fois plus dans un an. Duplicable, sa plateforme pourrait même s’installer en Belgique dans les tout prochains mois. A bon entendeur…

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