La Norvège, déchirée entre sa soif de pétrole et sa conscience écologique

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La Norvège a décidé de ne pas toucher aux champs pétrolifères situés au large des îles Lofoten. Argument avancé: la préservation de l’environnement est plus importante que la prospérité du pays. Derrière ses ambitions vertes se cache pourtant un dilemme économique.

La Norvège, premier producteur européen d’hydrocarbures, a encore de grandes réserves de pétrole inexploitées. Notamment au large des îles Lofoten, ce joyau touristique localisé entre la mer de Norvège et le Vestfjord, au-dessus du Cercle Polaire. On estime qu’il reste entre un et trois milliards de barils de pétrole à exploiter dans cette zone pour une valeur estimée à 65 milliards de dollars (57 milliards d’euros). La Norvège a décidé de ne pas exploiter cette richesse évaluant que l’environnement était plus important à préserver que de renflouer les caisses de l’état, relaie De Standaard.

Une décision qui a fait l’effet d’une bombe dans l’industrie pétrolière, car jusqu’à ces dernières années, la question n’était posée que par l’extrême gauche, les Verts et des ONG. Le retournement de veste émane cette fois du Parti travailliste norvégien, actuellement dans l’opposition. Alors qu’il était l’allié politique le plus important des syndicats et de l’industrie dans la promotion de l’extraction pétrolière dans l’archipel des Lofoten, il ne les défendra plus dans cette région. La volte-face du Parti travailliste est due à l’inquiétude croissante au sujet du réchauffement de la planète et à la dégradation de l’environnement marin. Selon le Fonds mondial pour la nature, les eaux du Nord sont essentielles à la reproduction de 70 % des poissons qui nagent au large des côtes de la Norvège.

“Il faut du courage et une vision d’avenir pour défendre un tel changement systémique. Le moratoire sur l’exploitation pétrolière dans les Lofoten au nord de la Norvège devrait servir d’exemple au reste du monde“, a commenté SeaLegacy, une ONG protectrice de l’environnement.

Le PDG Karl Erik Schjøtt-Pedersen de l’organisation sectorielle Norwegian Oil and Gas, s’oppose, lui, diamétralement à cette décision: “Il y a 200 000 Norvégiens qui travaillent dans l’industrie pétrolière. Ils ont besoin d’un cadre stable.” Les syndicats ont eux aussi réagi avec mécontentement. “La politique industrielle du parti travailliste n’est pas fiable”, a déclaré Jørn Eggum du syndicat Fellesforbundet dans le journal Dagsavisen.

Ce changement d’opinion du parti travailliste rend l’industrie pétrolière nerveuse. Elle craint que d’autres projets d’exploitation ne soient bloqués dans le futur. La compagnie pétrolière Equinor (anciennement Statoil) a insisté sur l’exploitation de ce champ pour éviter que le flux de pétrole ne s’assèche lentement. “Ce revirement du plus grand parti norvégien est un coup dur pour soutenir l’industrie pétrolière“, écrit l’agence de presse Bloomberg. “C’est peut-être le signe que le pays scandinave approche de la fin d’une époque où il est devenu l’un des plus riches du monde. De nombreux Norvégiens trouvent que la politique climatique ambitieuse est difficile à concilier avec l’exploitation continue des combustibles fossiles.

Préserver l’environnement marin

Si pendant des années, le Parti ouvrier de gauche a soutenu l’industrie pétrolière, qui a créé des emplois et de la prospérité, le parti conservateur du Premier ministre Erna Solberg a, lui, un point de vue différent. Son gouvernement minoritaire a imposé un moratoire sur l’exploitation des gisements pétroliers du nord Lofoten, Vesterålen et Senja (connus sous le nom de LoVeSe). La sanctuarisation des eaux de l’archipel idyllique convoitées par l’industrie pétrolière court jusqu’aux prochaines élections de 2021.

L'archipel de Lofoten.
L’archipel de Lofoten.© getty

Le gouvernement de Solberg entend en effet se montrer garant de l’écologie et faire montre de bon élève en Europe. Au cours de la COP24 de Katowice (Pologne), début décembre 2018, le pays scandinave s’est engagé à doubler ses contributions au Fonds vert pour le climat. La Norvège s’est fixé des priorités écologiques ambitieuses, telles que la promotion des voitures électriques et la neutralité carbone d’ici à 2030. Mais l’opposition de gauche a mis beaucoup plus de temps à s’engager dans la transition écologique. Jonas Gahr Støre, le chef politique du parti travailliste, a d’ailleurs voulu rassurer et a insisté le week-end dernier sur le fait que son parti avait toujours à coeur les intérêts de l’industrie pétrolière, ajoutant qu’il continuait de défendre le développement de l’extraction pétrolière plutôt que son extinction.

Pour de nombreux observateurs, cette politique environnementale n’est pas cohérente avec l’exploitation de ces ressources en hydrocarbures. La Norvège souffre-t-elle d’un cas clinique de “dissonance cognitive” ? s’interroge Le Monde. Pour Ingrid Lomelde, stratège chez WWF Norway et auteure du diagnostic citée par le quotidien français, cette affliction caractérisée par la contradiction entre les pensées, les paroles et les actes expliquerait les incohérences du royaume scandinave : champion autoproclamé de l’écologie, d’un côté ; producteur de gaz et de pétrole, contribuant lourdement au réchauffement climatique, de l’autre.

Car tout n’est pas à l’arrêt dans l’industrie pétrolière norvégienne, loin de là, comme l’explique Le Temps. Après un lent déclin depuis une quinzaine d’années avec notamment une production de pétrole divisée par deux, le géant européen des hydrocarbures mise sur d’importants investissements en 2019. Les industriels du secteur ont ainsi prévu d’investir 21,5 milliards de dollars en 2019 (environ 19 milliards d’euros).

83 nouvelles licences d’exploitation

Le 14 mars dernier, le ministre norvégien de l’Énergie, Kjell-Børge a annoncé qu’il souhaitait ouvrir 90 nouveaux blocs à l’exploration pétrolière, au large des côtes nationales, dont 48 en mer de Barents. Deux mois plus tôt, il avait déjà décerné 83 nouvelles licences d’exploitation, se félicitant de battre un nouveau record, après l’ouverture de 102 blocs à l’exploration, dont 93 en mer de Barents, en mars 2017. “Ce nouveau record confirme que cette industrie va continuer à créer de la valeur en Norvège. Cela va générer de l’activité, des découvertes et aussi des revenus pour l’Etat”, déclare-t-il dans Le Temps. En 2019, le gouvernement espère une manne de pas moins de 289 milliards de couronnes (environ 30 milliards d’euros), dont la plus grande partie sera investie dans le fonds souverain norvégien, le plus important de la planète.

Lofoten.
Lofoten.© getty

Le secteur des hydrocarbures représente en Norvège 17% du produit national brut (PNB) et 43% des exportations. La Norvège est devenue le troisième exportateur mondial de gaz, au coude à coude avec le Qatar, et fournit 25% des besoins de l’Union européenne. A côté du gisement d’Ekofisk, de nouveaux sites ont révélé leurs richesses. C’est le cas de Troll, aussi localisé en mer du Nord. Il est aujourd’hui la principale source du gaz norvégien. Le gisement majeur de pétrole Johan Sverdup mis au jour en 2010, va, pour sa part, entrer en production à la fin de l’année. Ces apports importants ne permettent cependant pas de compenser la fermeture ou l’épuisement de la centaine de sites off-shore exploités dans les eaux norvégiennes, commente Le Temps. “Cela n’est pas suffisant pour maintenir un haut niveau de production après 2025. Des réserves plus importantes doivent être trouvées, et le temps presse “, avertit dans les colonnes du journal suisse Bente Nyland, qui dirige l’agence gouvernementale Norwegian Petroleum Directorate.

Malgré des investissements croissants, la production pétrolière norvégienne tombera à son plus bas niveau depuis 30 ans cette année. Il faudrait à la Norvège la découverte d’un gisement important dans les années à venir pour tenir la cadence. Sur les concessions attribuées dernièrement, une quinzaine concerne la mer de Barents. Cette région n’avait plus été exploitée notamment pour des raisons écologiques. En 2016, suite à un accord historique de délimitation des frontières maritimes avec la Russie, la zone très prometteuse en réserves au sud-est de la mer de Barents a été ouverte à l’exploitation. Selon Bloomberg, le débat actuel sur les îles Lofoten pourrait faire tache d’huile et remettre en question l’exploration de nouveaux gisements dans cette région.

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