TTIPLeaks: “Les documents dévoilés jettent une lumière froide sur la réalité des discussions”

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Charlotte Dammane, spécialiste des accords commerciaux internationaux et auteure de l’ouvrage Pourquoi Bruxelles brade l’Europe ?, nous livre ses premières réflexions sur les 248 pages du projet d’accord du traité transatlantique (TTIP) rendues publiques par Greenpeace.

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Charlotte Dammane
Charlotte Dammane© Capture d’écran YouTube

Charlotte Dammane est une spécialiste des accords commerciaux internationaux et a travaillé dans les cabinets ministériels en France. Elle a rédigé un ouvrage sur ces négociations commerciales entre les Etats-Unis et l’Union européenne (“Pourquoi Bruxelles brade l’Europe ?”, HikariEditions). Elle livre pour nous ses premières réflexions.

On n’est pas très avancé

Première impression: ça coince. “Alors que la Commission européenne répète à l’envi que tout est fait pour davantage de transparence sur ces négociations, les documents qui viennent d’être révélés dans ce qu’on appelle déjà le TTIPLeaks jettent une lumière froide sur ce qu’est la réalité des discussions : une infinie complexité sur une multitude de sujets techniques et des blocages insurmontables sur des sujets pourtant essentiels pour les Européens (agriculture et marchés publics notamment)”, note-t-elle.

Elle souligne, comme beaucoup, le fait que les négociations sont bien moins avancées que ce qu’affirment les négociateurs. “Lors de sa tournée européenne fin avril Barack Obama maintenait une volonté affichée de conclure le TAFTA (autre nom du TTIP, NDLR) avant la fin de l’année, mais l’état des discussions suite au 12e cycle de négociations en février ravive le doute sur ce pronostic qui apparaît très incertain. La plupart des chapitres sont très loin d’être finalisés. De nombreuses consultations doivent encore avoir lieu et le travail pour concilier les positions, lorsque c’est possible, sera encore long et laborieux.”

Cet accord serait-il moins ambitieux que d’autres ? “En matière d’ouverture des marchés, le document européen datant de novembre 2015 fait état de 97% de réduction des barrières douanières côté américain comme côté européen, observe Charlotte Dammane. Ce chiffre est bien moins ambitieux que l’accord Union européenne – Canada qui prévoyait lui l’élimination de 98,6% des lignes tarifaires canadiennes et 98,7% des lignes tarifaires européennes. Ces chiffres confirment en creux l’existence de nombreuses sensibilités des deux côtés de l’Atlantique. Ils invalident également les résultats des études d’impact régulièrement mises en avant par la Commission européenne car celles-ci se basaient sur une hypothèse d’élimination de 100% des droits de douane. Pour mémoire ces études affichaient un gain de près de 120 milliards d’euros soit 0,5% de PIB pour l’UE (ou 545 euros supplémentaires pour chaque famille de quatre personnes) suite à la mise en oeuvre de l’accord.”

Un document mérite une attention particulière, ajoute la spécialiste : “il s’agit du bilan confidentiel réalisé par la Commission européenne suite au 12e cycle de négociations en février à Bruxelles. Alors que le bilan officiel faisait état de discussions fructueuses et de progrès en cours, le bilan interne à la Commission révèle de nombreux points de blocages, y compris sur les thèmes les plus importants pour les Européens.”

Les cinq dossiers épineux

Charlotte Dammane établit aussi une courte liste des dossiers les plus épineux qui transparaissent à la publication de ces documents.

L’agriculture. Les Etats-Unis refusent catégoriquement d’arrêter de produire des vins portant des appellations protégées en Europe. Voici la liste des 17 appellations concernées : Burgundy, Chablis, Champagne, Chianti, Claret, Haut Sauterne, Hock, Madeira, Malaga, Marsala, Moselle, Port, Retsina, Rhine, Sauterne, Sherry, Tokay. Ils sont également opposés à toute inclusion dans le TTIP/TAFTA de règles sur la production de vin.

Marchés Publics. Les Etats-Unis apparaissent très frileux en matière d’ouverture des marchés publics. Malgré les discussions en cours, le document souligne l’adoption par les Etats-Unis de nouvelles législations visant à favoriser encore davantage les entreprises américaines dans l’attribution des marchés publics. Par ailleurs, l’ouverture des marchés publics au niveau infra-fédéral reste totalement bloquée, les Etats-Unis ne s’engageant aucunement sur ce point alors que c’est là que se situe l’essentiel de l’intérêt offensif européen.

Services / Finances. Les Etats-Unis s’accrochent à leur refus d’intégrer toute mesure de coopération réglementaire en matière de services financiers, alors qu’il s’agit d’une priorité européenne, demandée notamment à l’unisson des députés européens dans leur résolution du 8 juillet 2015. La libéralisation des services financiers constitue pourtant un volet important de l’accord, qui fera l’objet (à la demande des Américains) d’un chapitre spécifique distinct du chapitre général sur la libéralisation des services.

Normes sanitaires Les discussions sont qualifiées de pesantes (“cumbersome”) par les négociateurs européens. De nouveaux négociateurs ont été nommés par chaque partie. Les Etats-Unis se basent prioritairement sur les textes qu’ils ont conclus dans le cadre du TPP et la convergence avec les règles européennes semble difficile.

Cosmétiques. Aux Etats-Unis les filtres anti-UV contenus dans de nombreux produits cosmétiques doivent être testés sur les animaux. Une pratique que l’Union européenne interdit au nom du bien-être animal. Résultat pour les cosmétiques européens : impossible d’être vendus sur le marché américain.

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