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Le problème existentiel de la secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude

La secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude fiscale (Elke Sleurs/N-VA, Ndlr) a récemment annoncé un “arsenal” de mesures contre la fraude. Elle l’a fait, poussée par une prétendue “actualité”: le SwissLeaks.

Les révélations tirées de données informatiques mises à disposition de quelques journalistes sont pourtant bien minces pour justifier des réformes ainsi improvisées : on a ainsi appris que les banques suisses étaient utilisées, vers 2006, pour cacher de l’argent au fisc. Doit-on croire que la secrétaire d’Etat l’ignorait jusqu’ici ? Ou alors ne savait-elle pas que la plupart des dossiers concernant cette banque avaient déjà été réglés par son administration, qui connaissait les noms des personnes mentionnées à tort ou à raison sur une liste aux origines troubles depuis 2010 ?

Dans un univers où les gouvernants croient devoir réagir au moindre vieux tuyau exploité dans la presse, on n’annonce plus les réformes parce qu’on les croit utiles mais parce qu’on se croit obligé de faire quelque chose pour montrer qu’on existe.

Il en est ainsi de l’allongement envisagé des délais de prescription pour fraude. La prescription fiscale est actuellement de trois ans en cas d’inexactitude de la déclaration et est portée à sept ans si le contribuable a agi avec dessein de nuire, c’est-à-dire volontairement. Le fisc peut procéder à des contrôles pendant trois ans, également portés à sept ans s’il notifie des indices de fraude. Faut-il vraiment allonger encore ce délai de sept ans, qui n’était encore que de cinq ans il y a peu ? Même la très répressive Commission d’enquête sur la grande fraude fiscale trouvait suffisant le délai de sept ans. Si l’on allonge ce délai, on devra obliger tous les contribuables, et pas seulement les gros fraudeurs, à conserver tous leurs documents comptables et pièces justificatives pendant encore plus longtemps. Est-ce comme cela que l’on prétend alléger la charge administrative pesant sur les contribuables ? Comment vont-ils s’expliquer sur des opérations qu’un fonctionnaire trouvera suspectes mais qui remonteront à neuf ou 10 ans et qu’ils auront oubliées ? Les délais de prescription fiscale ont été établis pour tenir compte du fait qu’on ne peut humainement exiger de chacun qu’il doive se justifier pendant des années pour la moindre opération comptable. C’est une compensation pour le contribuable à l’octroi au fisc de pouvoirs dont ne dispose aucun autre créancier.

Equilibre compromis

L’équilibre entre pouvoirs du fisc et droits des contribuables avait déjà été gravement compromis par le précédent secrétaire d’Etat, qui avait lourdement armé les services de contrôle, notamment en les autorisant à mettre en place un fichage généralisé des citoyens. Aujourd’hui, on veut faire pire, en permettant en plus l’accès de ces mêmes agents à des banques de données “externes”. Le croisement de toutes ces données permettra un jour au fisc de tout savoir sur tout le monde, au mépris de la vie privée.

Le problème de la secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude, c’est que sa fonction existe. Cela l’oblige à prendre des mesures, même inutiles, même nuisibles…

De la part d’une secrétaire d’Etat membre d’un parti qui prétendait mettre fin aux excès à l’égard des contribuables et aux petites entreprises, ces mesures inutiles et improvisées pourraient surprendre. Mais le problème de cette secrétaire d’Etat, c’est que sa fonction existe. Cela l’oblige à prendre des mesures, toujours plus lourdes pour les contribuables, pour que l’opposition, la presse et l’opinion n’affirment pas qu’elle ne sert à rien. Alors, il lui faut annoncer une réforme de quelque chose, même si les mesures envisagées sont inutiles, même si elles sont nuisibles. C’est là le problème que pose l’existence d’un secrétariat d’Etat à la Lutte contre la fraude. Un gouvernement qui n’en comporterait pas serait vite accusé de laxisme. Il faut donc en créer un et forcer celle qui occupe la fonction à faire quelque chose. On présente ainsi ce combat purement étatiste qu’est la lutte contre la fraude, qu’aucun parti n’oserait discuter, comme une grande cause nationale.

Croit-on vraiment qu’au-delà des nombreux jaloux, toujours désireux de voir les autres payer plus d’impôts, cela corresponde à la volonté de l’opinion ? Il n’y a pas de secrétariat d’Etat à la lutte contre le chômage, ni au combat contre le terrorisme, ni à la protection des droits de l’homme ou des minorités. Croit-on vraiment que ces causes intéressent moins les gens que la lutte contre la fraude fiscale ?

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