Evasion fiscale: la bombe du Panamaleaks

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Après les “rulings” luxembourgeois et les comptes bancaires cachés en Suisse, le scandale des Panama Papers révèle une nouvelle facette de l’évasion fiscale à l’échelle planétaire.

Nouveau coup de tonnerre dans le ciel de la finance mondiale : après l’OffshoreLeaks, le LuxLeaks et le SwissLeaks, voici les Panama Papers. Chefs d’Etat, célébrités internationales, grands noms du sport, milliardaires et particuliers anonymes ont eu recours à plus de 200.000 sociétés écrans établies dans une vingtaine de paradis fiscaux différents pour éluder l’impôt ou cacher de l’argent sale. C’est ce que révèlent les documents provenant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, spécialisé dans le montage de sociétés offshore. C’est de là que vient la fuite relayée par plusieurs médias belges dans le cadre d’une vaste enquête journalistique internationale, emmenée par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ). Le scandale met notamment en cause la star du foot Lionel Messi, l’acteur Jackie Chan, l’entourage du président russe Vladimir Poutine, le Premier ministre d’Islande, la première famille d’Azerbaïdjan, le roi d’Arabie saoudite ainsi que les présidents ukrainien et argentin.

Plus de 700 Belges

Côté belge, les révélations épinglent des sociétés offshore détenues par 732 contribuables résidents en Belgique. Selon le magazine Knack (qui a participé à l’enquête), ces fraudeurs potentiels sont liés à un gros millier de sociétés offshore situées aux îles Vierges britanniques, au Panama et aux Seychelles. Parmi ces 732 Belges actifs dans des paradis fiscaux figurent des diamantaires, des héritiers de grandes fortunes familiales mais aussi beaucoup d’inconnus (médecins, comptables, architectes, experts fiscaux, etc.).

Selon Le Soir, les propriétaires de ces sociétés offshore sont majoritairement des hommes, de nationalité belge, nés dans les années 1960, et qui habitent pour la plupart dans des communes huppées du pays (Uccle, Ixelles, Waterloo, banlieue chic d’Anvers, etc. ). Plusieurs noms sont déjà cités. Il y a d’abord celui de Franco Dragone. Selon le journal LeSoir, qui a également participé à l’enquête, le metteur en scène louviérois, déjà visé chez nous par une affaire de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, serait impliqué via un système de sociétés écrans basé au Panama et aux îles Vierges britanniques. Le nom de la famille de Spoelberch, une des plus riches de Belgique et connue comme étant un des actionnaires historiques d’AB InBev, apparaît également. Pour le député fédéral (PTB) Marco Van Hees, il y a d’ailleurs beaucoup de chances de voir ressortir les mêmes noms que ceux divulgués en 2013 par le PTB dans un dossier du magazine Solidaire sur ces Belges détenant des sociétés offshore à Panama (famille Saverys, etc.). “A la différence qu’il s’agit ici visiblement de données assez récentes, dit-il. On verra donc si ces histoires sont toujours d’actualité ou pas.”

La route du Panama

En attendant, la présence de Belges dans ce nouveau grand scandale d’évasion fiscale n’est pas étonnante, même si leur nombre surprend. “Le Panama offre de nombreux services offshore, signale Sabrina Scarnà, avocate spécialisée en droit fiscal au cabinet Tetra Law. Nombre de banques suisses ont fonctionné longtemps avec des fondations et des sociétés panaméennes. C’est un centre offshore très reconnu… enfin si on peut utiliser ce terme.” Même son de cloche du côté du juriste fiscaliste François Parisis : “Le Panama est sans doute le pays qui a fourni le plus de sociétés offshore aux Belges avec les îles Vierges britanniques”. Un avis que partage également l’avocat et professeur de droit fiscal Michel Maus (cabinet Bloom) qui pointe les conseils donnés par les banques à leurs clients. “Les fiscalistes des banques ont fortement promu la route panaméenne entre 2000 et 2005, affirme-t-il sans ambages. C’était tout simplement la politique commerciale à l’époque. Il n’est donc pas surprenant que de nombreuses personnes aient suivi les conseils des banques et aient mis sur pied des structures panaméennes.” Des propos que réfutent avec force les banques par la voix de Febelfin (la Fédération du secteur financier), niant avoir aidé leurs clients à éluder l’impôt.

Le fisc aux aguets

Quoi qu’il en soit, les réactions politiques n’ont pas tardé. Sur les bancs de l’opposition, PS et Ecolo ont réagi rapidement, réclamant l’audition au Parlement du ministre des Finances Johan Van Overtveldt, du président du SPF Finances Hans D’Hondt et du patron de l’Inspection spéciale des impôts (ISI) Frank Philippsen. Quant au fisc, il va mener son enquête. Johan Van Overtveldt a en effet lui aussi réagi très rapidement à ces nouvelles révélations. Le soir même où les informations sont sorties dans la presse, il a chargé l’ISI d’analyser “en priorité” les données révélées afin d’enquêter sur l’identité des personnes et des entreprises impliquées ainsi que sur la nature des montages financiers qui ont été mis en place. Il a également rappelé que la taxe Caïman (aussi appelée taxe de transparence), votée en 2015 et qui permet à l’administration fiscale d’imposer directement en Belgique les revenus d’une construction étrangère, constituera un outil intéressant dans la suite de ce dossier.

Car comme le rappelle François Parisis, le but premier d’une société offshore est l’optimisation fiscale, voire pour cacher des choses. “Sa constitution est généralement justifiée par des raisons fiscales.” Les pays d’accueil des sociétés offshore ont une fiscalité plus avantageuse que celle du domicile des investisseurs (lire encadré “Une société offshore, c’est quoi ?”). Chez nous, nombre de particuliers ont eu recours à ce type de construction pour dissimuler de l’argent provenant d’une fraude aux droits de succession et contourner la directive sur la fiscalité de l’épargne. “Dans ces Etats, poursuit François Parisis, les impôts sur les revenus et les impôts sur les bénéfices des sociétés sont la plupart du temps inexistants. Il n’y a pas d’impôt sur le revenu du capital. Les entreprises y recourent de plus en plus car c’est un outil pour optimiser la rentabilité. Tout ce qui n’est pas versé au fisc revient aux actionnaires.” “Ne nous leurrons pas, abonde Sabrina Sacrnà. Le contribuable qui recourt à ce type de structure ne va pas nécessairement déclarer ses revenus.”

Pain bénit

Reste à savoir si le fisc pourra vraiment tirer profit de ces nouvelles révélations. Bien sûr, celles-ci tombent à point nommé pour l’administration et plus particulièrement l’ISI, dont les effectifs viennent par ailleurs d’être renforcés (100 personnes supplémentaires ont été engagées : des économistes, des juristes et des dataminers). “S’il parvient à mettre la main sur la liste des 700 contribuables belges détenant une société panaméenne, le fisc pourra aisément vérifier que ces contribuables déclarent effectivement les revenus de ces structures, estime François Parisis. Il pourra aussi interroger les contribuables concernés sur l’origine des fonds investis dans ces structures. Le cas échéant, il pourra procéder à une taxation sur base indiciaire si le contribuable ne justifie pas suffisamment la provenance des fonds ayant été placés dans ces structures offshore.”

Confirmation chez Sabrina Sacrnà pour qui l’administration pourra utiliser ce type de documents sans aucune difficulté. “D’ailleurs, nombre de dossiers sont générés sur la base de dénonciations… Ceci est une forme de dénonciation. Toutefois, il faudra certainement que le fisc effectue des enquêtes pour pouvoir enrôler le juste impôt et là, bien évidemment, les règles de la procédure fiscale devront être respectées”, dit-elle. Et puis, il se pourrait aussi que les sociétés figurant sur les documents dérobés à Mossack Fonseca soient de vieilles sociétés. Autrement dit, qu’elles aient été dissoutes depuis lors.

“La tendance aujourd’hui n’est plus à la constitution de sociétés offshore, nous confie encore François Parisis. Beaucoup de ces sociétés ont été démantelées, transformées ou incorporées dans d’autres sociétés par leurs bénéficiaires économiques. La tendance actuelle est plutôt à l’investissement dans des sociétes onshore bénéficiant d’un régime d’imposition avantageux telle que la soparfi luxembourgeoise.”

Suite à l’instauration de la taxe Caïman, la plupart des contribuables belges (particuliers et entreprises) qui avaient constitué une société offshore ont en effet entamé des démarches en vue du démantèlement ou de la transformation de ces sociétés en sociétés résidentes afin d’éviter cette taxe sur la transparence. Et pour ceux qui n’auraient pas pris les devants, les nouvelles règles définies par le fisc en matière de régularisation fiscale sont peut-être les bienvenues. Il est en effet toujours possible de régulariser ses avoirs placés à l’étranger. Raison pour laquelle nous vous détaillons dans les pages suivantes le mode d’emploi de la nouvelle DLU, qui entre en vigueur le 1er juin.

SÉBASTIEN BURON

UNE SOCIÉTÉ OFFSHORE, C’EST QUOI ?

Une société offshore est une société immatriculée dans un pays où l’impôt est quasi inexistant. Il s’agit le plus souvent d’une société domiciliée dans un paradis fiscal (comme le Panama, l’Etat du Delaware aux Etats-Unis, Hong Kong, Singapour, les îles Caïman, etc.). Pour bénéficier des avantages fiscaux dans son pays de domicile, la société ne peut pas commercer dans le pays où elle est enregistrée et ses actionnaires ne peuvent pas y être résidents. La société est généralement gérée à distance, bien qu’une personne puisse servir de correspondant sur le terrain. Une société offshore est par conséquent une société non résidente. Depuis le 1er janvier 2015 et l’instauration de la nouvelle taxe Caïman, les revenus des sociétés offshore détenues par des contribuables belges doivent être déclarés par ceux-ci comme s’il s’agissait de leurs propres revenus.

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