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‘L’inquiétante dérive qui consiste à tout simplifier à l’extrême’

La semaine dernière, à Paris, un Belge, Adrien Deliège, a remporté un concours international intitulé ‘Ma thèse en 180 secondes’. Comme son nom l’indique, la performance consiste à résumer un sujet de doctorat en trois minutes chrono et à convaincre une audience de novices et d’initiés de son intérêt.

Ainsi, “l’analyse de séries temporelles climatiques basée sur les ondelettes” en version télégraphique a visiblement charmé l’auditoire du Grand amphithéâtre de la Sorbonne. On ne va pas bouder notre plaisir. Vulgariser un sujet, le réduire à l’essentiel : ce ne sont pas des journalistes qui vous diront que l’exercice est inutile, même s’il est parfois difficile. Mais n’assiste-t-on pas à une dérive qui consiste à tout simplifier à l’extrême ? Cent quatre-vingt secondes par-ci, 140 caractères par-là : c’est désormais l’ultra-court, le choc, le basique qui marque les esprits. Voire même — et c’est sans doute le plus inquiétant — qui dicte les décisions. Car dans un monde qui se complexifie, sur le plan technologique, sociologique, et pour réguler tout cela, sur le plan juridique aussi, les décideurs bombardés d’informations n’ont tout simplement plus le temps d’appréhender la complexité. On leur sert un executive summary, un pitch, quelques slides bien ficelés et on ressort avec un avis noir ou blanc, si possible formulé avec le plus de conviction possible.

L’inquiétante dérive qui consiste à tout simplifier à l’extrême

Ainsi donc, alors que la complexité augmente, elle n’est sans doute comprise que par un nombre de plus en plus restreint d’individus. Le constat est frappant sur le plan juridique : si la plupart d’entre nous connaissent plus ou moins leurs droits fondamentaux, peu de consommateurs, de travailleurs, d’entreprises ou même de gouvernements maîtrisent les principes juridiques qui s’appliquent pour régir leurs comportements. Puis-je travailler comme chauffeur pour Uber et à quelles conditions ? La ville de Liège peut-elle investir dans la mise en circulation, par un partenaire privé, d’un tram, et amortir la dépense sur plusieurs années ? La ministre de l’Intérieur Liesbeth Homans peut-elle désigner unilatéralement un nouveau bourgmestre pour la commune de Linkebeek, au motif que celui démocratiquement élu ne l’a pas été en vertu de la loi spéciale ? Bien des pans de l’actualité demeurent flous en raison, notamment, de cette complexité juridique qui les entoure. Et pas seulement pour le commun des mortels qui tente d’en comprendre les finesses par voie de presse interposée ; parfois même pour les protagonistes eux-mêmes.

Certains profitent de cet état de fait : ceux qui maîtrisent la complexité et qui, parce qu’ils sont de plus en plus rares, valorisent cette compétence à des niveaux de plus en plus élevés ; et ceux qui utilisent le flou ambiant pour mettre en oeuvre des pratiques sinon carrément douteuses, au moins à la limite des principes de bonne gouvernance. Pourquoi VW a-t-elle installé son logiciel truqueur sur des millions de moteurs ? Parce que la pression fiscale et commerciale est forte… et que les règles de mesures de consommation énergétique et d’émissions sont complexes, pour ne pas dire tordues. Pourquoi la ministre Galant imagine-t-elle un système de soutien aux compagnies aériennes basé non plus sur le nombre de passagers transportés mais sur le nombre de passagers en transit ? Pour soutenir sans le dire Brussels Airlines… et tenter de se faufiler au travers des méandres de la réglementation européenne en matière d’aides d’Etat. En définitive, toutes ces circonvolutions coûtent beaucoup, beaucoup d’argent.

La complexité nous échappe-t-elle ou refusons-nous de nous y confronter, par paresse, par manque de temps ou de moyens ? Il convient en tout cas d’admettre que tout n’est pas simple et que tout ne peut pas être simplifié. Il faut certes du talent pour y parvenir… mais aussi, dans certains cas, un fameux goût pour le risque.

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