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Les dangers du plein emploi

Eradiquer le chômage. Nicolas Sarkozy l’avait déjà promis il y a 10 ans. Angela Merkel réitère cette volonté aujourd’hui. Et notre ministre de l’Emploi Kris Peeters lui a emboîté le pas: il voudrait que la Belgique atteigne le plein emploi d’ici 2025 et crée 240.000 jobs de plus en huit ans. Plausible ?

Un bel objectif qui devrait rendre à chacun sa dignité, assurer un pouvoir d’achat suffisant pour soutenir la croissance et rééquilibrer les comptes nationaux. Qui irait à l’encontre de tels buts qui fleurent l’heureuse insouciance des Trente Glorieuses ?

Cela paraît simple. Et pourtant cela ne l’est pas.

D’abord, qu’est-ce que le plein emploi ? Le bon sens nous dit que c’est une situation dans laquelle chacun d’entre nous peut trouver un travail. Pourtant, ce n’est pas le chômage zéro. Il existe en effet un chômage incompressible, qui tient compte du temps mis par un travailleur pour passer d’un emploi à un autre ou du fait que le marché de l’emploi n’est jamais totalement parfait. Dans nos économies développées, ce chômage ” frictionnel ” s’élève à 3 %.

Un autre élément doit être pris en considération : le risque de déséquilibre du marché de l’emploi. Trop d’offres d’emplois insatisfaites provoquent une tension sur les salaires et, au final, de délétères bouffées d’inflation. Trop d’emplois peut tuer l’emploi.

Dans des grands pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne, ce n’est pas une question majeure car le point où le marché de l’emploi commencerait à faire chauffer l’économie est similaire au taux de chômage frictionnel : autrement dit, pour ces économies, atteindre le plein emploi ne va pas faire flamber les prix.

Mais c’est loin d’être le cas en Belgique. Comme le fait remarquer l’économiste d’ING Philippe Ledent, récemment interrogé par nos confrères de L’Echo, dès que notre taux de chômage passe en dessous de 7-8 %, l’inflation salariale commence à se faire sentir. Une sensibilité qui s’explique par le faible nombre de seniors encore actifs et une certaine inadéquation entre l’enseignement et les besoins des entreprises, surtout dans le Sud du pays. Une caractéristique d’ailleurs épinglée par les patrons wallons.

A quoi cela sert-il d’avoir un emploi si c’est pour rester pauvre ?

Et puis, à quoi cela sert-il d’avoir un emploi si c’est pour rester pauvre ? Le lien entre emploi et niveau de vie n’est pas si naturel, en effet. Prenez l’Allemagne, érigée comme un modèle. Le pays, aidé par sa démographie peu dynamique, a abaissé son taux de chômage de 5,5 %. Mais 17 % de sa population est menacée de pauvreté (un pourcentage en augmentation), un constat qui a provoqué en mai dernier une mise en garde du Fonds monétaire international (FMI) à l’égard de Berlin. Dans cette problématique, notre pays est plutôt bien positionné : l’OCDE (le club des pays riches) loue la Belgique pour son salaire moyen relativement élevé et le faible niveau des inégalités. Avec un taux de chômage de 7,6 %, bien plus élevé qu’en Allemagne, notre pays affiche un nombre de personnes menacées par la pauvreté moins important (15 %).

Le plein emploi n’est donc pas la panacée. Il doit s’accompagner de revenus du travail suffisamment élevés (ce qui suppose, entre autres, une fiscalité qui ne soit pas trop pénalisante et des entreprises qui produisent beaucoup de valeur) ainsi que de la diminution du nombre de personnes qui, chez nous, sont en âge de travailler mais sont néanmoins inactifs. Cette augmentation du taux d’emploi est nécessaire pour solidifier nos finances publiques et faire face aux coûts du vieillissement

Alors, au final, le plein emploi ne serait-il qu’une chimère ? Un pur slogan électoraliste ? Certainement pas. La fin du chômage est le rêve caressé par tous car il s’agit de faire en sorte que chaque citoyen ait un travail et se sente inclus dans la société. C’est le meilleur rempart face au populisme qui guette. Cet objectif mérite tous les efforts. Mais il ne peut pas être rempli dans n’importe quelles conditions.

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