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Et si le scénario économique était une stagflation ?

Si la déflation s’installe en Europe, rien ne dit qu’elle perdurera, d’autant que la plupart des Etats inondent leurs économies d’une offre de monnaie gagée par leurs propres dettes publiques. On voit d’ailleurs l’inflation remonter doucement dans certains pays.

Je partage une intuition qui m’avait traversée en 2010 : Et si le scénario de l’économie européenne était celui de la stagflation, c’est-à-dire une combinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persistant et d’inflation modérée ?

Quels seraient les attributs de cette empreinte de stagflation que nous entrevoyons ? Outre les aspects de solvabilité étatique, ils sont les mêmes que le constat des années septante : un taux de croissance faible de l’économie, combiné à une décroissance marginale des gains de productivité, un chômage structurel et élevé (caractéristique des dislocations structurelles de l’économie), une sous-utilisation des capacités de production, des anticipations de bénéfices des entreprises faibles (à tout le moins dans une perspective de moyen terme), des dépenses d’investissement faibles à modérées, une raréfaction du crédit bancaire pour des investissements privés, des déficits de la balance commerciale et un phénomène généralisé de désindustrialisation.

En ce qui concerne l’effet de stagnation, il sera essentiellement décelable par un chômage structurel, déjà bien établi dans certaines régions. Au-delà de l’effet d’optique du départ à la retraite d’une partie importante des baby-boomers (qui ne fait que reporter le problème de leurs revenus de remplacement sur les pouvoirs publics), le chômage est lié à différents phénomènes : désindustrialisation, inadéquation de l’enseignement, épuisement du modèle de croissance par endettement, manque de flexibilité du marché du travail, entreprenariat ancillaire et surtout atonie des mentalités qui n’ont pas encore bien intégré la mutation des foyers de croissance. L’immigration devra, elle aussi être repensée de manière à assurer des relais de croissance en matière d’emplois.

Il est plus grave, dans un monde appauvri, de provoquer le chômage que de décevoir le rentier “.

L’inflation, quant à elle, n’est aucunement une solution souhaitable puisqu’elle fait peser un risque d’auto-alimentation et d’augmentation nominale des dépenses de l’Etat. Mais elle nous parait s’imposer comme une conséquence, voire un débouché, inéluctable du réescompte monétaire des dettes publiques. Bien sûr, l’inflation appauvrit le rentier d’autant que l’épargne est investie en titres à revenus fixes. Mais, comme l’avançait Keynes (1883-1946), il est “plus grave, dans un monde appauvri, de provoquer le chômage que de décevoir le rentier “.

Certains économistes avancent même une théorie iconoclaste, à savoir que la crise bancaire, étatique et économique est le résultat d’une période caractérisée par un excès de désinflation. Cette période, qualifiée de “grande modération” et qui serait étalée de 1985 à 2005, aurait tiré profit d’une expansion des zones de commerce (au travers de la globalisation) et d’une accessibilité à des poches d’emploi à bas coûts pour masquer la réalité du remboursement des dettes privées et publiques. L’expansion de la demande n’a pas débouché sur une crise d’inflation parce que les occidentaux ont trouvé dans leurs déficits commerciaux l’offre nécessaire à son absorption.

Pourquoi une intuition d’inflation alors que de nombreux économistes agitent le spectre de la déflation séculaire (qui constitue une forte préférence collective pour la liquidité et qu’on confond souvent avec la désinflation) ? Parce que la création de monnaie ex-nihilo (avec des billets qui ne deviennent que des créances sur d’autres billets, ceci rappelant l’expression de l’économiste Jean-Baptiste Say (1767-1832) pour lequel “la monnaie n’est qu’un voile“), telle que mise en oeuvre par les banques centrales, est une traite sur l’avenir dont le remboursement deviendra incertain. Il est incontestable que les États et les banques centrales procèdent actuellement à une monétisation de la dette publique avec son corollaire de création de surliquidité et d’inflation différée éventuelle. Les récentes mesures créent donc de l’argent sans créer de capital.

Et finalement, on devra se poser la question de savoir comment les autorités monétaires européennes ont pu imposer en même temps des objectifs d’inflation extrêmement bas (2 % sur une base annuelle) et autoriser des États-membres à augmenter leur endettement public dans des proportions telles que la manière la plus intuitive d’en diminuer le poids est justement une diminution de la valeur relative de la monnaie par l’inflation, ce que la BCE entend désormais stimuler.

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