Coronavirus: les politiques confrontés à des choix difficiles… A quel modèle se vouer?

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Entre tragédie et statistiques, des choix délicats attendent les dirigeants politiques confrontés au Covid-19. Les modèles épidémiologiques comptent parmi leurs seuls guides.

“Nous n’avons pas le choix “, déclarait le président Donald Trump le 30 mars dernier après avoir annoncé que les directives fédérales de distanciation sociale resteraient en vigueur juste fin avril. ” Selon nos modèles, le pic de décès n’interviendra pas avant deux semaines. Les mêmes modèles démontrent également qu’en suivant scrupuleusement ces directives, nous pourrions sauver la vie de plus d’un million d’Américains. ”

Les modèles épidémiologiques ne sont pas la seule raison pour laquelle de nombreux pays dans le monde et de nombreux Etats d’Amérique ont adopté l’une ou l’autre forme de lockdown. Que la Chine, où a commencé l’épidémie, ait rapporté des chutes spectaculaires du taux de nouvelles infections après avoir appliqué une politique de ce type avec une ferveur jamais vue en est sans doute une autre. Comme les scènes atroces filmées dans les pays qui n’ont pas pu arrêter assez tôt la propagation du virus. Au 1er avril, l’Italie comptait près de quatre fois plus de décès que la Chine.

La dette publique italienne pourrait atteindre 160% du PIB à la fin de cette année – le genre de chiffre qui précède souvent des accès de panique sur les marchés obligataires.

La puissance des modèles réside dans leur capacité à capturer ce que l’on vient de voir dans un pays pour brosser un tableau quantitatif de ce que l’on pourrait y voir demain – ou dans des demains alternatifs. Ce faisant, ils démontrent à quel point la situation peut dégénérer tout en donnant une idée du répit que peuvent offrir certaines interventions. Face à des experts expliquant calmement, mais de manière solidement étayée, qu’un lockdown sauvera X centaines de milliers de vies, il est difficile à un leader politique de demander : ” Mais à quel prix ? “.

D’autant que quand les épidémiologistes répondent que cette question ne relève pas leur domaine de compétences, les économistes qui héritent de la patate chaude ne sont pas nécessairement beaucoup plus utiles. Les estimations du coût des interventions actuelles sont toutes terrifiantes, mais elles varient énormément. Une évaluation de qualité exigerait d’ailleurs de connaître l’efficacité des mesures, leur durée et la stratégie de sortie – les économistes retournant ainsi la question aux spécialistes en politique de santé publique.

Mais avec le temps, la question ” A quel prix ? ” sera à la fois de plus en plus facile à poser et de plus en plus difficile à esquiver. Un ” Nous n’avons pas le choix ” ne suffira plus ; l’accumulation des effets disruptifs des mesures de distanciation sociale et des lockdowns imposera des choix délicats, qui devront se justifier à la fois sur le plan économique et en termes de santé publique. Mais comment ?

Deux types de modèles

Il existe grosso modo deux grands types de modèles épidémiologiques. Les premiers cherchent à intégrer les mécanismes fondamentaux de propagation des maladies dans un ensemble d’équations interdépendantes. Dans la version classique de cette approche, tout individu est susceptible d’attraper la maladie, exposé, contagieux ou guéri. La taille de chaque groupe évolue avec la taille d’un ou de plusieurs autres groupes selon des règles strictement mathématiques. Dans les versions simples de tels modèles, la population est uniforme ; dans des versions plus élaborées comme celle de l’Imperial College de Londres (qui a influencé la politique menée en Grande-Bretagne et ailleurs), la population est segmentée selon l’âge, le genre, l’occupation, etc.

Coronavirus: les politiques confrontés à des choix difficiles... A quel modèle se vouer?

Les modèles du deuxième type ne prétendent pas identifier les dynamiques sous-jacentes. Ils sont plutôt basés sur ce qui est fondamentalement une forme sophistiquée de moyenne mobile : ils prédisent les événements de la semaine suivante (comme le nombre de nouvelles infections) principalement selon ce qui est arrivé cette semaine, un peu moins selon ce qui est arrivé la semaine dernière et encore un peu moins sur ce qui est arrivé les semaines précédentes. Cette approche est utilisée pour prévoir la propagation d’épidémies comme la grippe saisonnière, en utilisant des schémas déjà observés dans des épidémies antérieures pour prédire ce qui va arriver ensuite. Sur le court terme, ils peuvent se révéler assez efficaces et fournir des informations plus utiles que les modèles mécanistes. Sur le long terme, ils restent au mieux un work in progress.

Face au Covid-19, tous ces modèles sont cependant alimentés par des données insuffisantes. Les nombreuses incertitudes qui subsistent concernant la transmission de la maladie dans les différentes tranches d’âge et le degré de contagiosité d’un individu qui n’a pas encore montré de symptômes font qu’il est difficile de relier efficacement les différentes équations des modèles mécanistes. Et pour les modèles statistiques, on ne dispose pas des données d’épidémies précédentes qui font leur fiabilité et leur permettent d’avoir plusieurs longueurs d’avance sur la grippe.

Obéissance

Et cela pose plusieurs problèmes. Les Néerlandais ont commencé à étendre leurs capacités de soins sur la base de modèles qui, jusqu’au 19 mars, prévoyaient des séjours de 10 jours en soins intensifs. Face à la situation constatée dans les hôpitaux, les modélistes ont étendu leur hypothèse à 23 jours, et les autorités s’inquiètent dorénavant de manquer de lits. Une perspective préoccupante, mais il est préférable de le savoir à l’avance que de le découvrir la veille.

Si des données plus nombreuses améliorent les modèles, une autre possibilité consiste à permettre à tout le monde de regarder sous le capot. Les Néerlandais ont publié les détails des modèles qu’ils utilisent. La Nouvelle-Zélande le fait aussi. En plus d’autoriser la critique d’experts, c’est une manière précieuse de s’attirer la confiance du public.

A mesure que tous ces modèles gagnent en visibilité et sont sujets à des analyses plus en plus fines, les écarts entre les résultats qu’ils présentent paraissent de plus en plus béants. Une manière de traiter ces écarts consiste à réunir les résultats de plusieurs modèles différents, mais comparables. En Grande-Bretagne, le gouvernement a convoqué un comité d’experts en modélisation qui ont soumis plusieurs modèles de l’épidémie de Covid-19 à leur sagesse collective. La task force américaine sur les épidémies a récemment tenu une réunion d’experts en modélisation pour évaluer leurs résultats.

Une autre manière de combiner l’expertise présente consiste tout simplement à demander leur opinion aux praticiens. A l’Université du Massachusetts d’Amherst, Nicholas Reich et son collègue Thomas McAndrew ont établi un questionnaire pour interroger un panel d’experts, dont un grand nombre ont réalisé des modèles, sur la manière dont ils s’attendent à voir évoluer la pandémie. Le procédé peut paraître grossier par rapport aux équations différentielles et aux régressions statistiques, mais dans un certain sens, il est plus sophistiqué. Quand on leur a demandé sur quoi ils fondaient leurs réponses, les experts ont expliqué qu’ils se basaient pour un tiers sur les résultats de modèles spécifiques et pour deux tiers sur leur expérience et leur intuition. Ces enquêtes sont donc une manière de tenir compte des modèles sans s’y fier aveuglément, en exploitant les connaissances tacites de ceux qui les utilisent au quotidien.

Une autre manière de combiner l’expertise présente consiste tout simplement à demander leur opinion aux praticiens.

Dans les études menées sur l’évolution des grippes saisonnières, ces panels d’experts ont toujours produit de meilleures prévisions à quelques semaines que les modèles informatiques les plus sophistiqués. Certes, et comme leurs modèles, les experts n’ont malheureusement jamais affronté d’épidémie de Covid-19 avant, ce qui laisse planer au moins un léger doute sur la valeur de leur expérience. Mais il est intéressant de constater, face à l’engagement pris par Donald Trump de limiter les mesures de distanciation sociale à un seul mois supplémentaire, qu’ils n’attendent pas le pic de l’épidémie aux Etats-Unis avant mai.

Bien que les modèles utilisés diffèrent à plusieurs points de vue, les mesures prises sur leur base ont été relativement similaires jusqu’à présent dans le monde entier. Cela ne signifie pas que les politiques qui en résultent ont été sages ; la manière dont l’Inde a mis en oeuvre son lockdown semble surtout avoir exacerbé la menace déjà dévastatrice que pose le Covid-19 sur ce pays. Et il reste quelques originaux, comme les Pays-Bas et en particulier la Suède, où les politiques sont notablement moins strictes que dans les pays voisins.

Ceux qui ont tenté d’argumenter que de telles mesures pourraient coûter plus cher que l’option de laisser la maladie suivre son cours ont échoué à gagner l’adhésion du public. Et quand ils ont cherché des alliés dans la sphère académique, les défenseurs de ces idées se sont tournés non pas vers des épidémiologistes, mais vers des analystes et chercheurs actifs dans d’autres domaines.

Avril, le mois le plus cruel

L’argument en faveur d’un excès de zèle dans la lutte contre le Covid-19 va au-delà de la logique économique. Il se fonde sur une stratégie de survie plus primale – d’où la comparaison fréquente avec une guerre totale. Même quand il parlait de sauver des millions de vies, Donald Trump a dû prévenir les Etats-Unis que l’épidémie ferait 100.000 à 200.000 victimes – des estimations qui dépassent largement le nombre de soldats américains tombés au Vietnam. Il aurait été absolument impensable de poursuivre sur une trajectoire plus meurtrière.

De plus, un gouvernement qui tenterait de privilégier la santé de son économie par rapport à la santé de ses concitoyens serait sans doute en échec sur les deux fronts. Car même en l’absence de confinement obligatoire, de nombreuses personnes réduiraient le temps qu’elles passent en dehors de chez elles, pour travailler ou consommer, afin de limiter leur exposition au virus (en Corée du Sud, où l’épidémie semble plus ou moins sous contrôle, les cinémas restent vides alors qu’ils n’ont pas été fermés par le gouvernement). Cette attitude aurait également impacté la production : de nombreuses entreprises éprouveraient des difficultés à poursuivre leurs activités normales à mesure que leurs travailleurs tomberaient malades (comme c’est le cas dans les soins de santé aujourd’hui) ou préféreraient rester à l’écart (comme ce n’est pas le cas).

Face au Covid-19, les modèles épidémiologistes sont alimentés par des données insuffisantes.
Face au Covid-19, les modèles épidémiologistes sont alimentés par des données insuffisantes.© BELGAIMAGE

C’est une des raisons pour lesquelles, dans la phase la plus aiguë de l’épidémie, une comparaison des coûts et bénéfices est clairement favorable à l’action mise en oeuvre dans de nombreux pays. Certes, l’économie subit un énorme choc – mais ce serait également le cas en laissant libre cours à la maladie. De plus, sauver des vies n’est pas une bonne chose que pour les personnes concernées, leurs amis et leurs parents, leurs employeurs et la fierté nationale de leurs compatriotes. Cela apporte également des avantages économiques substantiels.

Michael Greenstone et Vishan Nigam, tous deux de l’Université de Chicago, ont étudié un modèle de l’épidémie de Covid-19 aux Etats-Unis prévoyant la mort de plus de 3 millions d’individus en l’absence de mesures gouvernementales. La mise en place d’une distanciation sociale minimale réduirait le nombre de victimes à 1,7 million. Même un bilan de plus d’un million et demi de décès serait tragique. Mais il apporterait toujours d’énormes avantages économiques. Des estimations de la valeur des vies sauvées ajustées selon l’âge, comme celle utilisée quand on évalue les bénéfices de réglementations environnementales, valorisent ces 1,7 million de personnes à environ 8 billions de dollars – près de 40% du PIB.

Ceux qui sont sceptiques face aux coûts des politiques actuelles font valoir qu’eux aussi veulent sauver des vies. Les modèles utilisés pour prévoir le PIB sur la base d’indicateurs précurseurs comme des enquêtes de sentiments, les demandes d’allocations de chômage et les démarrages de chantiers de construction ne sont pas mieux préparés au Covid-19 que les modèles épidémiologiques, et leurs conclusions doivent être prises avec la prudence nécessaire. Mais même si les prédictions de baisse de 30% du PIB annuel au premier semestre dans certaines économies durement touchées s’avéraient loin de la réalité, le ralentissement sera sans précédent.

La baisse d’activité économique entraînera des pertes de revenus et des faillites de sociétés et de ménages. Ce qui ne va pas seulement répandre la misère, mais aura également un impact sur la santé et provoquera des décès. Certains sceptiques face aux efforts d’atténuation de l’épidémie, comme George Loewenstein, un économiste de la Carnegie Mellon University à Pittsburgh, font une analogie avec les ” morts de désespoir ” – suicides et abus de drogues ou d’alcool – dans des régions et groupes démographiques qui ont déjà souffert d’un fort déclin économique ces dernières décennies.

La conviction générale qu’une augmentation du PIB est bonne pour la santé de la population – ce qui est vrai jusqu’à un point, mais pas systématiquement dans les pays riches – suggère en définitive qu’une contraction de l’activité économique aggravera les conséquences de la maladie. Et il y a de bonnes raisons de s’inquiéter à la fois des effets du lockdown sur la santé mentale et du risque qu’il provoque une augmentation des violences conjugales. Mais des recherches détaillées sur les effets de récessions sur la santé suggèrent qu’ils ne sont pas aussi négatifs qu’on pourrait le penser, en particulier en termes de décès. Aussi contrintuitif que cela puisse paraître, les recherches économiques suggèrent que la mortalité est procyclique : elle augmente en périodes de croissance économique et baisse en période de récession.

Pertes et profits

Une étude de l’activité économique et de la mortalité en Europe entre 1970 et 2007 a ainsi montré qu’une hausse de 1% du chômage allait de pair avec une augmentation de 0,79% des suicides parmi les moins de 65 ans et une augmentation comparable des morts par homicides, mais aussi avec une baisse du nombre de victimes d’accidents de la circulation de 1,30% et ne coïncidait plus fondamentalement avec aucune variation de la mortalité, toutes causes confondues. Une étude publiée en 2000 par Christopher Ruhm, aujourd’hui à l’Université de Virginie, a conclu qu’aux Etats-Unis, une hausse de 1% du chômage s’accompagnait d’une augmentation de 1,3% des suicides, mais d’une baisse des morts de maladies cardiovasculaires de 2,5%, des victimes de la route de 3,0%, et des morts pour toutes les causes de 0,5%.

Donald Trump a prévenu l'épidémie ferait 100.000 à 200.000 victimes aux Etats-Unis, un chiffre supérieur au nombre de soldats américains tombés au Vietnam.
Donald Trump a prévenu l’épidémie ferait 100.000 à 200.000 victimes aux Etats-Unis, un chiffre supérieur au nombre de soldats américains tombés au Vietnam.© BELGAIMAGE

Plan de sortie

Une fois les restrictions assouplies, il ne s’agira pas simplement de ” déclarer victoire et rentrer chez soi “, la stratégie de sortie de la guerre du Vietnam jadis défendue par le sénateur Richard Russell. Selon une des prédictions fondamentales des modèles mécanistes, une sortie définitive d’une épidémie implique que plus aucune fraction de la population ne soit susceptible d’attraper la maladie. Un vaccin peut apporter une telle solution. Mais freiner la propagation de la maladie comme le font les mesures de distanciation sociale laisse la population susceptible d’en souffrir aussi vulnérable qu’avant la levée des restrictions.

Cela ne signifie pas que des pays doivent maintenir le lockdown jusqu’à ce qu’on dispose d’un vaccin. Mais que tout relâchement des contraintes doit s’inscrire dans un plan. Un tel plan devra au moins inclure un relâchement graduel de la pression – et pas d’un coup – et la mise en place d’un programme d’identification aussi rapide que possible des nouveaux cas et des individus qui ont été en contact avec eux. Les méthodes de traçage adoptées dépendront en partie de la capacité des pays à réduire la propagation du virus au sein de la population avant leur mise en oeuvre et de leur capacité ou de leur volonté à revenir sur les principes de respect de la vie privée des citoyens. La manière dont les contraintes seront relâchées dépendra donc, dans une certaine mesure, de modélisations.

Les ” lockdowns ” se sont largement propagés par émulation ; leur levée pourrait par conséquent suivre un processus similaire.

Au National Institute of Health américain, Cécile Viboud affirme qu’à condition de les affiner suffisamment, les modèles mécanistes peuvent aider à comprendre l’efficacité des différentes mesures de distanciation sociale. Ils pourraient ainsi fournir des informations précieuses aux gouvernements qui étudient l’opportunité de relâcher ou au contraire de durcir certaines restrictions. La comparaison des résultats obtenus par des pays qui suivent des stratégies différentes pourrait également être utile. David Spiegelhalter, statisticien allemand de l’Université de Cambridge, affirme que les différences entre la Norvège, qui se conforme aux lockdowns vus dans la plupart du reste de l’Europe, et la Suède, qui ne le fait pas, constituent un ” échantillon fantastique ” pour les différents modèles.

Mais le fait qu’il soit possible de construire de modèles à partir d’informations comme le temps qu’un type particulier d’individu passe au café ne signifie pas nécessairement que les modèles offriront une meilleure représentation du monde. Pour que ce qu’ils affirment sur de tels sujets soit fiable, les nouveaux paramètres sur la fréquentation des cafés et autres doivent être calibrés face au monde réel ; et plus les paramètres en jeu sont nombreux, plus la tâche est complexe. Les individus peuvent modifier tant de comportements en réaction à l’imposition ou la levée de restrictions que les incertitudes vont exploser avec le temps, affirme Nicholas Reich.

Le moteur humain attend

Certains y verront une raison d’intensifier le calibrage et d’apporter d’autres améliorations. D’autres pourraient y voir une raison d’éviter aussi longtemps que possible les risques associés au fait de laisser libre cours au virus. Un prolongement des restrictions devrait laisser au gouvernement davantage de temps pour tester la population et tracer les contacts. S’il provoque la faillite de nombreuses sociétés, il donnera à d’autres le temps de trouver des palliatifs et de nouvelles formes d’automatisations qui rendront les restrictions moins coûteuses avec le temps.

Les avocats d’un maintien sous contrôle aussi long que possible peuvent pointer un nouvel article de Sergio Correia, du Federal Reserve Board, Stephan Luck, de la Federal Reserve Bank de New York, et Emil Verner, du MIT, qui ont analysé ville par ville les effets de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 sur le sol américain. Ils ont découvert que les villes qui ont maintenu leurs mesures plus longtemps et déployé davantage d’efforts pour freiner l’épidémie ont enregistré de meilleures performances économiques par la suite. Une nouvelle analyse de deux économistes de l’Université du Wyoming suggère qu’il ne devrait pas en être autrement aujourd’hui.

Mais la grippe espagnole tuait des travailleurs en pleine force de l’âge, et l’industrie des services qui dominent l’économie moderne pourrait ne pas réagir comme les industries manufacturières d’il y a un siècle. De plus, la pression en faveur d’une relance de l’économie pourrait s’avérer irrésistible à certains endroits. Selon la banque Goldman Sachs, la dette publique italienne pourrait atteindre 160% du PIB à la fin de cette année – le genre de chiffre qui précède souvent des accès de panique sur les marchés obligataires. La zone euro pourrait prévenir une telle crise en transformant la dette italienne en obligations partagées par tous ses membres – ce que la Banque centrale européenne fait déjà dans une certaine mesure en achetant des obligations italiennes. Mais la résistance de l’Allemagne et des Pays-Bas limite toute avancée dans cette direction. On pourrait en arriver à un point où l’Italie se sentirait contrainte de relâcher ses restrictions pour respecter un programme imposé par un ou plusieurs autres pays, plutôt que de quitter l’euro.

A terme, l'Italie pourrait se sentir contrainte de relâcher ses restrictions pour respecter un programme économique imposé par un ou plusieurs pays européens.
A terme, l’Italie pourrait se sentir contrainte de relâcher ses restrictions pour respecter un programme économique imposé par un ou plusieurs pays européens.© BELGAIMAGE

Autre motif d’inquiétude : plus la paralysie de l’économie dure longtemps, plus elle occasionnera de dommages structurels à long terme. Après de longues périodes de chômage, les travailleurs pourraient avoir l’impression que leurs compétences s’érodent et que leurs connexions avec le monde du travail s’affaiblissent. Ils se sentiront moins aptes à rentrer dans le monde du travail et à trouver un emploi de qualité une fois la récession terminée. Les travailleurs plus âgés pourraient être moins enclins à déménager ou à suivre à nouveau des formations, et plus disposés à opter pour une retraite anticipée. Un tel processus de ” cicatrisation ” pourrait faire des pertes économiques provoquées par les restrictions plus qu’une simple coupure : elles s’apparenteraient plutôt à de profondes brûlures lentes à guérir. Cela étant dit, des programmes de retours sur le marché de l’emploi pourraient également accélérer la cicatrisation.

En fin de compte et quelles que soient leurs vertus soulignées par les visions apocalyptiques des modélisateurs, les lockdowns se sont largement propagés par émulation ; leur levée pourrait par conséquent suivre un processus similaire. Si un pays voit son économie repartir de l’avant tout en parvenant à garder sous contrôle le taux d’infection de la population toujours susceptible de contracter la maladie, soyez sûr que son exemple sera rapidement suivi.

Par The Economist.

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