Mischaël Modrikamen, après la dissolution du PP: “Je ne veux plus apporter ma caution à ce système”

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Si Mischaël Modrikamen a connu beaucoup de victoires comme avocat, il en a goûté beaucoup moins sur le plan politique. Dix ans après sa création, le Parti Populaire, qui n’a plus d’élu, s’est dissous. Et Mischaël Modrikamen souhaite “changer de vie”.

On avait connu Mischaël Modrikamen en 1995, tout au début de sa première vie, celle d’avocat d’affaires et de sa première victoire en faveur des épargnants, des clients de la CGER qui avaient souscrit à des obligations d’un assureur vie canadien tombé en faillite. On l’avait retrouvé ensuite dans une série de dossiers, toujours défendant l’intérêt d’actionnaires minoritaires : Cera, la Banque nationale, etc. Mais c’est l’affaire Fortis en 2008 qui va le faire connaître du grand public et qui va le décider, lui dont le père fut le président du Setca et des Mutualités socialistes de Charleroi, à se lancer dans la politique. Mais à droite de l’échiquier, avec un ” parti populaire ” prônant une ” droite décomplexée “. Le parti est créé en novembre 2009. Dix ans plus tard, suite à l’échec des dernières élections de mai dernier où il ne parvient pas à obtenir d’élu, le Parti Populaire est dissous. Retour sur cette aventure politique…

TRENDS-TENDANCES. Des regrets ?

MISCHAËL MODRIKAMEN. Non, absolument pas. Je voulais faire bouger les choses et j’aurais regretté de ne pas l’avoir tenté. J’ai le sentiment du devoir accompli. Mais sur le fond, je crois que nous allons dans le mur. La Wallonie est dans un état déplorable. Bien sûr, on peut mettre en avant la richesse et l’activité économique du Brabant wallon. Mais dans le Borinage, à Charleroi, dans une partie de Liège… Le pays est paralysé entre une Flandre majoritairement à droite et une Wallonie majoritairement à gauche. Les Flamands se disent que presque personne ne porte leurs idées en Wallonie, ce qui les renforce dans l’idée que ce pays n’a pas d’avenir. Je suis triste car notre programme était un des seuls à prendre les problèmes à bras le corps, avec un vrai big bang fiscal, une vraie réduction des dépenses sociales, une réduction drastique des dépenses publiques, la suppression des institutions inutiles (province, intercommunales, Communauté française, etc.). Pour le Bureau du Plan, qui avait analysé les programmes des partis, nos mesures créaient le plus d’emplois. Et en termes de coût énergétique, il y avait une réduction de 14% des dépenses pour les ménages, en prolongeant notamment les centrales nucléaires.

Une des explications de notre échec, c’est aussi peut-être que, contrairement au PTB ou au Vlaams Belang, nous n’avons jamais fait preuve de démagogie.

Pourquoi abandonner aujourd’hui ?

La principale cause de l’arrêt de cette activité politique est que je ne veux plus apporter ma caution à ce système, totalement bouché d’un point de vue fonctionnel, légal et idéologique.

Ce discours de “droite décomplexée” que vous prôniez attire des électeurs dans beaucoup d’autres pays : en Italie, en Hongrie, en France, aux Pays-Bas… Pourquoi pas dans le sud du pays ?

Encore faut-il que les électeurs soient informés. Or, le verrou de la presse a été très important. Aux élections européennes, nous avons fait 5 % en Wallonie et 4 % à Bruxelles. Nous avons perdu 20.000 électeurs, ce qui n’est pas énorme mais ils nous ont coûté cher car c’est ce qui fait la différence entre conserver un parti ou non. En France, quelqu’un comme Nicolas Dupont-Aignan peut participer au débat. En Allemagne, aux Pays-Bas, il y a aussi une ouverture aux idées différentes. N’allons pas si loin : en Flandre, le Vlaams Belang, un parti pourtant en perte de vitesse et qui, avec alors 5 ou 6% des voix, était dans tous les débats. Mais il n’y a qu’en Wallonie que quelques journalistes ou rédacteurs en chef décident de ce qui est pertinent de relayer ou pas.

Pourquoi selon vous ?

Si vous êtes climato-sceptique, eurosceptique ou tout simplement de droite, vous cochez toutes les mauvaises cases. Une toute récente thèse de doctorat d’une étudiante d’Oxford, qui analysé les mouvements de droite chez nous et dans les pays voisins, conclut que si cette droite n’a pas percé dans le sud du pays alors qu’elle l’a fait ailleurs, c’est en raison essentiellement du blocage de la presse. Lorsque j’étais en campagne électorale, sur 10 Wallons que je rencontrais, cinq ne connaissaient même pas l’existence du parti. Non seulement on ne nous parlait pas, mais nous étions ” groupusculisés “. On disait : à droite du MR, il y a le PP, mais aussi Destexhe, Nation, etc. On mettait tout le monde sur le même pied, alors qu’à nous seuls, nous faisions autant que les autres réunis. Pour moi, ce rejet de la presse politique a été un grand choc, car quand j’étais avocat, j’avais des rapports étroits avec la presse économique.

Mischaël Modrikamen, après la dissolution du PP:
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On ne peut quand même pas rejeter la faute uniquement sur la presse : de Cinq Etoiles en Italie à Trump, en passant par les divers mouvements populistes en Hongrie, en Espagne, aux Pays-Bas, aucune n’était appuyé par la presse classique. Ils ont réalisé leurs résultats sur les réseaux sociaux…

Je ne suis pas d’accord. Sans l’amplification de la presse classique, cela ne fonctionne pas. Les réseaux ne sont qu’un complément. Donald Trump, par exemple, était certes attaqué, mais on parlait de lui. Il faisait les grands titres du New York Times. Nous, nous avons publié des communiqués qui n’ont été repris nulle part, nous avons organisé des conférences de presse sans personne. Nous avons été mis hors du débat parce que nous n’avons pas été jugés légitimes.

Pourtant, un parti comme le PTB a réussi à passer à la vitesse supérieure.

Le PTB a une histoire de 50 ans. Ce sont des maisons médicales, des organisations structurées qui constituent un terreau électoral. Et Raoul Hedebouw, avec sa gouaille, caresse les gens dans le sens du poil et rencontre un écho auprès des journalistes.

Le PTB publiait aussi des petites “études” (sur le taux d’imposition des multinationales, par exemple), qui étaient anglées pour qu’on fasse parler de lui…

C’est un bon exemple. Nous avons, nous aussi, réalisé des études. Sur l’immigration, quelqu’un a travaillé pour nous pendant six mois à partir uniquement des statistiques officielles. Et cette étude d’une centaine de pages, qui nous a coûté 15.000 euros arrivait à la conclusion que l’immigration a coûté environ 7,8 milliards d’euros. Nous avons fait une conférence de presse. Seul Sudpresse était présent.

Vous parlez aussi du “verrou politique”…

Il y a 25 ans, lorsqu’un parti faisait 4 ou 5 % des voix, il avait trois ou quatre députés et sénateurs. Il avait déjà du poids. Nous, lors des élections précédentes, avec 100.000 voix, en faisant plus de 5 % à l’Europe et près de 5 % aux élections fédérales et aux Régions, nous avions, en raison de la clé D’Hondt, juste un député régional et un fédéral. En 2014, par exemple, je faisais suffisamment de voix pour avoir un siège. Mais en raison du seuil des 5%, le dernier siège a été attribué au MR, avec 30.600 voix, alors que j’en faisais plus 32.000. Dans les communes, où joue une clé de répartition plus sévère, c’est pire encore. Dans certaines communes où nous avions engrangé 8% des voix, nous n’avions aucun conseiller communal. S’il y avait une seule circonscription pour la Wallonie et pas de seuil, il y aurait un renouvellement politique beaucoup plus important.

Je ne renie pas mes idées politiques, mais j’ai décidé de changer de vie.

Au niveau du financement, le système est tout autant biaisé. Le financement de base est lié au nombre de voix reçues. Mais il est démultiplié dès que le parti constitue des groupes, qu’il est présent au Sénat. En 2014, nous avions eu 100.000 voix et le PS 700.000. Nous avons eu 500.000 euros de financement public, et le PS 11 ou 12 millions. Donc sept fois plus de voix ont donné lieu à près de 25 fois plus de financement public. Et l’on ne peut aller chercher de l’argent ailleurs puisque la loi de financement des partis prévoit que dès que l’on a déposé des listes, on ne peut bénéficier de plus de 500 euros de donation de particuliers. Nous vivons dans une république bananière.

Le qualificatif est peu fort, non ?

Non. Nous avions rentré nos comptes six jours trop tard en 2015 ou 2016. On vote une loi rétroactive qui nous sanctionne d’un mois de dotation. Nous avons dû aller devant le Conseil d’Etat et nous avons gagné. Autre exemple : en 2014, avec DéFI et le PTB, nous avions également présenté des listes en Flandre. Nous y avions recueilli 3.000 voix, ce qui représentait une dotation d’une quarantaine de milliers d’euros. Pour DéFI, c’était environ 500.000 euros et pour le PTB 1,6 million. DéFI va en justice et gagne. Il y a un problème dans la commission électorale et la décision passe en séance plénière de la Chambre qui décide de verser l’argent à DeFI. De même pour le PTB. Pour le Parti Populaire, qui est exactement dans la même situation, le vote rejette la dotation. Nous allons en référé et nous gagnons. Et j’attends toujours l’argent. Je pourrais aussi parler de la justice. La nouvelle loi sur les intercommunales a transformé les administrateurs surnuméraires – nous avions par exemple un administrateur chez Publifin – en simple observateur sans droit de vote ni rémunération. On a jugé par deux fois que nous n’avions pas d’intérêt à agir. Dans mon contentieux contre RTL et la RTBF, j’ai eu deux décisions de justice disant que je ne démontrais pas un dommage en ne passant pas à la télévision… Pour un parti politique !

Mais les problèmes n’étaient pas uniquement externes : il y a eu aussi, au sein du parti, des épisodes comme celui de Laurent Louis (exclu du parti pour propos racistes) ?

Non, je ne suis pas d’accord, nous n’avions pas de problèmes organisationnels. Je regrette l’épisode Laurent Louis, mais c’était en 2010 ! Il faut arrêter. C’est un événement que connaissent tous les partis qui se lancent, parce que des gens arrivent de tous côtés. Aux Pays-Bas, chez Geert Wilders ou au Forum voor Democratie de Thierry Baudet, à l’AfD en Allemagne, il y a eu aussi des scissions, des départs… Mais l’organisation que je liquide aujourd’hui roulait : nous approchions des 5.000 membres, 140 sections locales, 120 cadres et sur les réseaux sociaux, nous avions près de 90.000 personnes qui nous suivaient… Une des explications de notre échec, c’est aussi peut-être que, contrairement au PTB ou au Vlaams Belang, nous n’avons jamais fait preuve de démagogie. Nous avons toujours dit qu’il fallait faire des efforts. Nous étions ainsi pour la pension à 67 ans.

Ce qui a pesé aussi, c’est de ne pas avoir réussi à vous allier à la liste d’Alain Destexhe, non ?

Si. Alain Destexhe avait globalement le même programme que nous à 90%. Il y avait des nuances sur l’Europe, mais nous étions d’accord sur l’essentiel. Avec tous les contacts que j’ai eus avec lui, j’ai été surpris qu’il refuse. J’étais prêt à tous les types d’alliances (cartel, listes communes, voire un partage : Destexhe à Bruxelles, le PP en Wallonie…). Ensemble, nous faisions 120.000 voix. Ce qui donnait deux ou trois députés fédéraux et régionaux wallons.

Vous abandonnez donc la politique définitivement ?

Je m’y étais préparé depuis des mois. Les gens ne se rendent pas compte, mais pour faire de la politique, j’ai mis de côté un cabinet prospère et qui a d’ailleurs continué à prospérer par la suite. Lors de la dernière campagne, il y avait 20 à 30 personnes chaque jour dans notre maison. Mon épouse Yasmine – très active aussi dans le parti – et moi, nous nous étions dit, après 10 ans, que nous ferions le point. Et que, quel que soit le cas de figure, nous assurerions : continuer à mener le combat en cas de succès ou changer de vie avec le sentiment du devoir accompli en cas d’échec.

Vous allez reprendre votre métier d’avocat ?

Je vais mettre ces deux ou trois mois à profit pour prendre des vacances et décider de ce que je veux faire. Je ne renie pas mes idées politiques, mais j’ai décidé de changer de vie. D’ailleurs, je mets ma maison en vente… J’ai envie de voir autre chose.

Profil

Naissance le 22 février 1966.

Avocat spécialisé dans la défense des actionnaires minoritaires, il remporte sa première victoire en obtenant l’indemnisation des clients de la CGER qui avaient acheté des obligation Confederation Life, un assureur canadien tombé en faillite.

– 2008. Défend les actionnaires de Fortis. Une action sur le fond est encore pendante contre BNP et l’Etat belge.

– 2009. Fonde avec Rudy Aernoudt le Parti Populaire, qui obtient un député en 2011 (Laurent Louis). Rudy Aernoudt et Laurent Louis sont exclus respectivement en 2010 et 2011.

2018. S’associe à Steve Bannon dans The Movement, organisation qui veut favoriser le développement des partis populistes en Europe.

– 2019. Fin mai, après la défaite aux élections, il dissout le Parti Populaire et se retire de la vie politique.

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