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‘Travail et éducation sont littéralement des questions de vie ou de mort’

“La tempérance et le travail sont les deux vrais médecins de l’homme”, disait Rousseau. Deux siècles et demi plus tard, cette morale du sage Jean-Jacques est plus que jamais d’actualité.

Depuis une semaine, l’Amérique est sens dessus-dessous. Deux professeurs de l’Université de Princeton, Anne Case et son époux Angus Deaton (oui, le prix Nobel d’économie 2015), ont publié une étude qui met à mal le mythe égalitaire américain et pointe du doigt le modèle économique 3.0, dans lequel le numérique prend le pas sur l’être humain.

L’étude montre qu’entre 1999 et 2013, le taux de mortalité des 45-54 ans au sein de la catégorie ethnique des Américains blancs non hispaniques a augmenté. Il a même explosé dans certaines catégories sociales. Des chiffres qui vont à contre-courant de ceux des autres catégories ethniques et des autres pays développés, où la mortalité des quinquagénaires continue de décroître, grâce aux progrès de la médecine, à la plus grande attention portée à la prévention (tabac, alcool, maladies cardio-vasculaires, etc.) et aux changements comportementaux (sport, alimentation équilibrée, etc.).

Ce décrochage des Etats-Unis est récent. Entre 1978 et 1998, les quinquas américains voyaient eux aussi leur taux de mortalité régresser. Et si cette tendance s’était poursuivie jusqu’à aujourd’hui, les Etats-Unis compteraient 500.000 citoyens de plus. C’est dire l’importance du retournement qui s’est opéré à l’entame du 21e siècle. Cette hausse de la mortalité peut se comparer au choc démographique que le monde a connu à l’occasion des ravages causés par le VIH dans les années 1980.

Les raisons de ce phénomène, mises en avant par les professeurs Case et Deaton, interpellent à plus d’un titre. L’augmentation des cas de suicide et d’empoisonnement (par l’alcool, la drogue, etc.), ainsi que les maladies chroniques du foie et les cirrhoses expliqueraient la disparition prématurée des quinquagénaires américains. Ces derniers se suicideraient et se tueraient donc à petit feu.

Travail et éducation sont littéralement des questions de vie ou de mort

Anne Case et Angus Deaton font observer que l’éducation et le travail jouent un rôle important. C’est en effet parmi les quinquas qui n’ont pas de diplôme de l’enseignement secondaire que se concentrent à la fois le plus haut taux de chômage, le plus faible taux de participation au marché de l’emploi (seuls 45 % de cette population participent au marché du travail) et la hausse de la mortalité. Cette catégorie compte 134 décès de plus pour 100.000 habitants, ce qui est, statistiquement, énorme.

C’est bien triste, direz-vous, mais pourquoi s’intéresser à ce drame statistique ? Pour deux raisons. D’abord parce que, souvent, les Etats-Unis sont précurseurs. Le mal-être de ces quinquagénaires délaissés, qui ont subi les effets de la désindustrialisation, a déjà des résonances dans nos pays qui se désindustrialisent eux aussi à grande vitesse. Ensuite parce que ce profil social mis en avant par Case et Deaton fait penser à celui du sud de notre pays. La Wallonie connaît un des taux de suicide les plus élevés du monde (plus de 20 pour 100.000 habitants) et a également plus que son lot de cirrhoses et d’overdoses. Les assureurs vous diront entre quatre yeux que les comportements dangereux se trouvent plus au sud qu’au nord du pays.

Il n’est pas nécessaire d’entrer à l’Armée du Salut pour prôner, face à cela, “la tempérance et le travail”. Certes, pour la tempérance, c’est à chacun de juger.

Pour le travail et l’éducation, en revanche, la balle est du côté collectif et politique. “Jobs, jobs, jobs”, martèle Charles Michel. “C’est aussi le slogan des Wallons”, renchérit Paul Magnette. D’accord. Mais aujourd’hui, ces slogans doivent dépasser le cap des “words, words, words”. Anne Case et Angus Deaton nous montrent que des vies sont en jeu.

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