Campagne de promotion, nouveaux projets culturels… Bruxelles en mode séduction

Le Brussels Summer Festival (BSF), un événement musical qui se révèle être une magnifique opération de marketing pour la ville dans la langueur de l'été. © BELGAIMAGE

Meurtrie par les attentats, raillée pour son piétonnier, Bruxelles veut revenir à l’avant-plan de la scène touristique mondiale avec une offre culturelle dynamisée. Récit d’une renaissance programmée, quitte à fâcher quelques acteurs clés.

Des accumulations de slogans positifs et de visuels sympathiques sont à prévoir dans les prochaines semaines. Coup sur coup, deux campagnes de promotion destinées à redorer l’image de la Belgique et de sa capitale vont, en effet, fleurir sur les murs des villes et le Web planétaire, histoire d’enterrer définitivement le trauma causé par les attentats du 22 mars 2016. La première opération de séduction sera lancée par le gouvernement fédéral le 18 avril et jouera la carte de l’autodérision finement dosée sous la houlette de l’agence de pub Ogilvy & Social Lab. Bizarrement, le budget de cette campagne internationale – 4 millions d’euros – est exactement le même que l’enveloppe prévue pour cette autre action belge programmée à partir du 2 mai et qui, cette fois, mettra uniquement la Région de Bruxelles-Capitale à l’honneur. Là aussi, le slogan est gardé ” top secret “, mais il est d’ores et déjà acquis que c’est une image multiculturelle de la ville qui sera privilégiée par l’agence de pub Wunderman.

Deux campagnes activées – l’une pour la Belgique, l’autre pour Bruxelles – en l’espace de deux semaines à peine, n’est-ce pas frôler l’indigestion et annihiler, au passage, les effets souhaités ? ” Pas du tout, rétorque Patrick Bontinck, directeur général de Visit Brussels, l’office de promotion du tourisme de la Région bruxelloise. En termes de marketing, il est toujours bon de retaper sur le même clou et je trouve au contraire intéressant de pouvoir bénéficier d’une campagne plus vaste sur la Belgique avant de recentrer le propos sur Bruxelles proprement dit. ” Enthousiaste, Patrick Bontinck n’en reste pas moins discret sur la thématique qui sera révélée dans un peu moins d’un mois. ” Je ne peux rien vous dévoiler, regrette-t-il, mais il est clair que l’idée est de faire venir ou revenir les gens à Bruxelles un an après les attentats. Notre ville est non seulement la capitale de l’Europe, mais elle est aussi devenue la deuxième ville la plus cosmopolite au monde. Aujourd’hui, 183 nationalités vivent ensemble à Bruxelles et c’est précisément cette diversité culturelle qu’il faut assumer et qu’il faut promouvoir. ”

Philippe Close
Philippe Close© pg

Echevin du Tourisme à la Ville de Bruxelles, Philippe Close ne tient pas un autre discours. ” Pendant de longues années, nous n’avons pas accepté notre statut de capitale de l’Europe, observe le mandataire socialiste, à cause d’une certaine ‘bruxellisation’ (des bouleversements urbanistiques causés par la construction du quartier européen, Ndlr). Pourtant, cette réalité est bien là aujourd’hui : Bruxelles est devenue la capitale de 500 millions d’Européens. C’est notre baseline et nous devons en être fiers. Il faut être un peu stoefer comme on dit à Bruxelles, car notre ville est devenue un centre de décision. Il y a le siège des institutions européennes, l’Otan, mais aussi un millier de correspondants de presse et plus de 15.000 lobbyistes. Aujourd’hui, Bruxelles est la deuxième ville de congrès au monde après Singapour et notre volonté est de faire du tourisme un élément structurant, qu’il s’agisse du tourisme de loisirs ou du tourisme d’affaires. ”

Redevenir le “nouveau Berlin”

Le décor est planté. Pour Philippe Close, cette nouvelle industrie touristique doit placer ” la capitale de 500 millions d’Européens dans la Champions League des grandes villes du monde ” (sic). Quelques mois avant les attentats de Bruxelles, le quotidien américain The New York Times avait d’ailleurs qualifié Bruxelles de ” nouveau Berlin ” sur la scène européenne, épinglant ainsi ” les artistes, les architectes et les stylistes qui ont posé leurs valises en nombre dans la capitale belge pour prendre racine dans les galeries d’art, les concept stores et les boutiques d’hôtels “. Mais le Brussels lockdown et les attaques terroristes du 22 mars 2016 ont rapidement étouffé les espoirs de séjours supplémentaires.

” En règle générale, l’activité du secteur horeca a baissé de 25 % à cause des attentats, rappelle l’échevin du Tourisme, mais aujourd’hui, les affaires ont repris de manière spectaculaire et la capitale doit retrouver sa place de ‘nouveau Berlin’ sur la carte du monde. Dans cette logique, l’offre culturelle de Bruxelles se doit aussi d’être boostée. ”

Elargir l’éventail

Il y a une dizaine d’années, la capitale du petit royaume de Belgique avait remporté le titre peu enviable de ” ville la plus ennuyante du continent européen ” décerné par les 1.400 participants à une enquête menée par le site de voyages américain TripAdvisor. Piqué au vif, Philippe Close avait alors déployé un plan d’attaque visant à transformer, dit-il, le ” boring ” (l’ennuyant) en ” making ” (les activités). Petit à petit, Bruxelles s’est donc animée en multipliant les rassemblements festifs et inédits comme, par exemple, Bruxelles-les-Bains et Plaisirs d’Hiver, mais aussi en lançant de nouveaux rendez-vous culturels comme le Brussels Summer Festival (BSF), un événement musical au coeur de la ville et que Philippe Close présente volontiers comme ” son bébé “. Un bébé dont le budget flirte avec les 2,4 millions d’euros et qui n’est pas rentable, certes, mais qui se révèle être une magnifique opération de marketing pour la ville dans la langueur de l’été.

Bruxelles est devenue la capitale de 500 millions d’Européens. C’est notre ‘baseline’ et nous devons en être fiers.” – Philippe Close, échevin du Tourisme à la Ville de Bruxelles.

Dans les faits, le BSF est géré par Brussels Expo, un groupe qui préside à l’organisation de foires et de salons sur le plateau du Heysel, mais qui est aussi actif dans le milieu des concerts puisque son ASBL gère des salles de spectacles comme la Madeleine ou l’immense Palais 12 dans la capitale.

Ces derniers mois, l’ASBL Brussels Expo a été mise sous les feux des projecteurs en récupérant le Cirque Royal dans son portefeuille, au nez et à la barbe du Botanique qui gérait cette salle mythique, en plus de ses propres murs, depuis 1999. Propriétaire du Cirque, la Ville de Bruxelles a en effet mis fin, l’année dernière, à cette convention de concession pour confier l’exploitation de la salle à Brussels Expo. Si, dans le milieu culturel, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer un ” conflit d’intérêts ” – Philippe Close est membre du collège des bourgmestre et échevins qui a pris cette décision, mais aussi président de l’ASBL Brussels Expo – l’intéressé préfère, quant à lui, parler de cohérence au niveau stratégique. Le Cirque, rappelle-t-il, appartient à la Ville et, dans sa politique culturelle, l’objectif est de proposer justement une offre diversifiée. Entre la petite salle de la Madeleine (de 600 places assises à 1.000 places debout) et le grand Palais 12 (jusqu’à 15.000 places), le Cirque Royal représente un beau compromis pour les spectacles de capacité moyenne (entre 2.000 et 3.000 places selon la configuration). De quoi faire gonfler un peu plus le chiffre d’affaires annuel de Brussels Expo qui flirte aujourd’hui avec les 50 millions d’euros et de peser davantage dans le paysage économique de la capitale…

Rififi en coulisses

Directeur artistique du Botanique, Paul-Henri Wauters ne dissimule pas son courroux, estimant qu’on lui a rogné les ailes et que la Ville de Bruxelles faillit surtout à ses missions essentielles. ” Le Cirque Royal était le complément idéal du Botanique qui nous permettait de suivre au mieux les artistes, explique Paul-Henri Wauters. Ici, on nous réduit la piste de décollage et nous revenons 18 ans en arrière. La Ville de Bruxelles a mieux à faire que de se substituer à des acteurs culturels. Elle peut commencer par s’occuper des vrais problèmes comme la mobilité et la propreté des rues. La Ville doit être un régulateur d’activités sociales et culturelles. Or, elle devient maintenant un opérateur avec un business plan. Lorsque l’on voit la programmation à la Madeleine et au Palais 12, je crains vraiment pour l’avenir du Cirque Royal. Personnellement, nous avons une approche de la culture en résistance par rapport aux groupes dominants. Nous programmons des concerts à risque et je ne pense pas que Brussels Expo va aller dans cette voie. La culture et le tourisme, ce n’est pas la même chose. Ce sont deux métiers différents. ”

C’est sur ce point, précisément, que les deux hommes ne seront jamais d’accord. Pour Philippe Close, les deux mondes doivent s’interpénétrer et l’offre culturelle doit donc être complètement intégrée à l’offre touristique. Voilà pourquoi ” la Ville de Bruxelles souhaite faire du Cirque Royal non seulement un lieu culturel d’importance mais également une destination touristique et d’affaires à part entière “, dixit le collège des bourgmestre et échevins.

” La multidisciplinarité des salles est fondamentale, renchérit Philippe Close. A la Madeleine, on a accueilli le mois dernier, à quelques jours d’intervalle, le rappeur Vald et le candidat à la présidentielle française Benoît Hamon pour son meeting en Belgique. Cela fait partie d’une nouvelle dynamique que l’on met en place à Bruxelles dans le secteur des événements et des séminaires. Voilà pourquoi je défends aussi ardemment le projet Néo au Heysel qui prévoit plus de 100 millions d’investissement dans un tout nouveau centre de congrès. ” A Bruxelles, la dépense moyenne d’un touriste ” classique ” est de 150 euros par jour, tandis que celle d’un homme d’affaires étranger en Belgique gravite autour des 400 euros. CQFD.

Marier le culturel à l’économique

Pour l’échevin du Tourisme à la Ville de Bruxelles, plus il y aura de salles de spectacles et de séminaires dans son offre, mieux ” la capitale de 500 millions d’Européens ” se portera. Et Philippe Close de citer en vrac d’autres projets culturels en cours de développement comme Le Musée du Chat et du dessin d’humour cornaqué par Philippe Geluck et surtout le nouveau ” Musée Citroën ” d’art contemporain qui devraient tous deux ouvrir leurs portes en 2020. ” Je suis convaincu qu’il y a encore beaucoup de choses à faire à Bruxelles, conclut l’homme politique. Pourquoi la Ville ne pourrait-elle pas d’ailleurs s’investir davantage dans la coproduction de spectacles ? Avec le système du tax shelter élargi désormais aux arts de la scène, on pourrait très bien imaginer que les pouvoirs publics mettent en place des partenariats pour créer des spectacles à Bruxelles et, pourquoi pas, les exporter. On doit prendre aujourd’hui le même virage qu’avec le cinéma et développer un pôle de création pour la scène dans la capitale. ”

Mixer les dimensions culturelles et économiques reste visiblement l’obsession phare de Philippe Close pour dynamiser sa ville. Ainsi pour la 35e édition du BIFFF, le Festival du Film Fantastique de Bruxelles qui vient de débuter à Bozar, les organisateurs ont lancé cette année le ” Brussels International Film Market “, le premier marché européen exclusivement dédié au genre fantastique dans l’industrie audiovisuelle et qui se tiendra du 13 au 15 avril prochain.

L’objectif ? Donner une dimension économique supplémentaire à un événement cinématographique qui draine les foules (60.000 entrées payantes en 10 jours de festival), histoire de faire rayonner Bruxelles encore et encore…

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