Comment Eleven Sports Network est parvenu à tisser sa toile en Belgique

© Jasper Jacobs/Belga

Petit Poucet du paysage médiatique belge, Eleven Sports Network prend peu à peu ses marques dans le monde du sport et vise à présent le championnat belge de football dont les droits de diffusion seront bientôt remis aux enchères. Coup de projecteur sur un nouvel acteur ambitieux.

Il y a tout juste un an, les grands acteurs de l’audiovisuel belge regardaient ce nouveau venu avec un air condescendant. Lancer deux nouvelles chaînes de télévision sportives et payantes dans un paysage médiatique saturé et désormais menacé par les géants du Net, pensez-vous, ce n’est pas très sérieux. Au fil des mois, pourtant, leur regard a changé. Eleven Sports Network a fini par tisser sa toile en Belgique et à imposer ses produits sur les réseaux des grands opérateurs télé du pays.

Fondée en 2015 par l’homme d’affaires italien Andrea Radrizzani, Eleven Sports Network est une société de télévision spécialisée dans la couverture d’événements sportifs, aujourd’hui présente dans six pays : la Pologne, la Malaisie, Singapour, Taïwan, le Luxembourg et la Belgique. Dans ces marchés très différents, l’entreprise se targue de diffuser près de 4.000 heures d’événements en direct par an à travers ses propres chaînes de télévision. Chez nous, deux chaînes sont proposées en français et en néerlandais sur les plateformes télé de Proximus, Telenet, VOO, Orange et SFR. La première, Eleven, est exclusivement dédiée au football et retransmet les matchs de plusieurs championnats étrangers comme la Liga espagnole, la Serie A italienne, la Ligue 1 française ou encore le championnat brésilien. La seconde, Eleven Sports, se consacre à tous les autres sports avec, notamment, la diffusion de courses cyclistes et de rencontres de l’ATP Tennis Tour, de la Ligue américaine de basket (NBA) ou encore de la Ligue américaine de football (NFL).

Comment Eleven Sports Network est parvenu à tisser sa toile en Belgique
© DR

Mais comment Eleven Sports Network a-t-elle réussi à décrocher toutes ces compétitions ? C’est un secret de polichinelle : son fondateur Andrea Radrizzani n’est pas un inconnu dans le monde du foot business. En 2004 déjà, ce manager italien a en effet créé, avec son complice Riccardo Silva, la compagnie MP & Silva, spécialisée dans l’acquisition des droits de diffusion d’événements sportifs. Portée par un chiffre d’affaires annuel de 600 millions de dollars, MP & Silva a raflé les plus grands championnats de football et compte aujourd’hui quelque 200 clients diffuseurs à travers le monde dont… Eleven Sports Network. Certes, il y a un an, Andrea Radrizzani a revendu une bonne partie de ses actions détenues dans ce géant des droits télé pour se concentrer uniquement sur ses nouvelles activités, mais l’homme d’affaires garde toutefois un pied et de précieux contacts au sein de MP & Silva, également connue en Belgique pour avoir décroché, il y a presque trois ans, le contrat de commercialisation des droits de la Pro League, l’association qui représente les 16 clubs belges de Division 1 de football.

La Pro League en ligne de mire

Eleven Sports Network a fini par tisser sa toile en Belgique et à imposer es produits sur les réseaux des grands opérateurs télé du pays.

Si, pour l’instant, Eleven Sports Network se contente de diffuser les matchs de grands championnats étrangers sur le réseau des différents opérateurs belges, la société n’en nourrit pas moins de grandes ambitions footballistiques pour les années à venir : ” Nous sommes clairement intéressés par la Pro League, mais pas à n’importe quel prix, déclare Anouk Mertens, directrice générale pour la Belgique et le Luxembourg. Notre objectif est d’offrir du bon contenu à un prix raisonnable et nous allons donc faire une offre compétitive dans ce sens. Nous voulons un partenariat à long terme avec la Pro League afin de développer une ligue plus forte et aiguiser la compétition. Nous sommes un nouvel acteur sur le marché avec lequel il faut désormais compter ” (lire l’encadré ” Un championnat belge à 100 millions ? ” plus bas).

En attendant la concrétisation éventuelle de ce désir télévisuel, Eleven Sports Network peaufine sa stratégie qu’elle développe principalement sur quatre axes : ” le direct, le local, le mobile et le social media “, dixit sa directrice. Si l’émotion des grandes compétitions vécues en direct reste le fer de lance des chaînes Eleven et Eleven Sports, la société entend toutefois aiguiser cet avantage avec de nouvelles armes. Ainsi, elle a renforcé son ancrage local avec la diffusion de trois nouveaux magazines de 30 minutes entièrement produits en Belgique – deux consacrés au football sur Eleven (dont un sur les Diables Rouges qui évoluent à l’étranger) et le troisième sur Eleven Sports – proposés dans les deux langues.

Pour les commentaires des matchs en direct et ces nouvelles productions, Eleven Sports Network peut compter sur une vingtaine de collaborateurs – journalistes, ingénieurs et techniciens – installés depuis peu dans de nouveaux bureaux à Anvers et très branchés sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram. ” Le social media est très important pour nous, détaille Anouk Mertens. Cela nous permet de créer de l’interaction avec le public, soit en jouant la carte du direct via Facebook Live par exemple, soit en publiant de courtes vidéos qui vont être partagées. Au final, cela nous permet d’élargir notre base de fans et de toucher aussi des communautés très engagées sur certains sports de niche. ”

Un Netflix du sport

Sensible aux réseaux sociaux et à leur consommation sur les supports mobiles, Eleven Sports Network a d’ailleurs lancé, il y a quelques mois à peine, sa propre plateforme OTT (over the top), à savoir un service de télévision distribué sur Internet à l’adresse www.elevensports.be. Concrètement, les utilisateurs qui souscrivent un abonnement à l’année, à la semaine ou même pour une durée de 48 heures peuvent regarder toute une série de compétitions sportives en direct et des contenus à la demande sur leur smartphone, leur tablette ou leur ordinateur portable, un peu comme le fait Netflix avec les films et les séries. Ce qui permettrait à Eleven Sports Network de faire éventuellement cavalier seul si, d’aventure, la société remportait les droits télévisés du foot belge l’année prochaine : ” La comparaison avec Netflix est intéressante, note la directrice générale. Nous proposons aussi un modèle disruptif à des prix attractifs et du contenu qui peut se consommer d’une autre façon, en ligne ou via une application, avec un service très flexible. Cela dit, notre stratégie consiste plutôt à acheter des droits exclusifs pour les distribuer ensuite de manière non exclusive. Nous avons toujours été clairs là-dessus “.

“Nous sommes un nouvel acteur sur le marché avec lequel nos concurrents doivent désormais compter”, Anouk Mertens, directrice générale d’Eleven Sports Network en Belgique. © DR

De fait, les chaînes Eleven et Eleven Sports sont aujourd’hui commercialisées sur les plateformes Proximus, Telenet, VOO, Orange et SFR. Dans l’hypothèse où Eleven Sports Network s’offrirait la Pro League belge, il n’est donc pas exclu que les matchs se retrouvent malgré tout dans le catalogue des différents opérateurs classiques, moyennant finances. La preuve : Netflix est disponible dans l’offre télé de Proximus et devrait bientôt l’être dans celle de Telenet.

Objectif diversification

Quelle que soit l’issue de ce scénario, Eleven Sports Network entend poursuivre son petit bonhomme de chemin dans le paysage audiovisuel belge. Si la société se refuse actuellement à communiquer toute information relative à sa santé financière, sa directrice consent toutefois à reconnaître que le défi consiste à ” être rentable le plus rapidement “, reconnaissant par là que de gros investissements ont été consentis en cette première année d’activité sur le sol belge.

Pour l’instant, Eleven Sports Network tire principalement ses revenus de la commercialisation de ses deux chaînes payantes sur les réseaux des opérateurs télé (elle espère bientôt en lancer une troisième), mais la société veut aussi miser désormais sur la diversification de ses rentrées en dopant d’une part les abonnements sur sa propre plateforme OTT et en vendant d’autre part des espaces publicitaires dans ses programmes. Nul doute cependant que, pour ravir les droits télé du foot belge au nez et à la barbe des opérateurs historiques ou d’acteurs inattendus dans la vente aux enchères, l’antenne belge de Eleven Sports Network devra certainement se reposer financièrement sur la structure internationale de son grand patron Andrea Radrizzani.

Un championnat belge à 100 millions d’euros ?

Dans quelques mois, les droits de diffusion du championnat belge de football seront à nouveau mis aux enchères et les spéculations vont bon train depuis que l’ancien président de la Pro League Ivan De Witte a fait une déclaration fracassante dans le journal Le Soir : “Le prochain contrat doit être de 100 millions d’euros par saison, au lieu de 70 actuellement, afin de mieux aider les clubs”, affirmait alors celui qui est toujours président de La Gantoise. Irréaliste ? Pas vraiment. En moins de 10 ans, les droits télé du foot belge ont quasi doublé, passant de 36 millions annuels en 2005 à 70 millions par saison en 2014. Plus fort : si l’on remonte quelque 20 ans en arrière, la multiplication est carrément de l’ordre de 23 puisque la commercialisation de ces droits tournait autour des 3 millions seulement au début des années 1990.

Effrénée, cette course aux millions se ressent d’ailleurs dans les plus grands championnats européens où les tarifs ont littéralement explosé ces derniers mois : 750 millions par an pour les droits télé de la Ligue 1 française, 950 millions pour la Serie A italienne, 1,3 milliard pour la Bundesliga allemande et – record absolu – 2,3 milliards pour la Premier League anglaise ! Certes, ces marchés ne sont pas comparables à la Belgique en termes de nombre de téléspectateurs et surtout de stars qui évoluent sur le gazon de ces compétitions, mais le triomphe du “foot business” se ressent malgré tout aussi dans les stades de la Pro League belge.

Aujourd’hui, la spéculation autour des droits télé pour la saison 2017-2018 est d’autant plus palpable que la société italienne MP & Silva a promis un bel avenir financier à l’association qui représente les 16 clubs belges de Division 1. Pour rappel, cette agence spécialisée dans le business des droits sportifs a remporté le contrat de commercialisation en 2014, promettant 70 millions par an à la Pro League entre 2014 et 2017 et au moins 80 millions annuels entre 2017 et 2020. Pour les trois premières saisons, l’intermédiaire MP & Silva a revendu ces droits télé aux opérateurs Telenet, VOO et Belgacom (devenu Proximus) qui se sont momentanément unis pour diffuser les matchs de la Pro League sur leur réseau respectif. Mais ces frères ennemis de la télévision remettront-ils pour autant ensemble le couvert si l’addition passe à 80 millions l’année prochaine, voire même à 100 millions d’euros, comme le réclame Ivan De Witte ? Dans ce nouveau scénario prohibitif, il se pourrait bien que de nouveaux acteurs comme Eleven Sports Network émergent et que des trouble-fêtes comme les Américains de Fox Entertainment Group ou les Qataris de beIN pointent aussi le bout de leur nez. Les enchères peuvent commencer…

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