Rudy Aernoudt

“Indépendant sans emploi, ça existe?”

D’après les estimations de la Banque nationale (BNB), la crise du coronavirus a privé de travail 180.000 employés et 70.000 indépendants. Soit 250.000 sans-emplois supplémentaires, constatent les médias. Le hic, c’est que tous les Belges ne sont pas égaux devant le chômage.

Un cohabitant avec charge de famille devra se contenter de 60% de son salaire au bout d’un an, soit une perte de pouvoir d’achat de 40%. Mais les plus touchés seront les ” gros ” salaires et ce du fait du plafonnement applicable au calcul des indemnités de chômage. La limite a été fixée à 2.350 euros brut. L’employé qui gagnait par exemple 5.000 euros brut retombe après un an à moins de 1.300 euros, soit une perte de pouvoir d’achat de 75%. En 2018, d’après Statbel, 80% des employés belges gagnaient plus de 2.350 euros brut. S’ils perdent leur emploi, la perte de pouvoir d’achat au bout d’un an sera supérieure à 40%. Autrement dit, la plupart des chômeurs seront durement touchés.

Les indépendants, eux, n’ont pas droit au chômage. En cette période de crise, une aide spéciale coronavirus a été instaurée. Quelque 350.000 indépendants l’ont déjà sollicitée, dont un tiers de façon abusive, semble-t-il. Certains indépendants s’en sont mieux sortis qu’en temps normal. Mais à en croire les chiffres de la BNB, un sur cinq n’arrivera pas à rebondir et pourra normalement recourir au droit passerelle, à condition de remplir tous les critères. Contrairement aux indemnités de chômage, ce droit n’est pas accordé à vie mais pendant une période limitée de 12 mois. Autrement dit, au bout d’un an, la perte de pouvoir d’achat sera de 100%.

La logique sous-jacente est que cette aide de 12 mois doit permettre à l’indépendant de se repositionner, de ” passer ” du statut de failli à un nouveau statut. Mais quel nouveau statut ? Opter pour le statut de salarié n’est pas une décision facile à prendre, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue psychologique. L’indépendant failli peut évidemment reprendre une activité d’indépendant. Chassez le naturel, il revient au galop… Malgré toutes les déconvenues rencontrées, de nombreux indépendants faillis ne rêvent que d’une chose : remettre le couvert.

Le problème, c’est qu’ils ne redémarrent pas d’une page blanche. Ils ont généralement perdu tout ce qu’ils possédaient et quand ils prennent un nouveau départ, ils sont souvent confrontés aux problèmes du passé. Les créanciers savent où les trouver. La banque, quant à elle, peut faire jouer les garanties sur le patrimoine privé. Et il est quasi impossible d’obtenir de nouveaux crédits quand on porte l’étiquette de failli.

Le lecteur averti fera remarquer qu’une nouvelle loi sur l’insolvabilité est entrée en vigueur il y a deux ans et que que l’entrepreneur failli peut bénéficier de l’effacement des dettes résiduelles. Cette loi a pour but d’octroyer une seconde chance au failli, a fresh start. Bien qu’automatiquement accordé, du moins en théorie, l’effacement ou remise de dettes fait l’objet d’une procédure de demande complexe. Le texte de loi prévoit toutefois plusieurs recours contre l’effacement. Par exemple, conformément à la loi, le curateur doit remettre au tribunal un jugement sur la légalité de la demande d’effacement. Par déformation professionnelle, les curateurs sont généralement de parti pris car ils en ont déjà tellement vu qu’ils donnent rarement un avis positif. Les autres créanciers et même le ministère public peuvent eux aussi s’opposer à l’effacement des dettes. L’octroi automatique est donc un concept très relatif.

Les conséquences d’un refus d’effacement de dettes dans l’intérêt du failli sont plus importantes que sous le régime d’excusabilité, fait remarquer l’expert en données Graydon. L’objectif d’accorder une ” seconde chance ” n’est pas atteint et les obstacles à surmonter sont nombreux dans cette procédure, constate Alain Zenner, auteur de la loi sur la continuité des entreprises. Il n’existe malheureusement pas de statistiques relatives à l’effacement des dettes.

Autrement dit, aussi louables soient les intentions de la loi sur la solvabilité, dans la pratique, la montagne a accouché d’une souris. Et en fin de compte, qui est victime de toutes ces chamailleries politiques et manoeuvres de lobbying ? Le failli, bien sûr, qui doit surmonter de nombreux obstacles pour prendre un nouveau départ. Bref, un start pas si fresh. C’est inhumain pour l’indépendant et regrettable pour l’économie, surtout en cette période post-corona.

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