Les chômeurs bruxellois auront droit à un revenu de formation: un incitant décisif ou une prime à l’inactivité?

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L’accord de gouvernement régional prévoit d’octroyer 4 euros/heure aux demandeurs d’emploi en formation. Un incitant décisif ou une prime à l’inactivité ? Les avis sont partagés.

“Etre payé pour se former, c’est quand même un peu le monde à l’envers. ” Le ministre wallon de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR) est remonté contre une disposition de l’accord de gouvernement bruxellois qui prévoit d’octroyer 4 euros/h, en plus de l’allocation de chômage, aux demandeurs d’emploi qui suivent une formation professionnalisante. ” Je crains que cela ne renforce le carrousel des formations, sans aucun impact sur le marché du travail, poursuit le ministre wallon. Certains préféreront rester au chômage et aligner les formations plutôt que de réellement chercher du travail. ”

Le revenu de formation permettra de repartir sur un parcours positif. C’est tout l’inverse de l’assistanat, c’est l’émancipation !” Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris

Ces 4 euros de l’heure sont-ils vraiment si graves que cela ? Ils ne sortent pas de nulle part puisque la formation rémunérée pour les demandeurs d’emploi, cela existe depuis une trentaine d’années dans tout le pays, pas seulement à Bruxelles. Quand le dispositif a été lancé, on parlait encore en francs belges et l’indemnité de formation avait été fixée à 40 francs de l’heure. Si elle avait été ne fût-ce qu’indexée depuis, nous en serions déjà à 2 euros de l’heure aujourd’hui. Cela réduit l’ampleur du bond décrété par les négociateurs bruxellois. Précisons en outre qu’il ne s’agit pas tout à fait de 4 euros/h mais plutôt de 3 euros + 1 euro, le dernier euro ne tombant qu’en fin de parcours et pour autant que la formation ait été réussie. En tout état de cause, le revenu du demandeur d’emploi en formation ne pourra dépasser le salaire minimum interprofessionnel pour éviter de se transformer en un magnifique piège à l’emploi.

Grégor Chapelle, directeur général d'Actiris
Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris© BELGAIMAGE

Pas de priorité aux métiers en pénurie

” Je n’ai pas de problème avec les 4 euros en tant que tels, commente le président de l’UCM, Pierre-Frédéric Nyst. Que celui qui fait des efforts mérite une récompense, c’est un message que je peux entendre. ” Il aurait toutefois préféré que la dépense publique soit ciblée sur les métiers en pénurie et les fonctions critiques. La Belgique affiche en effet un taux d’emploi vacant de 3,6%, largement au-delà de la moyenne européenne (2,4%), ce qui pèse sur la croissance économique de notre pays. ” C’est pourquoi il faut concentrer les moyens sur les formations dans les métiers en pénurie, afin d’augmenter les chances de retour à l’emploi, estime Pierre-Yves Jeholet. Ne nous dispersons pas, il y a déjà tellement de formations qui ne mènent à pas grand-chose. ” En Wallonie, les demandeurs d’emploi qui se forment à ces métiers reçoivent une prime forfaitaire de 350 euros (exonérée). ” Des besoins ne sont pas rencontrés sur le marché du travail, reprend Pierre-Frédéric Nyst. Je ne trouve pas choquant d’orienter les moyens publics vers ces formations, qui permettraient de répondre à ces besoins. Peut-être pas pour les jeunes de 18 ans qui ont encore plein de rêves mais certainement pour les personnes de 25-26 ans qui ont déjà essayé plusieurs trucs et qui s’éloignent progressivement du marché du travail. ”

La majorité bruxelloise a cependant préféré ne pas limiter la mesure aux formations aux métiers en pénurie. ” Notre intention est la plus large possible, explique Bernard Clerfayt (DéFI), le nouveau ministre bruxellois de l’Emploi. Même dans les métiers non critiques, il y a régulièrement des offres d’emploi. Aujourd’hui, 48% des emplois à Bruxelles sont occupés par des navetteurs. Si nous voulons que les habitants de la capitale puissent reprendre une partie de ces emplois, nous devons les aider à acquérir les compétences nécessaires, par exemple en leur accordant ce revenu de formation. ” Dans cet esprit, il n’est pas exclu que les formations linguistiques – exigées pour de nombreux emplois dans la capitale- soient intégrées dans le dispositif.

Le coût du non-emploi

L’ampleur exacte du dispositif dépendra sans doute des moyens budgétaires disponibles, car il faudra les sortir, ces 4 euros/h. On parle d’une facture annuelle de 10 millions d’euros. ” Avec un tel montant, j’ai plein d’idées pour soutenir les embauches dans les PME “, sourit Pierre-Frédéric Nyst. Cette facture, en réalité, le contribuable la paie déjà car le chômage, c’est une dépense sociale, une perte de recettes fiscales, souvent des problèmes de logement, de santé, etc. ” Le non-emploi coûte 32.000 euros/an aux pouvoirs publics, chiffre le patron d’Actiris, Grégor Chapelle. N’est-il pas plus intéressant d’investir une partie de cet argent pour soutenir l’acquisition de compétences et sortir les gens du non-emploi ? Le revenu de formation permettra à ces personnes de repartir sur un parcours positif. C’est pour moi tout l’inverse de l’assistanat : cela contribuera à l’émancipation – l’un des plus beaux mots de la langue française – des gens, cela leur permettra de ne plus être dépendants, de retrouver de l’allant et de la confiance en eux-mêmes. ”

L’envie est là, les gens s’inscrivent en formation mais les difficultés de vie les poussent à arrêter après un certain temps.” Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l’Emploi (DéFI)

On revient là à la case départ : pourquoi faut-il un revenu, en plus de l’allocation de chômage, pour que les personnes concernées acceptent de suivre des formations susceptibles de conduire à l’emploi ? La réponse se trouve dans une étude réalisée l’an dernier par Bruxelles-Formation et l’ULB. Il en ressort que les personnes en situation de précarité sociale (en l’occurrence, les bénéficiaires de l’intervention majorée en soins de santé, ex-vipo) s’engagent moins souvent dans les formations qualifiantes et, quand elles le font, abandonnent plus que d’autres en cours de route. D’où une forme d’enlisement dans le chômage et la précarité, sans jamais parvenir à vraiment sortir la tête de l’eau. Ces formations professionnalisantes peuvent s’étaler sur une année ou plus, un horizon sans doute trop long quand les fins de mois sont très difficiles et que l’échéance des factures pousse à accepter des petits boulots. ” L’envie est là, les gens s’inscrivent mais les difficultés de vie les poussent à arrêter après un certain temps, constate Bernard Clerfayt. Nous voulons nous attaquer aux causes profondes du manque de formation d’une partie des demandeurs d’emploi. ” ” Le revenu de formation va sécuriser le parcours de celles et ceux qui décident de se former “, résume Grégor Chapelle.

Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l'Emploi (DéFI)
Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l’Emploi (DéFI)© BELGAIMAGE

La cible : le chômage de longue durée

Sous la précédente législature, le gouvernement bruxellois avait instauré la ” garantie jeunes “. Actiris garantissait un emploi, un stage ou une formation dans les six mois à tous les jeunes de moins de 30 ans qui s’inscrivaient comme demandeurs d’emploi. Cette garantie, qui a récemment été étendue à tous les nouveaux demandeurs d’emploi, visait à éviter l’enlisement dans le chômage. Les statistiques de l’Onem indiquent en effet que la probabilité de retrouver un emploi chute terriblement après plus d’une année dans le chômage (19% de retour à l’emploi après moins d’un an pour 9,6% après un an et à peine 3,6% après deux ans de chômage).Le revenu de formation doit permettre de s’attaquer à ce chômage structurel, de plus longue durée et qui nécessite donc des trajets plus soutenus. ” Le plus compliqué, c’est de convaincre les chercheurs d’emploi d’investir du temps de vie dans une formation de longue durée, concède Grégor Chapelle. D’où tout ce travail d’accompagnement de nos conseillers pour aider les chercheurs d’emploi à déterminer leurs attentes et à élaborer un projet professionnel. ” Cela impliquera peut-être une révision de l’offre de formations dans la capitale ou une refonte des parcours de formation, Bernard Clerfayt a promis de plancher sur le sujet d’ici la rentrée.

Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l'Emploi (MR)
Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l’Emploi (MR)© BELGAIMAGE

Allocation de chômage, avec une partie variable

L’argumentation ne convainc guère Pierre-Yves Jeholet. Il pointe ” une confusion ” entre les mesures sociales et celles qui devraient renforcer l’insertion professionnelle. ” Ce n’est pas comme si nous n’avions pas plein de structures d’accompagnement et de dispositifs d’insertion “, dit-il. Selon lui, sans le dire, c’est la philosophie de l’assurance-chômage qui est mise en question. ” Ce qui était une condition pour le maintien du droit aux allocations (suivre une formation utile) devient le moyen d’obtenir une rémunération complémentaire, avouez que c’est une fameuse évolution, dit le ministre wallon. Je ne suis pas partisan de la limitation dans le temps des allocations de chômage mais je vois bien que notre système, unique en Europe, est régulièrement critiqué par la Commission. Le revenu de formation tel qu’il est imaginé à Bruxelles va, je pense, renforcer les pièges à l’emploi pour toute une série de personnes. ”

Je crains que cela ne renforce le carrousel des formations, sans aucun impact sur le marché du travail.” Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l’Emploi (MR)

Pierre-Frédéric Nyst va un cran plus loin dans cette réflexion sur la philosophie de l’assurance-chômage. Pour lui, elle conduit à une dualisation des allocations. ” Chaque demandeur d’emploi aurait droit à une allocation avec une partie fixe et une partie variable, en fonction des efforts fournis pour revenir vers le marché du travail, explique le président de l’UCM. On ne parlerait alors plus de dégressivité des allocations (diminution après un certain nombre de mois) mais plutôt d’une progressivité selon les efforts fournis. C’est une optique que nous pouvons parfaitement soutenir. ” Il n’est cependant pas sûr que cette idée de dualisation des allocations soit partagée par toutes les composantes de la majorité bruxelloise…

Revenu ou indemnité?

Pierre-Frédéric Nyst, président de l'UCM:
Pierre-Frédéric Nyst, président de l’UCM: “Une déclaration gouvernementale, c’est un peu une lettre à saint Nicolas. Elle est remplie de souhaits et d’intentions, mais il faudra voir tous les aspects pratiques.”© BELGAIMAGE

Les mots ont leur importance. Les demandeurs d’emploi en formation bénéficient d’une indemnité (1 euro/h), à laquelle s’ajoute le cas échéant le remboursement de frais de déplacement ou de garde d’enfants. L’accord de gouvernement bruxellois ne parle plus d’indemnité mais de revenu de formation. ” En utilisant ce terme de ‘revenu’, on franchit un cap, estime Pierre-Frédéric Nyst. Cela pourrait même être un premier pas vers un système de revenu de base ou d’allocation universelle. ” Effectivement, si le demandeur d’emploi qui se forme a droit à un revenu, pourquoi l’étudiant n’y aurait-il pas droit, au lieu de devoir payer un minerval pour avoir le droit d’apprendre ? ” Et le travailleur qui se forme, pourquoi n’aurait-il pas droit à une prime ? , ajoute Pierre-Yves Jeholet. Il faudra de plus en plus se former tout au long de sa carrière pour entretenir et développer ses compétences dans un monde qui évolue très vite. “

Parler de revenu plutôt que d’indemnité pourrait aussi avoir des implications fiscales, reprend Pierre- Frédéric Nyst, avocat fiscaliste avant d’être président de l’UCM, comme le ministre des Finances a pu le constater lors de la réforme de l’impôt des sociétés. ” Un revenu sera-t-il défiscalisé comme le sont les primes et indemnités jusqu’à un certain seuil ? , interroge-t-il. Une déclaration gouvernementale, c’est un peu une lettre à saint Nicolas. Elle est remplie de souhaits et d’intentions mais il faudra voir tous les aspects pratiques. ” Bernard Clerfayt en est heureusement conscient. ” Nous avançons une intention très forte mais nous devons bien examiner tous les impacts, dit-il. Il faut veiller à bien l’articuler au regard de la législation fiscale comme des répartitions de compétences entre les Régions et les Communautés. ”

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