Dérapage budgétaire: le processus de sanctions contre l’Espagne et le Portugal enclenché

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Les ministres des Finances de la zone euro ont enclenché mardi une procédure de sanctions, inédite dans l’histoire de la monnaie unique, à l’encontre de l’Espagne et du Portugal en dérapage budgétaire.

Moins de trois semaines après la décision par référendum des Britanniques de sortir de l’UE, cette démarche sans précédent pourrait faire craindre de nouvelles critiques contre l’orthodoxie budgétaire préconisée par Bruxelles, même si plusieurs signaux laissent penser que la clémence sera de mise.

Réunis dans le cadre d’un conseil des grands argentiers de l’UE à Bruxelles, les ministres ont constaté que l’Espagne et le Portugal “n’ont pas pris les mesures nécessaires” pour corriger leurs déficits, ce qui déclenche un processus de sanctions, écrivent-ils dans un communiqué.

“La Commission européenne a 20 jours pour recommander au Conseil (des ministres, ndlr) des décisions sur des amendes”, ajoutent les ministres.

“Ces amendes devraient atteindre jusqu’à 0,2% du Produit Intérieur Brut (PIB). L’Espagne et le Portugal peuvent cependant soumettre d’ici dix jours leurs arguments pour obtenir une réduction des amendes”, précisent-ils.

“Je suis convaincu que nous arriverons à la fin à un résultat intelligent”, a observé le ministre slovaque des Finances, Peter Kazimir, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union européenne.

“Contre-productif”

“Il est injustifié et contre-productif d’appliquer la moindre sanction au Portugal”, a lancé mardi le Premier ministre portugais Antonio Costa, après la décision des ministres des Finances de la zone euro d’enclencher une procédure pour dérapage budgétaire à l’encontre de Lisbonne et Madrid.

“Tout ce processus est un contresens”, a réagi le chef du gouvernement socialiste devant la presse à Lisbonne, assurant que le Portugal allait ramener cette année son déficit public en-dessous des 3% du PIB “sans recourir à un plan B ou à des mesures exceptionnelles” d’assainissement budgétaire.

“L’économie européenne et la zone euro ne bénéficieront en rien de l’application de sanctions, quelles qu’elles soient, à l’encontre du Portugal ou de l’Espagne”, a ajouté M. Costa, arrivé au pouvoir en novembre dernier grâce au soutien parlementaire de la gauche radicale.

La procédure ouverte par les grands argentiers de la zone euro “porte exclusivement sur la période 2013-2015” et “ne représente pas un jugement sur le gouvernement actuel”, a-t-il souligné.

Le précédent gouvernement de centre droit a mis en oeuvre une sévère cure d’austérité budgétaire sous la tutelle de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) qui, en échange, avait accordé au pays un plan d’aide financière de 78 milliards d’euros entre 2011 et 2014.

La Commission européenne, le FMI et “le très respecté ministre allemand des Finances” Wolfgang Schäuble avaient à maintes reprises présenté le précédent gouvernement comme “un modèle de bon élève”, a fait valoir M. Costa.

“Proposer maintenant de punir le Portugal car le gouvernement précédent n’a pas pris les mesures nécessaires, cela décrédibilise M. Schäuble et ne renforce pas la confiance des citoyens dans le fonctionnement de la zone euro”, a affirmé le Premier ministre portugais.

Fin juin, M. Schäuble s’était montré critique envers le gouvernement de M. Costa en évoquant un éventuel deuxième plan d’aide, ce qui a provoqué la colère de Lisbonne qui a aussitôt convoqué l’ambassadeur d’Allemagne au Portugal.

Madrid propose une hausse d’impôt

Le ministre de l’Economie espagnol, Luis de Guindos, a annoncé que Madrid souhaitait une hausse de l’impôt sur les sociétés afin de réduire dès 2017 son déficit en-dessous de 3% du PIB et éviter une sanction de l’UE pour dérapage budgétaire.

“Nous allons proposer une mesure sur l’impôt sur les sociétés, (…) une mesure puissante”, qui rapportera 6 milliards d’euros, a déclaré M. de Guindos lors d’une conférence de presse à Bruxelles, retransmise à la télévision espagnole, en présentant ses arguments-phare pour éviter une amende de la Commission européenne.

L’Espagne dispose de dix jours pour présenter ses arguments et tenter d’éviter une amende, qui peut atteindre 0,2% de son PIB, deux milliards d’euros.

Le ministre a indiqué que Madrid transmettrait dès mercredi ses arguments, et insistera sur l’assainissement de son économie et les réformes et économies déjà réalisées.

Le déficit public de l’Espagne a atteint 5% du PIB en 2015 mais il était de 9,07% en 2011. La croissance a repris et devrait dépasser encore les 3% en 2016 selon le ministre, qui a aussi évoqué des réformes en matière de droit du travail.

“C’est un tournant sans précédent”, a-t-il souligné, en estimant qu’il justifie que la Commission impose une “sanction nulle”.

Mais pour convaincre encore davantage “nous allons faire part d’un engagement clair de l’Espagne pour la réduction de son déficit public en dessous de 3% (du PIB) en 2017”, a-t-il ajouté.

La “mesure fondamentale”, sera une “modification” de l’impôt sur les sociétés, avec “l’établissement d’un taux minimum à partir d’un seuil qui devra être adopté par le biais d’une loi”, a-t-il ajouté.

M. de Guindos, conscient que l’exécutif actuel ne peut proposer une telle mesure car le Parlement doit encore investir un nouveau gouvernement, a souligné qu’une telle mesure devra petre proposée “par un gouvernement en fonctions” à venir.

“Mais nous nous y engageons (…) car elle donne davantage de force à notre promesse, pour un montant de 6 milliards d’euros”, a-t-il ajouté.

L’Espagne aborde son septième mois de blocage politique, depuis décembre, après des élections qui ont laissé un parlement fragmenté entre quatre grandes forces politiques et incapable de se trouver un nouveau gouvernement.

Avant l’annonce de cette décision, le ministre portugais des Finances, Mario Centeno, avait assuré que son pays “va se battre pour que la poursuite de ce processus n’entraîne aucune conséquence pour l’effort budgétaire du Portugal, qui est déjà assez important”, faisant ainsi allusion à une “sanction zéro”.

Le ministre espagnol de l’Economie Luis de Guindos a lui aussi promis, avant même l’annonce à Bruxelles, que l’Espagne présenterait rapidement ses arguments et qu’il était “de plus en plus convaincu” que l’amende se monterait à “zéro”.

Après l’annonce, le ministre français des Finances Michel Sapin a plaidé pour une certaine souplesse.

“La position qui est la mienne, c’est le respect des règles dans le respect des situations. Des situations de chacun de ces pays. Au fond, ça se dit très simplement : il faut appliquer les règles intelligemment”, a-t-il expliqué à des journalistes.

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