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‘Croit-on vraiment que ces attentats mettent notre civilisation en péril ?’

La sidération et la peur. Voilà ce que le terrorisme cherche à susciter. Et à voir comment nous surréagissons aujourd’hui après les attentats de Paris, il semble avoir atteint son objectif.

“Nous sommes en guerre” (Manuel Valls), “C’est une tentative pour détruire la civilisation occidentale” (Jeb Bush), c’est “la fin de la fin de l’histoire” (Alain Finkielkraut). Franchement, croit-on que ces attentats mettent vraiment notre civilisation en péril ?

Pourtant c’est vrai : en regardant ces atroces images en boucle, en reconnaissant des lieux familiers, en imaginant que nos enfants aussi auraient pu se trouver là, au coeur de l’enfer, nous avons depuis quelques jours du mal à nous endormir.

C’est vrai aussi que, pour calmer une population inquiète, le politique sort les colts. On parle d’acte de guerre, de vengeance. L’armée descend dans les rues et les bombardiers décollent vers le Moyen-Orient. L’erreur, cependant, serait de s’en tenir à ces premières réactions épidermiques comme après l’attaque du 11 septembre 2001.

Après 9/11, le président George W. Bush avait désigné l’Irak comme le centre des forces du mal. La coalition avait envoyé un tapis de bombes censées tuer ses leaders criminels et détruire les bases opérationnelles des terroristes.

Douze ans plus tard, le vide du pouvoir laissé par le départ de Saddam Hussein a permis à Daech de déployer son califat et à un nouvel islam radical de repartir à l’assaut des “croisés”… Le propos ici n’est pas de dire qu’il ne faut pas tenter de détruire Daech. Il est d’affirmer que cela ne suffira pas si l’on délaisse le sort de ces pays après les frappes. L’Irak, la Libye, la Syrie, etc. : tous ces chaos clament notre incompétence en matière de politique étrangère.

Et puis, si l’on veut combattre le terrorisme, il vaudrait mieux aussi se rappeler que les terroristes ne sont pas des soldats étrangers, mais le plus souvent des jeunes élevés chez nous et manipulés par des idéologues. Il s’agit d’une population bien plus large que celle recouvrant les adeptes d’un salafisme sanglant ou d’un islam dévoyé.

Croit-on vraiment que ces attentats mettent notre civilisation en péril ?

Le terrorisme n’est en effet pas l’apanage de ce siècle débutant. Certes, au palmarès de l’horreur, les atrocités d’Al-Qaïda, de Daech ou de Boko Haram méritent une horrible place de choix. Mais le terrorisme n’est pas né le 11 septembre 2001.

Les attentats de l’IRA ont provoqué plus de 3.500 morts outre-Manche entre 1969 et 2003. Ceux des Basques de l’ETA ont ôté la vie à plus de 800 personnes entre 1968 et 2011. Les années 1970 et 1980 ont été marquées par la prise d’otages aux JO de Munich, Septembre noir, l’émergence du Hamas, la Fraction Armée Rouge (alias la bande à Baader), l’attentat de Lockerbie, etc. Qu’on le veuille ou non, le terrorisme est bien ancré dans nos sociétés et il se nourrit des ondes de choc médiatiques qu’il provoque.

Affronter résolument le terrorisme passe donc par une juste appréhension de la taille et de la forme du problème, et par des actions en profondeur. Sur deux fronts au moins.

Le premier est celui de notre politique intérieure. Les événements de Paris doivent nous pousser, comme d’autres, à faire notre autocritique. Oui, notre pays est celui qui compte le plus de départs pour la Syrie par tête d’habitants. Oui, la Belgique est une plaque tournante du trafic d’armes et de drogues. Oui, face à cela, notre millefeuille institutionnel n’aide pas à avoir un renseignement efficace.

L’autre front est sociétal. L’émotion ne doit pas conduire nos sociétés à muter sous la pression. Peu après les attentats du World Trade Center, le romancier américain Tom Clancy décrivait très bien le piège dans lequel on cherche à nous faire tomber : “Le terrorisme est avant tout un acte politique, disait-il. Si, à cause de lui, nous changeons notre société, il est gagnant. Nous vaincrons les terroristes en vivant comme nous le voulons et non comme ils le veulent, eux.” Tom Clancy avait raison : notre mission est de ne pas céder à la sidération et à la terreur, et de continuer à vivre comme avant. Avec un peu plus de prudence, oui. Avec un peu moins d’insouciance, oui. Mais comme avant.

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