Sonaca, FN… La Wallonie est-elle à l’heure des privatisations ?

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Le nouveau gouvernement régional a sans doute moins de réticences idéologiques à envisager de vendre tout ou partie de ses participations dans des entreprises. L’ouverture du capital de la Sonaca est-elle l’amorce d’un mouvement plus large ?

Le nouveau gouvernement était à peine installé, que les tractations en vue de la privatisation partielle de la Sonaca étaient dévoilées par L’Echo. La première étape d’un reprofilage des actifs de la Région wallonne ? Une coalition de centre-droit n’a, a priori, aucune réticence idéologique envers le désengagement de l’autorité publique. Les choses sont toutefois nettement plus nuancées que cela. D’abord parce que le précédent ministre de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), n’avait jamais fermé la porte à l’arrivée de partenaires privés dans le capital des entreprises publiques wallonnes. Il avait même été plus loin en mandatant, il y a 10 ans, la banque Rotschild afin d’évaluer les possibilités d’ouverture du capital de la Sonaca.

En dépit de plusieurs marques d’intérêt (dont celle du groupe français Zodiac racheté depuis par Safran, un partenaire de la Région wallonne, l’histoire n’est décidément jamais avare de clins d’oeil), l’opération n’avait pu se conclure. Elle butait notamment sur le souhait des investisseurs d’avoir le contrôle de l’entreprise alors que le politique tenait à conserver la majorité des parts, pour garantir le maintien de l’emploi et du centre de décision en Wallonie.

Le ministre a changé depuis mais la position de principe reste la même. ” La porte est ouverte mais avec une très grande prudence car l’aéronautique est un secteur hyper-concurrentiel dans lequel la Wallonie est bien positionnée et où le maintien des centres de décision est essentiel “, déclarait en effet Pierre-Yves Jeholet (MR), début septembre dans Trends-Tendances, pour sa première grande interview en tant que ministre de l’Economie. Le fonds Ergon Capital Partners (groupe GBL) répondait manifestement aux conditions puisque les négociations en vue d’un rachat de 25 à 30 % du capital de la Sonaca sont en bonne voie. Elles auraient même pu se conclure plus tôt (sous l’ère Marcourt, donc) si l’entreprise wallonne n’avait pas entretemps racheté la firme américaine LMI Aerospace. Un changement d’actionnariat à ce moment-là aurait sans doute ralenti la procédure de validation de l’opération par les autorités américaines et il fut jugé plus sage de mettre les discussions entre parenthèses. Le changement de majorité politique fut ensuite une autre parenthèse…

Sonaca : les atouts du privé

L’ouverture au privé apporte deux atouts à la Sonaca. D’une part, elle amène une expertise industrielle et internationale supplémentaire dans son conseil d’administration. Un élément précieux au moment de gérer le doublement de volume de l’entreprise du fait de l’intégration de LMI. D’autre part, elle élargit l’assise financière, ce qui permettra éventuellement à la Sonaca de songer à d’autres acquisitions dans un secteur où les consolidations devraient se poursuivre.

Dans la mesure où chacun reste prêt à intervenir quand c’est nécessaire, des partenaires privés minoritaires sont parfaitement envisageables sur le long terme.” Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca

Les discussions entre Ergon et la Région wallonne doivent aussi définir les conditions de sortie du fonds d’investissement qui n’a, par nature, pas vocation à s’éterniser dans une entreprise. Trouvera-t-on, à ce moment-là, un partenaire prêt à rester minoritaire ? ” Dans la mesure où chacun reste prêt à intervenir quand c’est nécessaire, des partenaires privés minoritaires sont parfaitement envisageables sur le long terme, estime le CEO de la Sonaca, Bernard Delvaux, qui a connu des partenariats publics-privés chez Proximus (à l’époque Belgacom) et bpost. S’il fallait changer d’optique, je préférerais bien entendu que ce soit sur base de considérations industrielles, parce que le développement de l’entreprise nécessite des moyens supplémentaires, pour que pour des motifs purement budgétaires. ” La question de l’emploi à Gosselies (plus de 1.500 personnes, dont deux tiers d’ouvriers) pèserait alors dans la balance.

Pas de braderie chez Wespavia

La Région wallonne contrôle la Sonaca, à travers son bras financier, la SRIW. Ou plus exactement à travers de filiales de la SRIW : Fiwapac, créée pour assurer les interventions de la Région lors de la crise financière de 2007-2008 ; et Wespavia, qui concentre les participations dans l’aéronautique et la défense. Wespavia est présente dans trois autres entreprises : le groupe Herstal (FN), Safran Aero Boosters et JD’C Innovation. Voyons si le vent de la privatisation y souffle aussi. On mettra d’emblée de côté JD’C Innovation. Il s’agit en effet d’une entreprise à finalité sociale, ce qui modifie clairement l’approche. Cette filiale d’une entreprise de travail adapté fabrique des pièces en matériaux composites à destination de l’aéronautique. Wespavia y a investi aux côtés du groupe CMI.

Des rumeurs de privatisation ont circulé à propos de la FN, obligeant d’ailleurs Pierre-Yves Jeholet à sortir du bois pour assurer qu’aucun projet en ce sens n’était sur la table. Il est vrai que, lorsqu’il était chef de groupe de l’opposition, il avait réclamé la privatisation de la FN. Depuis, il est plus prudent. Rien de neuf sous le soleil néanmoins : Jean-Claude Marcourt clamait lui aussi que la porte de la FN restait ouverte à d’éventuels partenaires privés.

Atout du privé, l'ouverture au privé permettrait à la Sonaca de notamment élargir son assise financière.
Atout du privé, l’ouverture au privé permettrait à la Sonaca de notamment élargir son assise financière.© belga image

Cela se savait évidemment très bien dans le petit monde de l’industrie de l’armement et, malgré cela, aucune marque d’intention sérieuse n’est arrivée sur la table des autorités wallonnes, nous assure-t-on. L’entreprise est pourtant redevenue bien rentable. Elle a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 850 millions (+10%) et octroie un dividende d’une dizaine de millions à la Région. Mais la FN a deux lacunes importantes aux yeux des investisseurs extérieurs. Ses contrats dépendent souvent de licences d’exportation, dont l’octroi est soumis à des aléas politiques ou géopolitiques (avoir l’Arabie saoudite parmi ses gros clients n’est pas toujours un atout…) et, par ailleurs, un climat social délétère paralyse un peu trop régulièrement les outils. ” La privatisation n’est absolument pas à l’ordre du jour “, assure Pierre-Yves Jeholet, soucieux de préserver l’activité, l’emploi et le centre de décision en Wallonie. Par le passé, le nouveau ministre de l’Economie a souvent dénoncé l’emprise syndicale sur l’évolution de la FN. Parviendra-t-il, maintenant qu’il est aux commandes, à trouver les initiatives adéquates pour y remédier ?

La Région a l’intelligence de jouer son rôle de défense de l’emploi local, sans s’immiscer dans la gestion industrielle du groupe.” Yves Prete, CEO de Safran Aero Boosters

Il reste alors Safran Aero Boosters. Il s’agit ici d’une entreprise privée (le groupe Safran est coté à Paris), dont la Wallonie détient 31 %. Cette participation minoritaire préserve-t-elle, à elle seule, l’ancrage liégeois et l’emploi de 1.500 personnes ? ” La légitimité d’une implantation ne dépend pas fondamentalement de la présence ou non d’un actionnaire public mais de l’excellence des gens qui y travaillent et de la satisfaction des clients “, répond Yves Prete, CEO de Safran Aero Boosters. Et a priori, cela fonctionne car le chiffre d’affaires est à la hausse et que le groupe a même rapatrié à Liège des activités effectuées à l’étranger.

La Région wallonne pourrait-elle donc vendre sa participation sans trop de risque pour Liège ? Le gouvernement wallon assure que l’hypothèse ne doit pas s’analyser sous la seule optique budgétaire. Safran Aero Boosters, c’est en effet aussi du travail pour de nombreux sous-traitants régionaux et une grande entreprise très impliquée dans le pôle de compétitivité Skywin. Deux éléments structurants pour le tissu industriel. En outre, cette participation apporte une vingtaine de millions par an en dividendes, ce qui n’est pas négligeable. ” Nous avons une excellente collaboration avec la Région, précise Yves Prete. Elle a l’intelligence de jouer son rôle de défense de l’emploi local, sans s’immiscer dans la gestion industrielle du groupe. ”

Le fédéral investit dans l’aéronautique wallon

Sonaca, Safran et FN présentent un point commun : ces entreprises étaient au bord du dépôt de bilan quand la Région wallonne y a investi. A bon escient puisqu’elles sont aujourd’hui toutes trois florissantes. Ces réussites battent en brèche certaines idées reçues sur l’investissement public. Elles démontrent que quand la spécificité publique – une vision résolument de long terme – n’est pas polluée par des comportements très politiciens – on y a installé des équipes compétentes, sans trop se préoccuper des étiquettes politiques -, les initiatives industrielles publiques ont plus que leur raison d’être dans l’économie moderne.

Malgré le changement de coalition en Wallonie, le débat idéologique sur la privatisation relève sans doute plus du niveau fédéral. Le gouvernement de Charles Michel a en effet mandaté deux banques d’affaires (Nomura et Leonardo) pour dresser un état des lieux de ses participations et préparer une cession d’actifs afin de réduire l’imposante dette publique.

Dans ce contexte, il est intéressant de relever que l’Etat fédéral possède, via la SFPI, des ” petites ” participations historiques dans la Sonaca (passée de 3 à 7 % lors de la récente augmentation de capital pour financer le rachat de LMI) et Safran Aero Boosters (1,78%). Elles étaient valorisées respectivement à 4,75 et 3,76 millions dans le portefeuille de la SFPI (chiffres établis avant l’opération LMI qui a relevé à la fois la valeur de l’entreprise et la hauteur de la participation fédérale). Quelle est encore leur raison d’être aujourd’hui, dans une Belgique qui a régionalisé ses politiques économiques ? Ni la SFPI ni son ministre de tutelle (Johan Van Overtveldt, N-VA) n’ont souhaité répondre à nos questions à ce propos. Ces ” petites ” participations fédérales s’inscrivent dans une stratégie plus large, une stratégie plus financière qu’industrielle : la SFPI a constitué un pôle aéronautique important, autour de sa participation dans Brussels Airport. Le secteur représentait 27 % de son portefeuille à la fin 2016 et générait des dividendes conséquents, surtout grâce à l’aéroport.

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