La PME qui gère la caisse de l’Etat belge

© Ketels/Image Globe

Ce service de 35 personnes est chargé de gérer l’argent de l’Etat fédéral. Il a fait parler de lui avec l’énorme succès des bons d’Etat, qui ont rapporté 5,7 milliards d’euros. Voici comment fonctionne l’Agence de la dette.

Le bâtiment élégant, très banque du 19e siècle, qui abrite l’Agence de la dette longe l’avenue des Arts, à deux pas de la rue de la Loi, à Bruxelles. Ses belles portes officielles restent toujours closes, sauf pour une visite officielle ; le personnel entre à l’arrière, rue du Commerce, par un bâtiment moderne. Il n’y a pourtant rien de secret (ou presque) derrière les murs clairs.

L’Agence de la dette s’est retrouvée sous les feux de l’actualité avec l’émission spectaculaire de bons d’Etat. Ce produit est habituellement très marginal dans le financement de l’Etat fédéral et de sa dette, qui atteint 355 milliards d’euros. Les quatre émissions organisées cette année devaient ramener 300 millions d’euros, sur un total de 41,3 milliards d’emprunts long terme émis. Le taux de 4 % (à 5 ans), l’appel du Premier ministre sortant – Yves Leterme – et l’accord sur le budget ont brusquement galvanisé les épargnants, qui ont apporté 5,7 milliards d’euros. Les premiers chiffres indiquent un investissement moyen de 18.000 euros.

La chute et le retour des bons d’Etat

Ce n’est pas par facilité ou négligence que l’Agence de la dette vise peu l’épargnant, mais par efficacité. Cette organisation, qui est un département de la Trésorerie de l’Etat, a pour objectifs de financer la dette et de gérer la caisse de l’Etat au meilleur coût. Et aussi de trouver les sous pour les opérations extraordinaires, comme le rachat de Dexia, qui a d’abord été financé sur le marché interbancaire, avant d’être supporté par les emprunts obligataires. Jusqu’à présent, les emprunts sous diverses formes (obligations, bons d’Etat,…) n’intéressaient guère les particuliers, qui estimaient leur taux trop bas.

“Les bons d’Etat avaient perdu une part de leur attractivité”, reconnaît Jean Deboutte, porte-parole de l’Agence de la dette, et aussi directeur strategy & risk management. “Ils avaient l’atout de la garantie de l’Etat, et à présent les comptes bancaires en bénéficient aussi.” De plus, ils sont dématérialisés, comme tous les produits d’épargne ; ce ne sont plus des papiers qui passent de main en main sans laisser de trace, et qui échappent aux droits de succession. Par ailleurs, la part minuscule des épargnants, qui représentent habituellement moins de 2 % des emprunts émis, devenait un souci. “C’est un niveau très bas ; dans les autres pays, les particuliers achètent davantage d’obligations d’Etat, continue Jean Deboutte. La dette japonaise est massivement entre les mains des particuliers. Pour les investisseurs, c’était donc très rassurant de voir les épargnants belges manifester leur confiance dans les bons d’Etat.” C’est aussi très bon pour assagir le taux sur le marché secondaire des obligations, qui avait touché les 6 % à 10 ans.

Les affres du consortium des banques

L’Etat n’a pas toujours été très doué pour la gestion de son argent. Jusqu’à la fin des années 1980, les emprunts étaient surtout gérés par un club de banques belges. “C’était un système appelé consortium des banques, avec des emprunts gérés à peu près chaque trimestre”, se souvient Olivier Lefèbvre, qui a été chef de cabinet du ministre des Finances Philippe Maystadt de 1990 à 1996, et s’est occupé de moderniser la gestion de la dette. “Les banques souscrivaient les emprunts moyennant une commission onéreuse, précise-t-il. Elle représentait, de mémoire, 1,65 % des montants empruntés. Pour les emprunts à court terme, l’Etat payait plus cher que les crédits interbancaires !” En plus, le système était rigide : les banques ne tenaient pas à prêter à plus de cinq ans.

La dette publique était une mine d’or pour le secteur bancaire belge. Philippe Maystadt a entrepris de rendre la gestion de cette dette plus dynamique. Il a lancé de grands emprunts en direction du grand public au début des années 1990, organisé la concurrence entre institutions financières pour le financement de l’Etat, à travers un mécanisme de vente aux enchères d’obligations, les OLO (obligations linéaires), et créé le système des primary dealers, un groupe de banquiers autorisés à participer aux enchères mais devant assurer l’animation et la liquidité du marché secondaire, vendre les titres commandés, faire leur promotion. Ce dispositif a été fortement inspiré par la France.

L’aide des banques étrangères

Cette mise en concurrence n’a guère plu au secteur en Belgique. “Il y a eu quelques résistances, confie Olivier Lefèbvre, mais la nouvelle mécanique s’est imposée. Nous avons été beaucoup aidés par la participation de banques étrangères comme JP Morgan et le Crédit Lyonnais, qui ont joué un rôle important pour faire pression sur les banques belges.” Du reste, Anne Leclercq, qui est directeur treasury & capital market (salle de marché) à l’Agence de la dette, vient du Crédit Lyonnais Belgium.

L’Agence de la dette a formellement été créée en 1998, dans la perspective de la création de l’euro, pour donner une plus grande identité à ce service, bien que le terme soit un peu trompeur : l’Agence n’a pas d’autonomie formelle. Le ministre des Finances y garde le dernier mot. Et elle n’intervient pas pour les autres niveaux de pouvoir (Régions, Communautés, communes).

L’institution n’est pas bien grande. Elle occupe à peine 35 personnes, dont sept informaticiens et sept personnes dans la salle de marché. Cette dernière n’est pas aussi impressionnante que son équivalent bancaire mais on y retrouve les traditionnelles horloges avec l’heure de Bruxelles et celle de New York. C’est là que sont aiguillés les flux d’argent de la caisse de l’Etat. “Nous gérons le cash, souligne Jean Deboutte. Il n’est pas question de laisser dormir de l’argent s’il y a un solde positif, même pendant un jour.”

Comment payer moins d’intérêts ?

Chaque jour, l’Agence de la dette reçoit les données sur le solde de l’Etat et s’organise pour placer l’argent, s’il y a des liquidités, et emprunter, si le solde et négatif, sur le marché interbancaire, ou sous forme de commercial papers. La salle de marché gère aussi les produits à plus long terme, comme les OLO, qui forment le principal instrument d’emprunts long terme de l’Etat. “Nous anticipons sur l’échéance des OLO en proposant des prix de rachat 12 mois à l’avance aux investisseurs”, indique Jean Deboutte. De cette manière, l’Agence de la dette “lisse” les flux financiers et évite le choc que peut représenter le remboursement en une seule fois de plusieurs milliards d’euros.

Comment l’Agence s’y prend-elle pour payer le moins d’intérêts possible ? Outre la mise en concurrence, elle recourt à des instruments qui permettent de gagner sur les écarts entre les marchés. Ces dernières semaines elle a emprunté en dollars, où le taux à court terme est plus bas que chez nous, et “couvert” l’opération pour un swap en euros, pour gommer le risque de change. Elle construit aussi des instruments sur mesure pour des investisseurs uniques, par exemple une compagnie d’assurance prête à payer un taux un peu plus élevé pour un placement qui convient mieux à ses besoins, “comme un emprunt de 27 ans, pour un assureur, par exemple”, illustre Jean Deboutte. Ou pour émettre en dollars lorsqu’il y a une demande, ce qui est impossible avec les OLO. “Ici aussi, nous supprimons le risque de change avec un swap en euros”, précise-t-il.

Séduire les Allemands, les Japonais et les Chinois

Pour le futur, l’Agence de la dette n’a pas de grande réforme en route, mais des ajustements. Le mécanisme actuel de gestion dynamique des emprunts tourne bien. L’infrastructure est solide, et est de toute manière sécurisée : en cas de panne informatique, une salle de marché de secours peut entrer en service à la Banque Nationale (elle a servi deux fois cette année). Pour les produits, l’Agence de la dette pourrait ajouter l’émission d’emprunts dont le taux est indexé. “Cela nous manque, c’est vrai, reconnaît Jean Deboutte, mais cela se fera. Nous attendons que soient mis au point les règles et le mécanisme de précompte, qui passe par un arrêté royal.”

Côté produits, les nouveautés relèvent du marketing, de la méthode pour toucher un panel plus large d’investisseurs, en s’adaptant aux habitudes nationales. L’Agence lance ainsi des schuldschein pour le marché allemand, qui investit beaucoup en dette belge. “Nous avons aussi réfléchi à des samouraï bonds pour le marché japonais, mais nous avons décidé de ne pas le faire, car les montants ne sont pas élevés, et il faudrait accomplir un grand travail commercial, confie Jean Deboutte. La Pologne est active sur ce marché… Nous avons également pensé à des produits pour le marché chinois, en renminbi… Cette monnaie n’est pas convertible. Il n’y a pas de projet pour l’instant, mais nous regardons.”

Cette approche internationale se comprend : plus de la moitié des émissions partent à l’étranger. Et bien sûr, l’Agence comptera davantage sur les bons d’Etat et les épargnants pour financer la dette. Elle annonce cette semaine le programme pour 2012, qui devrait dans l’ensemble ressembler à celui de 2011 (41,3 milliards d’emprunts à long terme, idem à court terme). Ces bons font concurrence aux produits des banques, mais ces dernières n’y perdent pas : elles reçoivent 0,95 % de commission de placement.

Robert van Apeldoorn

Les milliards des bons d’Etat

La somme récoltée via les bons d’Etat – 5,7 milliards d’euros – n’était pas attendue. L’Agence de la dette sait pourtant très bien quoi faire avec l’argent. Il va être affecté au remboursement anticipé d’emprunts obligataires (OLO). L’Etat fait habituellement des opérations de rachat progressif des emprunts qui arrivent à échéance, et pourrait accélérer ce mouvement ces prochains jours. Il a aussi réduit son financement à court terme, moins nécessaire à présent.

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