“The Workers Cup”, un docu sur l’enfer vécu par les ouvriers du Mondial au Qatar

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Kenneth s’est fait piéger: un agent véreux lui avait promis qu’il irait jouer dans un club de football au Qatar, mais il s’est retrouvé ouvrier, sur les chantiers éreintants de la Coupe du monde 2022 organisée dans l’émirat gazier.

L’histoire de ce jeune Ghanéen est racontée dans le documentaire The Workers Cup, le “Mondial des ouvriers”, projeté pour la première fois en France lundi soir dans les locaux parisiens d’Amnesty International, une ONG qui dénonce régulièrement “l’exploitation” des travailleurs migrants au Qatar.

En guise de football, pour tenter d’oublier ses longues heures de labeur, Kenneth n’aura droit qu’à une simple compétition d’entreprise entre grandes compagnies internationales.

Et ce tournoi amateur, fil rouge du film, n’est qu’un habile prétexte pour raconter la précarité de ces hommes coupés de leurs familles, tout en permettant d’obtenir des autorisations de tournage, que le pouvoir qatari délivre avec une grande parcimonie…

Comme Kenneth, les migrants interrogés ont quitté leurs pays sans savoir ce qui les attendait dans l’émirat. Paul, qui était barman au Kenya, “cache la vie” qu’il a désormais.

“Mes amis ne comprendraient pas. Ce n’est pas une vie. C’est comme si vous étiez enfermés. Tu ne fais que travailler. Parfois, tu n’as même personne à qui parler”, raconte-t-il.

Les autres membres de l’équipe, employés de la Gulf Contracting Company, viennent d’Afrique comme lui ou d’Asie du Sud-Est, du Népal, d’Inde et du Bangladesh.

Inextricable

Tous semblent dans une situation inextricable. Leur salaire leur permet à peine de vivre et d’envoyer quelques sous au pays. Mais l’objectif le plus fréquent -financer le construction d’une maison- paraît inaccessible comme le dit Padam, un Népalais qui enchaîne les allers-retours dans le Golfe, faute de mieux.

Au micro d’Adam Sobel, le réalisateur du documentaire, ils confessent aussi leur profonde solitude. Comme Paul, qui n’a plus parlé à une femme “depuis sept mois” et rêve d’un rendez-vous avec une autre migrante kényane installée au Qatar, une employée de maison qu’il a contactée sur Facebook.

“Personne ne va te donner la permission d’aller à un rendez-vous”, le met en garde son compagnon de chambrée.

Umesh, un Indien de 36 ans, explique qu’il lui est interdit d’entrer dans un centre commercial chic qu’il a contribué à bâtir. “Nos vêtements peuvent être poussiéreux ou sentir mauvais. On ne veut pas déranger ou dégoûter” les clients, lâche-t-il, résigné.

Ils vivent dans un camp de travailleurs, des baraquements plutôt propres, mais impersonnels et isolés.

A en croire les militants humanitaires présents dans la salle lundi soir, l’équipe du film n’a eu le droit de tourner que dans un lieu plutôt “haut de gamme”.

‘Huit par chambre’

“Là, c’est un camp de luxe. J’en ai vu où ils étaient huit par chambre, avec des toilettes dans un état déplorable”, décrit le syndicaliste Jean-Pascal François, qui a effectué une mission au Qatar avec la CGT Construction.

“Et il y a aussi des morts au travail, des crises cardiaques, des accidents. Mais c’est impossible d’avoir des chiffres”, poursuit-il.

Les ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International ont accentué la pression ces dernières années notamment via un rapport intitulé “le revers de la médaille”, rendu public début 2016.

Les autorités qataris ont annoncé plusieurs mesures depuis: la mise en place d’un salaire minimum d’environ 200 dollars par mois pour les migrants, ou la fin du “kafala”, un système de parrainage très controversé qui obligeait les travailleurs étrangers à obtenir une autorisation pour changer d’emploi ou quitter le pays.

Sabine Gagnier, chargée de plaidoyer chez Amnesty reconnaît des “micro-avancées”, mais déplore surtout des “effets d’annonce”. “C’est très bien d’évoquer un salaire minimum, mais il faut d’abord que tous ces migrants soient payés. Et ce n’est pas le cas”, souligne-t-elle.

A la fin du documentaire, Kenneth rappelle à son responsable qu’il était venu au Qatar pour jouer au foot, dans un vrai club, et lui demande si des possibilités existent.”Il y a des règles. Il faut d’abord que tu travailles cinq ans. Mais garde ton rêve en tête. Tu es encore jeune…”

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