Paul Vacca

L’authenticité à l’ère du “fake”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Encore un anglicisme! diront certains. Pourtant, il en va des anglicismes comme du cholestérol : il y a les bons et les mauvais. En l’occurrence, les anglicismes utiles et ceux qui n’apportent rien.

Si je dis, par exemple, ” je vais faire du running ” , cela n’apporte aucune indication de plus que si j’avais dit ” je vais courir “. En revanche, le mot ” jogging ” développe des nuances sémantiques absentes dans la langue française. On ne peut les restituer que par le biais d’une périphrase comme ” course pas nécessairement sportive à forte tendance urbaine effectuée à petite vitesse “. Pour s’éviter la périphrase, on peut aussi façonner un équivalent made in France. Ce que nous avons fait en créant le mot… ” footing “, un anglicisme reconstitué. Rappelant en cela une tirade que l’on prêtait à un acteur français : ” Pourquoi utiliser le mot jogging alors que l’on avait déjà cross-country en français ? “.

A force de vouloir produire ou consommer de l’authentique, nous finissons par produire de ” l’hyper-vrai ” qui devient, à sa manière, du ” fake “.

On prend conscience que cette question n’a rien d’anodin ni de byzantin en parcourant No Fake©, de Jean-Laurent Cassely, dont le titre ne peut être en aucun cas traduit par ” faux “. Dans ce passionnant essai paru aux éditions Arkhê, l’auteur, essayiste et journaliste à Slate.fr, radiographie de façon très documentée une tendance de fond marketing, sociologique et intime : la quête de l’authenticité. C’est ainsi que l’auteur désigne le tropisme de l’époque pour le ” vrai ” : les vrais bistros, les vrais meubles, les vrais produits, les vrais gens, les vrais quartiers, bref toutes ces expériences que nous qualifions d’uniques.

Cette quête d’authenticité n’est pas nouvelle. Selon l’auteur, elle prendrait naissance à chaque grande poussée technologique en réaction aux bouleversements que celle-ci induit dans la vie quotidienne : lors des trente glorieuses avec la naissance de la société de consommation, au tournant du siècle avec l’éclosion d’Internet, et depuis les années 2010 avec le smartphone et les réseaux sociaux. Avec un acteur de poids : Instagram, révélateur de cette quête mais aussi son dévoyeur.

Jean-Laurent Cassely note que cette quête d’authenticité se déploie dans un nouvel âge : l’ère du fake. Or, traduire ” fake ” par ” faux ” serait en réduire considérablement la portée, l’enfermer dans une approche manichéenne, moqueuse ou moralisante (à laquelle se refuse absolument l’auteur). La réflexion de Cassely consiste au contraire à en révéler toute l’essence paradoxale et mouvante, ce que la richesse polysémique de ” fake ” traduit pleinement. Car la thèse du livre est que, à force de vouloir produire ou consommer de l’authentique, nous finissons par produire de ” l’hyper-vrai ” qui devient, à sa manière, du fake.

L’auteur évoque, par exemple, cette nouvelle approche très répandue chez les restaurateurs : s’inspirer de la cuisine de leur propre grand-mère et la mettre en scène comme gage d’authenticité. La sincérité de chacun des chefs n’est pas en cause, mais la somme des attitudes individuelles et leur répétition – à travers les réseaux sociaux notamment – finit par transformer l’authenticité d’une démarche personnelle en un acte qui peut apparaître inauthentique que l’auteur appelle le ” point mamie “.

Idem pour les bistrots plus vrais que nature. Nés en réaction aux effets de la mondialisation, à l’uniformisation et la dépersonnalisation des ” non-lieux “, il finissent, par leur prolifération, par devenir des lieux uniques… reproduits presque à l’identique à Amsterdam, Bruxelles, Paris, Tel-Aviv ou Tokyo.

C’est comme si une autre mondialisation se superposait à celle que l’on connaît. A l’uniformisation descendante produite par les franchises internationales qui standardisent tous les centres-villes à coup de McDonald’s, Gap ou Gucci répond une uniformisation ascendante, somme de toutes les démarches individuelles, chacune se revendiquant unique. C’est ainsi que nous avons pu dire, dans une précédente chronique, que ce n’était pas Instagram qui imitait le monde mais le monde qui imitait Instagram, ouvrant le champ à une uniformisation des expériences uniques.

Un syndrome tout à fait perceptible avec Airbnb. Au départ, il s’agit de la promesse d’une expérience dans l’intimité d’un appartement original, en réaction à l’uniformité des chambres d’hôtels. Or, la plateforme propose aujourd’hui des appartements presque aussi formatés que des chambres d’hôtel à l’esthétique… instagrammable.

Bref, à l’ère des réseaux sociaux l’authenticité n’est plus ce qu’elle était. C’est notre destin postmoderne. Pour autant, Jean-Laurent Cassely nous prédit, dans l’épilogue savoureux, une année 2049 authentique.

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