Où en est la radio du futur ?

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Dans tous les foyers de Belgique, la télévision numérique a fini par s’imposer. En revanche, la radio s’écoute encore majoritairement sur les ondes de la bande FM. Pourquoi ce traitement de défaveur ?

C’est le serpent de mer du paysage médiatique belge. Un serpent de mer digital que l’on a coutume d’appeler RNT pour radio numérique terrestre. Régulièrement, on le voit émerger de l’océan hertzien et surfer joyeusement sur les ondes du futur, telle une créature nourrie de belles promesses technologiques. Mais très vite la bête replonge et disparaît à nouveau, s’enfonçant pour de longs mois dans les profondeurs opaques des dossiers inachevés.

La radio numérique terrestre, c’est pourtant l’avenir. Un avenir qui offre non seulement une meilleure qualité de son à l’auditeur, mais surtout un contenu radiophonique enrichi de textes, d’images, de vidéos et d’interactivité via l’écran d’un récepteur qui n’a plus rien à voir avec le vieux transistor de papa. Bref, la RNT, c’est une révolution des ondes qui est déjà en marche dans certains pays comme l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, la Suisse et la Norvège, mais qui tarde à se concrétiser chez nous, faute d’infrastructures adaptées et surtout de moyens financiers.

Pourtant, il y a très exactement deux ans, Francis Goffin, directeur général des radios de la RTBF, annonçait que les Belges entreraient de plain-pied dans le monde de la radio numérique terrestre “à l’horizon 2015”. Aujourd’hui, force est de constater que l’on est loin de cet objectif et que les observateurs les plus optimistes évoquent désormais l’échéance de la fin de l’année 2016, voire le printemps 2017, pour entamer le tout début de cette révolution d’écoute en Wallonie. Alors que s’est-il passé ? En coulisse, on chuchote que ce serait “la faute aux élections”…

“C’est dommage qu’on ait raté l’opportunité d’un lancement pour les 100 ans de la radio en 2014 en fin de législature précédente du gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles, note Francis Goffin. Une belle dynamique était installée, les tests étaient positifs, mais il restait à boucler une partie du financement. Aujourd’hui, la machine est relancée avec le nouveau gouvernement et je reste optimiste quant à l’aboutissement du dossier.”

Une radio, deux vitesses

Côté flamand, en revanche, le dossier avance bien. Le mois prochain, l’opérateur privé Norkring, propriétaire de pylônes émetteurs de la VRT, va ainsi activer la technologie DAB+ (pour Digital Audio Broadcasting +) en Région bruxelloise afin d’offrir le tout premier confort d’écoute numérique à six radios flamandes. Etonnant ? Pas vraiment. Dans sa déclaration de politique régionale, la Flandre a inscrit le dossier de la radio numérique à l’agenda, contrairement à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui n’évoque même pas le sujet dans son dernier accord de gouvernement. “Il ne faut pas s’en inquiéter outre mesure, tempère Eric Adelbrecht, directeur des radios de RTL Belgique. Depuis quatre ans, les francophones mènent un gros travail sur ce dossier qui ne demande qu’à être finalisé. Le paradoxe, c’est que les Flamands ne voulaient pas entendre parler au départ de la radio numérique et qu’ils ont fini par changer d’avis, à un point tel qu’ils ont pris aujourd’hui l’ascendant. Espérons que cela soit un moteur pour que ça se débloque enfin chez nous…”

Y aurait-il un manque de volonté politique au sud du pays ? Au cabinet de Jean-Claude Marcourt, ministre socialiste des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est bizarrement le silence… radio. Il faut dire que l’homme politique multiplie les casquettes (ministre de l’Economie, de l’Industrie, de l’Innovation et du Numérique au gouvernement wallon et ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles) et que le dossier de la radio numérique ne semble pas faire partie de ses priorités.

Dans son entourage, le mot d’ordre est d’ailleurs “pas d’interview à ce sujet”. Tout au plus renvoie-t-on les curieux à une question parlementaire posée le 3 mars dernier sur le développement de la radio numérique en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans sa réponse, Jean-Claude Marcourt ne dissipe pas le flou à ce sujet, se contenant de rappeler que “plusieurs pistes sont évoquées et (que) des réunions vont être planifiées avec les opérateurs”. Mais encore ? “Je reviendrai sur la question dans les mois qui viennent pour vous présenter des propositions concrétisant notre volonté de tenir compte de cette nouvelle technologie”, conclut le ministre des Médias dans sa réponse au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

On aurait donc aimé en savoir plus, histoire de jauger le réel degré de volonté politique dans cette matière régionalisée, d’autant plus que les intéressés s’impatientent et qu’ils posent des questions concrètes pour faire avancer le dossier. En vain.

Le nerf de la guerre

Parmi ces questions, l’une des plus importantes concerne évidemment le financement du projet. Pour ne pas déstabiliser les auditeurs et permettre une transition en douceur, il est impératif de procéder à une double diffusion des émissions radio en FM et en DAB+, ce qui entraîne un surcoût important évalué à quelque 2,7 millions d’euros par an. Or, ce simulcast, comme on l’appelle dans le métier, devrait durer plus ou moins 10 ans, avant de faire basculer tout le système d’écoute exclusivement vers le numérique et d’enterrer définitivement la bande FM, probablement vers le milieu des années 2020 selon les plus optimistes, voire à l’aube des années 2030 selon les autres.

Quoi qu’il en soit, c’est un budget minimum de 25 millions d’euros qu’il faut trouver pour assurer cette double diffusion. Si les chaînes tant privées que publiques entendent assumer le coût de la promotion de ce nouveau service (estimé à 12 millions par an) et une bonne partie des frais inhérents au simulcast, elles demandent en revanche à la Fédération Wallonie-Bruxelles de mettre également la main au portefeuille. “Le secteur aimerait une forme de soutien public direct ou indirect pour financer une partie de l’infrastructure, à savoir une douzaine de millions d’euros étalés sur 10 ans, précise Francis Goffin, directeur général des radios de la RTBF. Ce qui équivaut à un bon million par an. Cette demande a été faite il y a déjà deux ans, mais aujourd’hui, on espère que les choses vont se débloquer, notamment puisque les compétences communautaires ou wallonnes de l’Economie, des Technologies nouvelles, du Numérique et des Médias sont assurées par la même personne et que toutes ces compétences sont en rapport avec le dossier.”

Rester confiant

Jean-Claude Marcourt et le gouvernement wallon sont-ils favorables à débloquer cette somme d’environ 12 millions dans un contexte répété de rigueur budgétaire ? Mystère. “Même si le processus est lent et frustrant, je reste toutefois confiant, conclut Eric Adelbrecht, directeur des radios de RTL Belgique. Je pense qu’on trouvera un accord sur le financement avant la fin de cette année, ce qui permettra de lancer les appels d’offres techniques et d’établir le plan de fréquences numériques dans le courant de l’année 2016. Le véritable démarrage de la radio numérique devrait donc se faire en 2017.”

Mais pourquoi, en fin de compte, développer ce projet coûteux de radio numérique terrestre avec le déploiement de nouveaux émetteurs si l’offre numérique peut déjà passer aujourd’hui par le réseau internet ? Pour les principaux acteurs du dossier, tant publics que privés, c’est avant tout une question de principe. Ce type de solution permet non seulement aux directeurs des radios belges de garder une certaine indépendance (tant éditoriale que publicitaire) par rapport aux grands agrégateurs d’un web mondial, mais il s’inscrit surtout dans le respect d’une vision “philosophique” du paysage médiatique actuel : l’accès à la radio a toujours été gratuit, tandis que le surf sur Internet est (très) majoritairement payant. De quoi ne pas couler à tout jamais ce bon vieux serpent de mer de la radio numérique terrestre.

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