Paul Jorion

“La déroute des Etats-Unis dans le bras de fer commercial qui les oppose à la Chine”

Au cours de la deuxième semaine de mai, les Etats-Unis ont accueilli une délégation chinoise venue négocier l’exigence américaine imposant une réduction de 200 milliards de la balance commerciale entre les deux nations, déficitaire d’un montant annuel de 345 milliards de dollars pour les Etats-Unis.

” On allait voir ce qu’on allait voir ! “, tonitruait Donald Trump qui, à son habitude, s’en prenait aux administrations l’ayant précédé, qui ” n’avaient rien fait “. Les Chinois s’abstenaient prudemment de faire remarquer qu’à son retour de Chine en novembre dernier, il s’était vanté des importants ordres d’achat qu’il avait signés, accroissant encore d’autant le déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays.

Qu’en est-il résulté ? Steve Bannon, ex-conseiller du président à la Maison Blanche, figure de proue de l’extrême droite Alt-Right, a déclaré : ” Il est sidérant de voir comment nous avons su arracher une défaite des dents de la victoire ! La Chine mène toujours sa guerre commerciale contre nous, mais nous avons déclaré une trêve unilatérale “. Revenue au pays, la délégation chinoise fut invitée à ce que le New York Times qualifia de ” tour d’honneur “. L’agence de presse officielle Xinhua pavoisa : ” Que ce soit à Pékin ou à Washington, face aux exigences déraisonnables des Etats-Unis, le gouvernement chinois a rendu coup pour coup, ne s’est en rien compromis et a refusé les conditions mises par le camp d’en face “. Une photo de la table de conférence, montrant en enfilade les délégations nationales assises de part et d’autre, avec une moyenne d’âge dans la trentaine du côté chinois et dans la septantaine bien avancée du côté américain, fut également très appréciée en Chine.

Pourquoi cette déroute des Etats-Unis ? D’une part en raison du caractère déraisonnable de leurs exigences et d’autre part de la désunion au sein de leur équipe, laquelle culmina lorsque Peter Navarro, directeur du Conseil commercial à la Maison Blanche, s’en prit vivement, et ceci au vu des Chinois, à Steven Mnuchin, ministre américain des Finances, l’insultant même pour être parvenu à l’écarter, lui, d’une réunion privée avec Liu He, vice-Premier ministre et directeur de la Commission centrale des affaires financières et économiques.

Pourquoi cette déroute des Etats-Unis ? D’une part en raison du caractère déraisonnable de leurs exigences et d’autre part, de la désunion au sein de leur équipe.

Il était très aisé pour la délégation chinoise de faire apparaître le caractère déraisonnable des exigences du camp d’en face, et plus sérieusement encore, la mécompréhension des grands mécanismes économiques et financiers qu’elles supposaient. Le déficit de la balance commerciale américaine avec le reste du monde est une conséquence structurelle du statut de devise de référence du dollar : les dollars circulant en dehors du territoire des Etats-Unis doivent être émis pour des achats à l’extérieur, entraînant de ce fait même un déséquilibre de leur balance commerciale. Pour rétablir l’équilibre, les Etats-Unis devraient renoncer en particulier à ce que le marché du pétrole soit libellé en dollars, ce qui leur ferait perdre un avantage géopolitique majeur.

Dans les négociations, les Chinois accumulèrent les gestes de bonne volonté, conscients que la réalité économique jouait le rôle d’arbitre en dernière instance. Un point sur lequel ils n’étaient pas prêts à céder était leur initiative Made in China 2025, visant non pas tant à s’assurer, comme on le dit souvent, une maîtrise absolue dans des domaines de pointe comme l’intelligence artificielle, mais à réduire leur dépendance à l’égard du reste du monde, en atteignant les objectifs de 40 % de composants industriels produits en Chine en 2020, et 70 % en 2025. La mésaventure de leur compagnie de télécom ZTE, qui a dû arrêter ses activités faute de composants d’origine américaine parce qu’elle avait enfreint un embargo américain sur l’Iran et la Corée du Nord, souligne le caractère stratégique de cet objectif.

La victoire chinoise dans ce round-ci pourrait cependant très bien se révéler n’être qu’une victoire à la Pyrrhus : quelle est en effet la valeur des engagements du ministre des Finances américain, Steven Mnuchin, alors que la Maison Blanche et le gouvernement, sont pris dans un jeu échevelé de chaises musicales du fait des caprices et de l’amateurisme politique comme économique, du président Donald Trump ?

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