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Royaume-Uni: “Le retour des nationalisations”

De manière surprenante certainement, la première grande mesure prise par le gouvernement Johnson après la déclaration officielle du Brexit, le 31 janvier, a été une nationalisation.

Le pronostic largement partagé était celui d’un Royaume-Uni se transformant rapidement en une vaste zone franche à la manière d’un Singapour, maniant le moins-disant fiscal et juridique comme armes de combat d’une nation se convertissant en pirate, et éventuellement en pillard de ses anciennes camarades de l’Union européenne. Or que voit-on au lieu de cela ? Une mesure typique des gouvernements n’ayant que peu de sympathie pour le laisser-faire des marchés. Ç’aurait donc été ça la tyrannie de l’Union européenne dont il s’agissait de s’affranchir : son amour du secteur privé et son dédain du secteur public, accompagné du coup de l’interdiction de nationaliser ?

Pourquoi, cette nationalisation particulière ? En raison de la colère qui grondait parmi les usagers de la compagnie de chemins de fer Northern connectant des villes comme Birmingham, Liverpool et Manchester. Northern, initialement privatisée en tant que Northern Rail, était devenue en 2016 la possession de Arriva une filiale des chemins de fer allemands.

Les vices de Northern ? Tous ceux qui sont ordinairement invoqués quand il s’agit de faire miroiter les vertus du privé par rapport au public : retards constants, trains supprimés en grand nombre, toits des wagons fuyant sur la tête des voyageurs.

Les avantages de la nationalisation : minimiser les frais de transaction entre les différentes composantes du système ferroviaire, bénéficier du facteur d’échelle, et pour l’Etat, pouvoir planifier les efforts de modernisation à l’échelle du réseau tout entier. Et surtout, pouvoir réinjecter comme fonds propres les sommes qui s’échappent sinon en dividendes.

La réflexion sur les nationalisations bat son plein en ce moment, sous la conduite de l’économiste Mariana Mazzucato. Choquée il y a quelques années par la virulence d’une attaque contre les fonctionnaires menée par David Cameron alors Premier ministre britannique, qui les avait qualifiés d'” ennemis de l’entreprise “, elle s’était penchée sur les grandes découvertes créatrices de richesse au cours des dernières décennies, comme le smartphone, l’Internet, le GPS, l’écran tactile et l’assistant vocal Siri, pour découvrir que leur invention même et leurs développements initiaux étaient nés au sein du secteur public. Cela l’avait conduite à distinguer la création de richesse, dont elle montre à partir de nombreux exemples internationaux qu’elle est encore aujourd’hui massivement subventionnée par le secteur public, et l’extraction de richesse, qui est elle quasi totalement privée.

David Hall, de Greenwich University, a calculé le bénéfice annuel qui résulterait pour la communauté d’une nationalisation de certains secteurs au Royaume-Uni : l’équivalent de 4,5 milliards d’euros pour le gaz et l’électricité, 3 milliards pour l’eau, 1 milliard pour le secteur de la bande passante. Des sommes qui pourraient servir, dit-il, au refinancement de ces activités ou alimenter une caisse commune au service de l’intérêt général. Pourquoi des montants aussi élevés ? Du fait d’une dérive qui a fait passer les dividendes, de part de la richesse créée grâce aux fonds avancés par les actionnaires lors de l’émission, à une rente perçue quels que soient les résultats financiers de l’entreprise. Une manne pour l’actionnaire, pour le versement de laquelle l’entreprise ira même aujourd’hui jusqu’à s’endetter.

Le coupable ? Une conception darwinienne brutale de la concurrence affirmant que le meilleur l’emporte nécessairement, qui assurera à l’usager le meilleur service possible ainsi qu’une baisse du prix. Où le modèle achoppe-t-il ? Dans le fait que le vainqueur se retrouve dans une situation de monopole de fait où il décide de sa marge, se désintéresse de ses clients vache-à-lait pour ne plus se préoccuper que de sa propre bonne santé. Et, quand les choses commencent à aller trop mal et que les usagers mènent la vie trop dure à leurs élus, l’Etat apparaît comme le sauveur de dernier ressort. Si bien qu’il est maintenant question au Royaume-Uni de venir à la rescousse aussi de Southwestern Railway dont la faillite est pronostiquée avant la fin de l’année, et pourquoi pas de TransPennine dont 40% des trains furent supprimés ou accusaient un retard de plus d’une demi-heure dans la période d’avant-fêtes. On n’a donc pas fini de reparler de nationalisations. En tout cas au Royaume-Uni.

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