La RTBF ose le troc publicitaire

Pierre Vanderbeck, Sophie de Jaer et Yves Gérard. © DR

La RMB, la régie publicitaire de la RTBF, lance un concept inédit en Belgique. Avec sa nouvelle filiale Belgian Media Ventures, elle offre aux jeunes entreprises l’opportunité de communiquer à large échelle en échange de participations dans leur capital.

“Je te donne de l’espace publicitaire sur les radios et les télévisions de la RTBF et, en échange, tu me donnes un peu d’argent et surtout des participations dans ta société”. S’il ne s’agit pas à proprement parler de troc puisque subsiste malgré tout une transaction financière, le nouveau dispositif média mis en place par la RMB, la régie publicitaire de la RTBF, y ressemble tout de même méchamment. Baptisé “Media for Equity“, ce concept innovant offre en effet aux start-ups et autres PME, qui n’ont pas le sou pour communiquer, des campagnes quasi-nationales à un prix très avantageux en échange d’une participation minoritaire dans leur capital.

Pour ce faire, la RMB a donné naissance à une filiale, Belgian Media Ventures, constituée il y a un an déjà mais dont les premiers fruits viennent seulement de mûrir. Peut-être l’avez-vous remarqué le mois dernier sur les antennes du service public : MyMicroInvest, la plateforme du crowdfunding en Belgique, a envahi les chaînes radios de la RTBF avec plus de 500 spots en l’espace de deux semaines. Des écrans publicitaires que la jeune société n’aurait pas pu se payer autrement et qui tombent donc à point dans l’élaboration de son plan de développement. “C’est un outil colossal et je ne peux qu’inviter les entrepreneurs à y recourir, témoigne José Zurstrassen, co-fondateur et président de MyMicroInvest. La communication média est un excellent accélérateur pour toute société. Je l’ai constaté avec Skynet et Keytrade que j’ai lancé il y a plusieurs années. Or, en Belgique, il y a une timidité anormale des entrepreneurs à utiliser le média. Ils ne voient que la partie coût et pas le retour sur investissement. Ce système de ‘Media for Equity‘ est donc tout-à-fait séduisant puisque l’on a la possibilité de goûter aux résultats de la communication de masse sans déstabiliser le cash-flow des entreprises”.

Vendre les invendus

Engagée pour animer cette nouvelle filiale de la RMB, Sophie de Jaer abonde évidemment dans le sens de José Zurstrassen : “Les jeunes sociétés ne disposent pas souvent de moyens suffisants pour financer une campagne média nationale, enchaîne la responsable des investissements de Belgian Media Ventures. Avec ce système, nous leur permettons de toucher rapidement plusieurs millions de consommateurs et donc d’augmenter leur notoriété, de booster leurs ventes ou encore d’acquérir une crédibilité auprès de futurs investisseurs”.

Mais pourquoi donc la régie publicitaire de la RTBF s’est-elle subitement lancée dans ce nouveau type de produit ? “C’est parti d’une réflexion stratégique portant sur la diversification de nos activités et nos revenus, explique Yves Gérard, directeur général de la RMB. Les écrans publicitaires, c’est exactement comme les chambres d’un hôtel ou les sièges d’un avion : parfois, il y a des invendus. Nous nous sommes donc interrogés sur la meilleure façon de les rentabiliser et nous avons fini par nous inspirer d’un modèle qui existe déjà en Suède, en Allemagne et en France pour le lancer à notre tour en Belgique. C’est par ce système notamment que le géant de l’e-commerce Zalando a par exemple émergé en Allemagne”.

Comment ça marche ?

Concrètement, la RMB brade le prix des espaces pub invendus de la RTBF pour les mettre à la disposition de jeunes sociétés qui, en échange, paient une partie de ces plages radio ou télé en cash (30% du montant) et transforment ensuite le solde de la valeur des écrans “offerts” en participations dans leur propre capital, tout cela au bénéfice de la filiale Belgian Media Ventures. “Notre objectif est de récupérer la valeur de l’espace donné de manière différée, explique Pierre Vanderbeck, directeur de la stratégie chez RMB. Toutefois, même si nous souhaitons signer des conventions de ce genre avec trois ou quatre start-ups par an, notre vocation n’est pas d’avoir un gros portefeuille d’entreprises, mais plutôt d’accompagner ces sociétés dans leur lancement pour une durée déterminée qui est a priori évaluée entre trois et cinq ans”.

Pour limiter le poids de la filiale de la RMB au sein des start-ups intéressées par ce nouveau concept, il est d’ailleurs prévu dans les conventions que les participations de Belgian Media Ventures ne dépassent pas 30% du capital des sociétés concernées. De plus, celles-ci peuvent aussi racheter les actions cédées dans les deux premières années du contrat, ce qui réduit de facto l’influence de la régie publicitaire de la RTBF sur les entreprises en question.

Il n’en reste pas moins que le “deal” s’avère intéressant pour la RMB, comme le souligne son patron Yves Gérard : “Outre le fait que cette formule représente de l’investissement à risque puisque les sociétés avec lesquelles on signe peuvent toujours faire faillite, le concept du ‘Media for Equity‘ est profitable dans la mesure où cela concerne des espaces publicitaires invendus qui n’auraient de toute façon pas trouvé acquéreur. Et cela avec une partie de la transaction qui se fait en cash, donc de l’argent frais. Sans compter que certaines sociétés peuvent aussi se développer rapidement et devenir très rentables”.

Une alternative aux banques

Mais ne serait-il pas finalement plus judicieux, pour une PME, de recevoir de l’argent de nouveaux investisseurs pour développer son business et de choisir aussi un plan média pertinent, plutôt que de céder des participations de son capital et de s’en remettre à un planning aléatoire d’espaces invendus ? “Pas du tout !”, rétorque Guy Wyvekens, co-fondateur de la société Dyna+ qui sera le prochain client de Belgian Media Ventures. Cette PME vient en effet de lancer un complément alimentaire sur le marché de la minceur baptisé Reductin et, pour elle, il est bien plus intéressant de se connecter très vite au marché publicitaire : “Ce système est parfaitement adapté à notre stratégie et à notre trésorerie, argumente Guy Wyvekens. Aujourd’hui, les banques n’assument plus leur rôle et ne prêtent plus d’argent. L’alternative financière proposée par la RMB est donc tout à fait séduisante, d’autant plus qu’elle cadre bien avec notre produit et qu’elle nous permet de toucher un très large public à différents moments de la journée. Pour Reductin, nous ne dépêchons aucun délégué commercial en pharmacie et la publicité peut donc représenter un très bon levier pour nous faire connaître rapidement”.

Audacieuse, la mécanique mise en place par la RMB commence à séduire doucement les PME, même si elle pose inévitablement question, tant sur le plan légal que fiscal. La régie publicitaire d’un service public peut-elle en effet recourir à ce genre de système inédit en Belgique ? Rappelant en priorité que la RMB, même si elle est détenue par la RTBF, est une société 100% privée, les initiateurs du projet rétorquent qu’ils ont justement “blindé” les rouages de ce “Media for Equity” avec l’aide de juristes et de fiscalistes, pendant un an, pour obtenir le feu vert de leur réviseur et du conseil d’administration de la régie. Ils semblent donc avancer l’esprit tranquille…

Frédéric Brébant

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