Des éoliennes en arrêt forcé… mais pas le nucléaire!

La demande en électricité a chuté avec le confinement. La production doit alors être ajustée. Mais pourquoi avoir mis à l’arrêt des éoliennes plutôt que des réacteurs nucléaires ?

L’économie tourne au ralenti, la demande en énergie chute et pour éviter une surproduction, le gestionnaire de réseau Elia a sommé certains producteurs de mettre des éoliennes à l’arrêt. Certains jours, jusqu’aux deux-tiers de la production offshore ont été mis entre parenthèses.

Pourquoi arrêter les éoliennes plutôt que les centrales nucléaires ? La question fait bondir le patron d’Eneco, Jean-Jacques Delmée, qui s’est carrément offert une page de pub dans la presse pour dénoncer cette option. “C’est comme si on vous interdisait de consommer des légumes bio cultivés localement, alors que les grands producteurs inondent le marché sans aucune retenue”, dénonce-t-il. Jean-Jacques Delmée est d’autant plus remonté que les conditions climatiques étant particulièrement favorables à la production solaire et éolienne, le renouvelable pouvait fournir, dit-il, “la moitié de notre consommation quotidienne”.

Pour le député Ecolo Samuel Cogolati, cette situation démontre que nucléaire et renouvelable sont “deux modèles incompatibles” et qu’il faut donc sortir clairement du premier pour permettre le développement du second. “Il devient plus qu’urgent d’envoyer un signal clair aux producteurs d’énergie au lieu de s’obstiner à prolonger la durée de vie de réacteurs nucléaires périmés, dit-il. Donnons confiance aux investisseurs ! Les recettes du passé ne nous mènent nulle part. Au niveau européen, le Green Deal met 1000 milliards d’euros dans la transition et exclut d’ailleurs le nucléaire.”

Mais pourquoi donc Elia a-t-il opté pour une mise à l’arrêt temporaire d’éoliennes offshore plutôt que de réacteurs nucléaires ? La question intrigue d’autant plus que le nucléaire se profile volontiers comme le complément idéal des énergies renouvelables, grâce à sa flexibilité, qui permet de compenser le caractère intermittent de la production solaire ou éolienne. Grosso modo, les réacteurs d’Engie modulent leur production une trentaine de fois par an (surtout Tihange 3 et Doel 4) à cette fin.

Des prix négatifs

Qu’est-ce qui a empêché d’agir de la sorte en ce printemps 2020 ? Vincent Verbeke, directeur des activités de gestion de portefeuille d’Engie, avance deux explications : d’une part, les règles de sécurité exceptionnelles liées au Covid 19 ne permettaient pas toutes les interventions humaines nécessaires pour moduler la production ; d’autre part, les réacteurs nucléaires suivent un cycle de 12 à 18 mois, au terme duquel ils doivent s’arrêter pour un entretien. En fin de cycle, les réacteurs sont moins modulables et c’était justement le cas pour ceux de T3 et D4. Entendus ce mercredi au Parlement, le régulateur fédéral (Creg) et l’agence de contrôle nucléaire n’ont pas contesté l’explication. “Il n’y a aucune indication que les règles du marché n’ont pas été suivies”, a déclaré Andreas Tirez, membre du comité de direction de la Greg. “Nous étions donc face à un concours de circonstances très malheureux, résume Vincent Verbeke. Qui plus est dans un contexte d’une demande faible et d’une offre renouvelable élevée.” En tant que gestionnaire de portefeuille, il n’était d’ailleurs pas forcément ravi de voir son entreprise continuer à produire quand les prix du marché étaient négatifs…

Ces dernières semaines, le marché de l’énergie a connu des périodes de prix négatifs, car l’offre ne ralentissait pas aussi vite que la demande. Pourquoi ? Parce que, on l’a vu, le nucléaire ne pouvait techniquement pas arrêter et parce que, grâce aux subsides, l’éolien demeurait profitable en dépit des prix négatifs. “Il était bien souvent économiquement rationnel de continuer à produire du renouvelable, pointe Vincent Verbeke. Il faut être attentif aux mécanismes de soutien qui peuvent parfois donner des signaux économiques biaisés.” Selon Andreas Tirez (CREG), les prix négatifs “font partie du bon fonctionnement du marché” et le cas devrait d’ailleurs se reproduire plus souvent à l’avenir. La généralisation des compteurs intelligents pourrait utilement contribuer, ajoute-t-il, à l’alignement des marchés.

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