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Le fisc ne peut réclamer des documents sous la contrainte

La question des pouvoirs de contrôle du fisc est une de celles qui symbolisent le mieux l’équilibre qui doit exister entre les pouvoirs de l’Etat et les droits du citoyen. C’est pourquoi les pouvoirs de contrôle sont réglementés de manière précise, notamment par les articles 315 et suivants du Code des impôts sur les revenus.

A part quelques malencontreuses réformes promues par l’ancien secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude, cette matière faisait l’objet depuis longtemps d’une relative stabilité. C’est dès lors avec une certaine surprise que certains ont pris connaissance d’un arrêt, important, de la Cour de cassation du 21 novembre 2014, qui, de manière très justifiée, remet en cause des pratiques très anciennes de l’administration fiscale.

Celle-ci dispose du pouvoir, très fréquemment utilisé, d’adresser au contribuable une “demande de renseignements”. Par celle-ci, elle peut obliger le contribuable à lui fournir des informations complémentaires à sa déclaration, dans un délai d’un mois éventuellement prorogeable. La loi donne une ampleur très large aux pouvoirs du fisc de requérir ainsi des informations, de demander des renseignements écrits. Il suffit que les renseignements “soient réclamés aux fins de vérifier sa situation fiscale”. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune limite à ce pouvoir, qui doit certes être exercé dans le respect du principe de proportionnalité, et porter sur des informations ayant un lien avec les revenus déclarés ou les charges déduites, mais ce pouvoir est assurément important.

L’administration avait pris l’habitude d’utiliser le formulaire de demande de renseignements, qui rappelle au contribuable qu’il risque des sanctions administratives, voire pénales, s’il ne répond pas aux questions posées, pour réclamer aussi, non plus des renseignements, mais des documents permettant d’établir certains faits.

Lorsque le fisc veut obliger le contribuable, en faisant état de sanctions, à lui envoyer dans ses bureaux l’original ou la copie de documents, il ne peut menacer le contribuable de sanctions, que la loi ne prévoit pas dans ce cas.

C’est cette habitude de l’administration fiscale que la Cour de cassation a sanctionnée par son arrêt du 21 novembre. L’arrêt reconnaît certes à l’administration le droit de demander aussi des documents (et pas seulement des renseignements), mais dans ce cas elle n’a pas le droit d’obliger le contribuable à les lui envoyer, et surtout pas de le faire en précisant que le contribuable y serait contraint sous peine de sanctions. En effet, c’est un autre texte, l’article 315, qui permet à l’administration de demander la production de documents, mais ceux-ci ne doivent être communiqués que “sans déplacement”, c’est-à-dire que le fisc est obligé, sauf si le contribuable veut bien les lui adresser à son bureau, de venir les consulter sur place. Par conséquent, lorsque le fisc veut obliger le contribuable, en faisant état de sanctions, à lui envoyer dans ses bureaux l’original ou la copie de documents, il ne peut menacer le contribuable de sanctions, que la loi ne prévoit pas dans ce cas. Le contribuable peut certes, pour simplifier les choses, envoyer ces pièces à l’administration, mais il n’y est pas obligé et ne peut donc être sanctionné s’il ne le fait pas.

L’administration va donc être obligée de modifier ses procédures pour l’avenir, en séparant les demandes de renseignements (à fournir obligatoirement) et de documents (à régler à l’amiable).

De plus, la question se pose quant à la validité de l’obtention, dans un nombre impressionnant de litiges, de documents que l’administration a exigés dans le passé. La plupart des contribuables préféraient en effet se soumettre à l’injonction, même illégale, du fisc et envoyer les documents réclamés. S’ils sont toujours en conflit avec le fisc, pour l’exercice pour lequel les documents ont été ainsi envoyés sous une contrainte injustifiée, les contribuables pourraient, comme dans l’affaire tranchée par l’arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre, soutenir que l’administration se fonde sur des pièces obtenues de manière illégale. Il faudra alors suivre l’évolution de la jurisprudence quant aux conséquences de cette illégalité. Il existe une certaine probabilité que des tribunaux en déduiront la nullité de toutes les taxations intervenues dans ces conditions.

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