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‘Le Brexit n’est rien de moins qu’un coup d’État’

Je ne reconnais plus ma vieille Angleterre. Comment, pour l’amour du ciel, en est-on arrivé là ?, se demande Jean-Pierre Blumberg, avocat et professeur à l’Université d’Anvers.

Denk ich an Deutschland in der Nacht, / Dann bin ich um den Schlaf gebracht.” Je cite le poète allemand Heinrich Heine pour exprimer mon horrible déception quand je pense à ma chère Grande-Bretagne. J’ai eu le privilège d’y étudier, d’y habiter et d’y travailler. J’ai fait des recherches sur sa riche histoire.

Lorsque je regarde aujourd’hui ce Land of Hope and Glory, cela me rend triste et la colère monte car ce pays a été la victime d’un putsch diabolique l’an dernier. Le Brexit n’est rien de moins qu’un coup d’État, commis par une bande de charlatans irresponsables, d’opportunistes et de lâches politiciens qui ont induit le peuple en erreur avec de vils mensonges.

Le maudit référendum n’était même pas contraignant d’un point de vue constitutionnel et il n’a été approuvé que par 34% de la population électorale. Pourtant, celui qui n’embrasse pas pleinement le résultat du référendum se voit marqué au fer rouge comme un traître. Si vous avez regardé l’émission de débat Question Time à la BBC après le référendum, vous ne pouviez que devenir dépressif.

Nirvana

La haine des leavers à l’égard des personnes qui pensent autrement était franchement insultante et leur absence quasi incommensurable de connaissances des faits défiait l’imagination. Parmi les leavers, il règne une croyance quasi biblique dans le nirvana du Brexit.

La presse de caniveau anglaise, xénophobe et hystériquement anti-européenne, a qualifié les juges suprêmes du pays d'”ennemis du peuple” lorsque la High Court a décidé que le parlement devait adopter une loi pour pouvoir sortir de l’Union européenne.

Gina Miller, la femme d’affaires et philanthrope noire qui avait engagé le processus, a été assaillie de courrier haineux et de menaces de mort. Je ne reconnais plus ma vieille Angleterre. Les valeurs britanniques de pragmatisme, de tolérance, d’inclusion et de diversité, d’esprit de compromis et de bon sens se sont perdues dans une âpre guerre civile idéologique entre leavers et remainers.

Société de classes

Comment, pour l’amour du ciel, en est-on arrivé là ? Le Brexit a exposé les lignes de fractures de la société anglaise comme une plaie béante. La Grande-Bretagne reste la société de classes la plus affirmée d’Europe occidentale.

Les inégalités entre l’élite et monsieur ou madame tout le monde, entre les personnes diplômées de l’enseignement supérieur et la classe laborieuse, entre les little Englanders nostalgiques plus âgés et les jeunes citoyens du monde sont plus grandes que jamais.

Le Brexit n’est rien de moins qu’un coup d’État

Pourtant, le pays est toujours gouverné par le Parti conservateur, les Tories, dirigé par les protagonistes de l’ancienne élite anglaise. Pour eux, la politique est un jeu d’échecs joué entre old boys qui se connaissent depuis les lycées pour élites et les clubs de débat d’Oxford et de Cambridge.

Leur vie politique consiste à planter un couteau dans le dos de leurs rivaux de l’époque. Les hommes politiques comme Boris Johnson, Michael Gove et David Cameron y ont appris l’art de leur métier dans les années quatre-vingt. Il consiste surtout à gagner le débat sur base de rhétorique. Le contenu est d’une importance secondaire.

Boris Johnson ne savait pas encore précisément, au début de l’an dernier, s’il allait mener campagne pour ou contre le Brexit. Un beau dimanche, il a simplement décidé de devenir un brexiteur, car il pouvait ainsi renverser David Cameron de son trône. Ce coup d’État a échoué parce qu’il a lui-même été trahi par son allié Michael Gove.

Les Tories sont intellectuellement morts

Celle qui a tiré les marrons du feu a été Theresa May, mais son intervention regrettable au congrès du parti du 4 octobre est symbolique du gâchis que le Brexit a fait du parti conservateur. Les Tories sont intellectuellement morts. Il n’y a plus le moindre leadership à attendre d’eux.

La ruling class a omis de dessiner un nouveau projet pour la Grande-Bretagne du 21e siècle. Jeremy Paxman, l’ancien présentateur du JT de la BBC, l’avait déjà écrit en 1999 dans son livre The English: “The English have found themselves walking backwards into the future.”

Prochaine génération

Je continue à croire dans le potentiel de la société anglaise. La Grande-Bretagne d’après-guerre a toujours été un laboratoire pour l’innovation.

Après la révolution néolibérale de Margaret Thatcher et la correction socio-libérale de Tony Blair, nous assistons à une réaction nationaliste moins réussie. Les forces d’opposition sont déjà à l’oeuvre en la personne de Jeremy Corbin, qui préconise une révolution marxiste.

La prochaine génération de femmes et d’hommes politiques concoctera quelque chose de neuf avec ces idées. Nous, les continentaux, nous n’avons à cet égard pas le droit de laisser tomber nos amis Britanniques.

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