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Dette publique: un avertissement à 2,2 milliards pour l’État

L’affaire a échauffé les esprits au début du mois, mais elle a vite été emportée dans les flots impétueux de l’actualité. Pourtant, plus de deux milliards d’euros de facture pour les finances publiques, ce n’est pas rien. C’est l’équivalent d’un bon contrôle budgétaire.

Or, 2,2 milliards, c’est ce que l’Etat va devoir verser comme compensation aux banques avec lesquelles il a contracté des swaps de taux, c’est-à-dire les contrats qui permettent de fixer un taux sur une longue période quelle que soit l’évolution de ce taux dans les marchés.

Un petit retour en arrière s’impose : en 2014, les taux d’intérêt sur la dette belge à 10 ans étaient tombés de 2,5 % en janvier et à moins de 1 % en décembre. Une baisse surprenante, essentiellement due à la chute brutale du pétrole. En octobre 2014, l’agence de la dette décide de profiter de l’aubaine et de geler ces taux bas sur un bon tiers de notre dette via, donc, des swaps de taux.

Manque de chance : les taux, au lieu de remonter, continuent de décroître. L’Etat paie aujourd’hui entre 0,5 et 0,6 % d’intérêt pour emprunter sur 10 ans. Et du coup, c’est l’Etat qui doit verser une compensation aux banques : 1 milliard environ en 2015 et 1,2 milliard pour 2016 (heureusement, ces contrats s’achèvent en août de cette année).

Les premières réactions, épidermiques, ont été de colère. Quoi ? L’Etat a spéculé avec notre argent et, évidemment, il a perdu ! Les plus anciens se rappellent que d’autres swaps avaient déjà coûté fort cher au Trésor qui avait parié à la fin des années 1980 sur la convergence des devises européennes avant l’union monétaire. Le Trésor avait donc emprunté en devises fortes et à taux bas (par exemple le mark), pour replacer cet argent en devises faibles mais plus rémunératrices (par exemple la lire). Mais patatras, la crise monétaire de 1992 avait déjoué ce pronostic et la Belgique s’était retrouvée avec une facture de 40 milliards (de francs ! ).

La grande différence entre les swaps d’hier et ceux d’aujourd’hui, est qu’il ne s’agit plus de spéculer sur le marché des changes, mais de prendre une assurance pour se protéger d’une remontée des taux. C’est donc moins une perte qu’un manque à gagner. Comme l’a expliqué le patron de l’agence de la dette Jean Deboutte voici quelques jours à la Chambre : “Il est toujours facile a posteriori de dire ce qu’il fallait faire. Notre mission n’est pas seulement de gérer la dette, mais aussi de limiter les risques”. Et l’on ajoutera que l’Etat n’a pas toujours été perdant. En 2010, Didier Reynders, alors grand argentier, s’était réjoui que cette politique de couverture avait rapporté 2,9 milliards d’euros.

Le risque de naufrage que fait peser la dette publique est de plus en plus difficilement gérable

Mais il y a bien un malaise dans cette affaire de swaps : pourquoi ces fonctionnaires qui gèrent notre dette estiment-ils nécessaire de contracter de telles assurances ? La réponse est simple : le risque de ne rien faire était trop important. Depuis plus de 30 ans, nous n’arrivons pas, quelle que soit la conjoncture, à abaisser le montant de la dette qui augmente de 400 euros chaque seconde. Il atteint aujourd’hui 440 milliards d’euros et sur une telle masse, la moindre variation sur les taux représente des sommes colossales. Nous n’en avons pas conscience parce que nous sommes anesthésiés par les taux bas qui font que nous allons payer moins de 10 milliards d’euros de charges d’intérêt cette année, alors que nous avions déboursé 12 milliards en 2012. Mais si les taux n’avaient pas baissé depuis quatre ans, la charge de la dette serait de 4 milliards plus élevée.

Les finances publiques du pays sont dans la situation de ces caravelles, lestées d’une cargaison trop lourde et obligées de traverser un océan pas toujours pacifique. Ce que viennent rappeler ces swaps de taux, c’est que le risque de naufrage que fait peser la dette publique est de plus en plus difficilement gérable. Il faut donc impérativement, d’une manière ou d’une autre (austérité ou inflation), nous alléger de ce fardeau. L’avertissement nous a coûté 2,2 milliards. Il vaut la peine d’être entendu.

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