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Quelles leçons de la crise? “La vie d’abord!”

Pour ceux qui sont nés avant 1938, la guerre est une horreur qu’ils ont dû endurer. Les plus jeunes d’entre eux avaient 2 ans en 1940 et 6 ans en 1944. Ils ont aujourd’hui 82 ans. Certains ont eu le malheur de vivre une guerre civile ou extérieure à l’étranger. Mais pour la plupart, la guerre sur notre territoire est une épreuve qui nous a heureusement été épargnée et les événements que nous vivons aujourd’hui constituent le premier véritable état d’exception que nous connaissions.

Notre espèce est en réalité bien équipée pour affronter les épreuves. Pour qu’elle soit toujours fidèle au poste en 2020, il faut que nos ancêtres aient survécu à la maladie sans l’aide d’autres traitements que se rouler dans la boue, sans autre médicament que lécher l’écorce du bouleau. Il faut qu’ils se soient défendus contre les loups, les ours des cavernes qui faisaient deux fois notre taille et les tigres à dents de sabre, aux canines longues de 28 cm. Si nous n’avons pas entièrement oublié nos bons réflexes, nous ne sommes donc pas entièrement désarmés. D’autant que notre tradition de solidarité – nous sommes un animal social, avait déjà observé Aristote : zoon politikon – nous permet de combattre l’adversité en nous serrant les coudes.

Nous avons survécu à tous les fléaux et autres calamités : nous sommes toujours debout. Nous avons préféré vivre à mourir, et nous nous sommes défendus bec et ongles pour y parvenir… Jusqu’à ce que l’âge nous abatte. Car les lutteuses les plus courageuses, les plus habiles combattants finissent aussi par mourir… de vieillesse.

Est-ce à dire que nous faisons systématiquement le choix de la vie contre la mort ? Non, nous a dit Donald Trump dans une déclaration récente qui a fait se lever plus d’un sourcil. Il est plus essentiel de gagner de l’argent que d’être en vie, a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Il a exprimé le voeu que l’activité économique reparte au plus tôt et a illustré son propos par quelques chiffres montrant combien être président lui avait déjà coûté cher. Je ferai en sorte, a-t-il dit, que les Américains se pressent dans les églises pour la messe de Pâques (le 12 avril). Ses conseillers médicaux à ses côtés ont alors émis quelques réserves.

Sa promesse ayant causé la consternation des journalistes, Trump s’en est expliqué : ” Il ne faut pas que le remède soit pire que le mal : si nous persistons dans la voie du confinement, le nombre de personnes qui se suicideront parce qu’elles ne pourront plus gagner d’argent dépassera le nombre de victimes éventuelles du coronavirus “. Il ne voulait pas dire ” gagner de l’argent ” par opposition à ” mourir de faim “, il disait clairement que ne pas pouvoir amasser de l’argent conduisait au désespoir. Si l’on croit donc le président américain, un souci apparu avec la civilisation est devenu plus essentiel que la vie, cette vie que nos ancêtres ont pourtant su vaillamment défendre contre les bêtes sauvages et les 10 plaies d’Egypte.

En des temps comme ceux-ci, le chroniqueur est sollicité d’ajouter son nom à des appels solennels tirant les leçons de la crise en cours. Ceux-ci tombent dans deux catégories. La première proclame ” Exigeons de nos dirigeants des garanties que les mesures qui s’appliquent à nous en ce moment seront bien provisoires “, et une liste est établie des restrictions aux libertés individuelles imposées aujourd’hui pour assurer la protection de tous. La deuxième catégorie va en sens inverse : ” Exigeons que les mesures prises aujourd’hui le soient une fois pour toutes “, et dans la liste se trouvent la pérennisation de l’Etat-providence, par exemple par son inscription dans la constitution, la solidarité avec les victimes du sort, l’interdiction de la spéculation (interdiction aujourd’hui des ventes à découvert), la nationalisation des entreprises assurant un service public (énergie, télécommunications, banques de dépôt et de crédit), etc.

Il apparaît ainsi qu’il y a deux versants à la liberté. L’un est aujourd’hui plébiscité : la liberté de la biche au fond des bois ; l’autre rejeté : celle du renard dans le poulailler. Mais aucun texte n’a encore été soumis à mon approbation qui proclamerait que gagner de l’argent est plus important que vivre.

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