La marque Belgique a-t-elle encore un avenir ?

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Coup sur coup, deux initiatives singulières vont être lancées pour redorer l’image du pays : une vaste campagne de communication orchestrée le mois prochain par le gouvernement fédéral et une nouvelle compagnie aérienne – Air Belgium – qui prendra son envol cet été. La question, toutefois, demeure : le nom Belgique est-il toujours vendeur ?

La Belgique se prépare à de nouvelles commémorations. Le 22 mars prochain, un hommage sera rendu aux victimes des attentats de Bruxelles et les images terribles de l’année 2016 referont surface à la télévision. Corps ensanglantés, scènes de panique, métro et aéroport éventrés… Les attaques terroristes ont non seulement marqué les esprits pour une durée indéterminée, mais elles ont aussi porté préjudice à l’image d’une Belgique déjà écornée, quelques mois plus tôt, par un Brussels lockdown dévastateur et les accusations de ” trou à rats ” formulées par un certain Donald Trump, alors lancé dans la course des présidentielles américaines.

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A la barre d’un pays meurtri, Charles Michel avait annoncé, le 19 mai dernier, la réalisation d’une vaste campagne de communication pour redorer le blason de la Belgique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières. Nom de code : Positive Belgium. Budget : 4 millions d’euros. Auprès audition des différentes agences en compétition, c’est finalement le tandem bruxellois Ogilvy & Social Lab qui a décroché la timbale de cette opération de séduction massive orchestrée par le SPF Chancellerie du Premier ministre. Si le fruit du travail stratégique de l’agence de com’ ne sera dévoilé qu’à la mi-avril, les esquisses que nous avons vues en exclusivité se révèlent déjà prometteuses. Le slogan – qui doit rester confidentiel jusqu’au lancement officiel – joue habilement la carte de l’oxymore (une figure de style qui réunit deux mots en apparence contradictoires), tandis que la campagne s’inscrit dans un esprit résolument décalé, teinté de joie de vivre et d’autodérision finement dosée.

Un combat perdu d’avance ?

La structure politique du pays est un frein pour vendre la marque Belgique”, Thierry Cattoir, CEO de Remarkable Europe.

Déclinée sur tous les supports médias et les réseaux sociaux, la campagne imaginée par Ogilvy & Social Lab devrait, on l’espère, redonner un peu d’éclat à la Belgique et ramener, au passage, les touristes étrangers dans le coeur de Bruxelles. Mais les grincheux, toutefois, tiquent déjà. A l’heure où le fossé culturel ne cesse de se creuser entre Flamands et Wallons et que les velléités séparatistes s’intensifient, vanter la marque Belgique a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? ” On peut se poser la question au regard de certains dossiers qui font l’actualité, réagit Alain Courtois, premier échevin à la Ville de Bruxelles qui se bat quotidiennement pour que ” son ” stade national émerge enfin du sol de Grimbergen. Depuis l’Expo 58, il n’y a pas eu un seul projet où les trois communautés linguistiques se sont engagées ensemble, qu’il s’agisse d’un projet architectural, d’un musée ou de grands travaux. Personnellement, je crois toujours à la marque Belgique, mais l’Eurostadium est un exemple frappant qui démontre que l’on n’ose plus faire quelque chose ensemble. Et puis, on ne peut même pas parler de stade national aujourd’hui puisque le gouvernement fédéral n’y a pas mis un centime. ”

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S’il voit le jour, le nouveau temple sportif devrait pourtant revêtir cette dimension nationale puisque les Diables Rouges y joueront théoriquement leurs matchs officiels. Médiatiquement porteuse, l’équipe belge de football démontre d’ailleurs, à elle seule, que la marque Belgique est toujours vendeuse puisque 13 gros sponsors (parmi lesquels on trouve BMW, Carrefour, ING, Jupiler et Proximus) déboursent chacun près de 500.000 euros par an pour être les partenaires privilégiés de nos footballeurs. Certes, ce sont les Diables Rouges qui sont surtout ” bankables “, mais la belgitude qui transparaît en filigrane n’est pas étrangère à l’engouement commercial suscité par l’équipe ” noire-jaune-rouge “.

Une image qui s’est dégradée

Il n’empêche : la multiplication des différents niveaux de pouvoir entre les régions et les communautés rend la marque Belgique de plus en plus vulnérable. Fondateur et CEO du bureau Remarkable Europe spécialisé dans les stratégies de marque, Thierry Cattoir a ainsi participé en 2010 au rapport Nation Branding Belgium pour la Fondation Marketing qui visait déjà à définir une stratégie à long terme pour améliorer l’image de notre pays à l’international. A l’époque, une sonnette d’alarme avait en effet été tirée suite au mauvais score de la Belgique dans le Nation Brand Index, un instrument de mesure développé par le bureau GFK et qui définit la réputation globale d’un pays par rapport à six critères bien précis : sa gouvernance, ses exportations, sa richesse culturelle, les compétences de ses habitants, les centres d’intérêt touristiques et la force d’attractivité en termes d’investissements et d’immigration. De la 16e place en 2005, la Belgique avait glissé au 20e rang dans le Nation Brand Index établi en 2008, suscitant quelques émois en haut lieu.

La marque Belgique a-t-elle encore un avenir ?
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Destiné à éveiller les consciences, le rapport des experts de la Fondation Marketing invitait alors les dirigeants du pays à redorer le blason de la Belgique en fondant un véritable brand office (un bureau de marque nationale) afin de ” développer et améliorer l’image de la Belgique avec notamment la création d’un logo, d’un slogan et d’une campagne de communication, ainsi qu’un positionnement clair par rapport à différents groupes-cibles “. Ce rapport et cette recommandation urgente ont-ils été suivis d’effets ? ” Non, et il faut bien reconnaître que la montée en puissance de la N-VA et sa participation au gouvernement fédéral a mis fin au projet, déplore Thierry Cattoir. Aujourd’hui, la structure politique du pays est un frein pour vendre la marque Belgique. Chez nous, on est plus dans le region branding que dans le country branding : un voyageur asiatique qui débarque à l’aéroport de Zaventem va être sollicité d’emblée par des affiches qui vantent des régions et non pas un pays. C’est ce qui manque d’ailleurs à la Belgique : un véritable organe de concertation qui ferait le lien entre les différents niveaux de pouvoir, un peu comme le principe des poupées russes. ”

Air Belgium y croit

Les couleurs du drapeau national, la couronne et le nom Air Belgium sont vendeurs”, Niky Terzakis, CEO de la nouvelle compagnie aérienne belge.

Si le brand office réclamé en 2010 par le rapport de la Fondation Marketing n’a jamais vu le jour, les événements sanglants de 2016 ont en revanche changé la donne, obligeant le gouvernement fédéral et donc la N-VA à redorer le blason d’un pays boudé, voire décrié, sur la scène internationale. Dans quelques semaines, c’est donc bel et bien une véritable campagne d’image nationale qui sera déployée, mettant momentanément la prédominance des régions entre parenthèses pour jouer davantage la carte d’une communication ” ombrelle ” en l’honneur de la Belgique et de son capital sympathie. Reste à savoir si cette vaste opération de séduction fera gagner quelques places à notre pays dans le classement Nation Brand Index, où la Belgique stagnait toujours à la 19e place en 2016.

La marque Belgique a-t-elle encore un avenir ?
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Hasard du calendrier, le lancement de la campagne fédérale momentanément baptisée Positive Belgium coïncidera avec l’envol imminent d’une toute nouvelle compagnie aérienne au design délibérément noir-jaune-rouge. Baptisé Air Belgium, ce nouveau transporteur jouera à fond la carte de la belgitude avec un logo AB surmonté d’une couronne et des avions décorés aux couleurs nationales qui relieront bientôt notre pays à la Chine. ” Le choix du nom est délibéré et assumé, explique Niky Terzakis, fondateur et CEO d’Air Belgium. Plus que d’autres fleurons industriels, une compagnie aérienne est d’abord un lien physique entre deux Etats. A l’étranger, l’image de la Belgique est beaucoup plus positive que ce que l’on croit. Notre pays incarne un savoir-faire, une tradition et une culture qui sont très importants, sans oublier que la Belgique est le centre des institutions européennes. Cela peut sembler classique, voire passéiste, mais les couleurs du drapeau national, la couronne et le nom Air Belgium sont vendeurs. Il n’y a pas d’autre mot. Et puis, c’est un fait : la Belgique est toujours une monarchie, pas une république. En utilisant la couronne, on promeut la destination et il est vrai que cela peut aussi exercer une certaine fascination sur des populations asiatiques sensibles à ce symbole. ”

Une spirale positive

Le drapeau national et la couronne suffiraient-ils donc à crédibiliser, à eux seuls, un produit belge à l’exportation ? ” Je pense que cela peut aider, répond Thierry Cattoir, CEO du bureau Remarkable Europe. Ces symboles représentent la garantie d’une certaine qualité d’origine et ils peuvent effectivement donner confiance aux clients. ” C’est d’ailleurs bien connu : le Roi reste le meilleur ambassadeur de la marque Belgique à l’étranger et la présence d’un membre de la famille royale dans les missions économiques permet souvent d’ouvrir des portes dans l’établissement de nouvelles relations commerciales.

Censées redonner un peu de punch au pays, la prochaine campagne promise par le gouvernement fédéral et la nouvelle compagnie aérienne de Niky Terzakis vont sans doute replacer la Belgique sur l’échiquier de marques internationales. Et le lien entre les deux événements n’est peut-être pas si fortuit que ça, comme l’explique Julien Intartaglia, professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel, en Suisse : ” Cette idée de campagne de communication du gouvernement belge me fait un peu penser à la campagne Du bist Deutschland au milieu des années 2000 et qui était destinée à travailler sur le bien-être des Allemands soi-disant dépressifs et abattus à l’époque, conclut cet observateur étranger. Travailler la marque Belgique est une bonne idée à condition que le positionnement et les valeurs qui y sont rattachés soient légitimes et épousent la perception collective et pas seulement celles de quelques élus. Cela peut même être judicieux que la marque Belgique profite de manière concomitante de l’envol d’une nouvelle compagnie aérienne pour voler vers de nouveaux cieux et laisser ainsi le passé derrière soi. ”

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