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Fraude fiscale: encourager la délation?

Habituellement, ceux qui dénoncent des concitoyens aux autorités sont traités de “délateurs” et subissent le même opprobre que Judas. Aujourd’hui, on trouve des politiciens qui promeuvent un tel comportement au titre de vertu. Ainsi, la France rémunère officiellement les “aviseurs fiscaux”, qui dénoncent des faits présumés de fraude fiscale au fisc.

Quant au Parlement européen et au Conseil, ils viennent de prendre une directive obligeant les Etats à favoriser les lanceurs d’alerte, c’est-à-dire les personnes qui dénoncent des actes contraires à certaines dispositions européennes, ou même des actes conformes à celles-ci, mais qui sont contraires à leur objectif.

Cette directive oblige les Etats à protéger ces personnes en interdisant qu’elles soient licenciées, rétrogradées, ou qu’elles perdent tout autre droit ou avantage. On n’exige même pas, pour que cette protection soit assurée, que les faits soient matériellement exacts, ou qu’ils soient pertinents, c’est-à-dire qu’ils constituent effectivement une infraction ou un contournement des normes légales européennes ; il suffit que le délateur soit de bonne foi. Il est étrange que de tels lanceurs d’alerte bénéficient d’une telle opinion favorable.

Leurs révélations ne sont pas toujours exactes, et, même lorsqu’elles le sont, elles ne sont pas nécessairement pertinentes, c’est-à-dire que les faits dénoncés sont conformes à la législation. Même lorsqu’ils sont exacts et portent sur des faits illégaux, il faut se rendre compte qu’une telle tâche, pour le délateur, est particulièrement aisée puisqu’en Europe, les réglementations sont tellement multiples que pratiquement n’importe quelle entreprise est coupable de quelque chose : une personne travaillant à l’intérieur de la firme peut aisément trouver quelque chose à dénoncer.

De tels comportements seront évidemment beaucoup plus nombreux dorénavant. Toute personne qui se sent menacée de licenciement parce qu’elle est incompétente ou négligente, pourra, sur la base de la directive, trouver une manière de se faire protéger. Soit elle dénoncera n’importe quel acte qui n’est pas tout à fait conforme à la législation, ou qui pourrait ne pas l’être, soit en l’absence de toute illégalité, elle spéculera sur le fait qu’il faudra tellement de temps pour démontrer que l’accusation est inexacte qu’elle évitera un licenciement pendant des années. Pire encore : elle se contentera de menacer de dénoncer n’importe quoi pour obtenir une solide indemnité de rupture.

La directive n’a heureusement qu’une portée limitée aux intérêts de l’Union européenne, et donc aux législations pour lesquelles celle-ci est compétente. C’est toutefois une part très importante du droit. De plus, des politiciens, en Belgique ou ailleurs, vont évidemment tenter de trouver appui dans la directive européenne pour en étendre les obligations à toutes les législations et réglementations prévoyant des sanctions.

Lorsque ce sera fait, les délateurs seront rois. Protégés de toute sanction, ils pourront faire chanter la direction de leur entreprise, soit sur la base de quelques infractions futiles, soit en menaçant de révéler des faits même inexacts. Mieux encore, on ne peut exclure que certaines législations, comme en France, permettent la rémunération de ces personnes qui auront trahi leurs engagements envers l’employeur qui les rémunère. On rappellera à cet égard qu’en Belgique, ce n’est que de justesse, et grâce à un veto de l’Open Vld, qu’une telle disposition n’a pas été introduite dans la loi.

On peut enfin s’interroger sur la compatibilité de telles dispositions, y compris celle de la directive, avec le secret professionnel. Un récent article du quotidien français Les Echos révèle, avec une étrange complaisance, la situation d’un auditeur, travaillant pour un des Big Four, qui, apprenant que son supérieur lui retirait un dossier, a décidé de dénoncer le client de son employeur, pour fraude fiscale, auprès de l’administration française. Ce que l’on prépare avec de telles législations, c’est un système où personne ne peut faire confiance à personne, où même les ” confidents nécessaires ” comme les auditeurs sont susceptibles de révéler les secrets qu’on leur confie et où les maîtres chanteurs régneront.

Le résultat sera que de telles professions, privées de tout secret effectif, feront l’objet de la méfiance de leurs clients et que la mission des auditeurs sera privée de toute utilité : dépourvus d’informations fiables, ils ne pourront plus rédiger de rapport crédible.

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