Au Maroc, un boycott économique fragilise le gouvernement

"Le boycott est en train d'achever une coalition gouvernementale née faible", constate le politologue Ahmed El Bouz. © AFP

Affaiblissement de la majorité, effritement des principaux acteurs politiques, démission d’un ministre… Au Maroc, une mystérieuse campagne de boycott contre la “cherté de la vie” menace le fragile équilibre d’un gouvernement aux marges de manoeuvres limitées.

“Triste fin” d’un gouvernement “frappé par un séisme”, commentaient vendredi les principaux journaux du pays, pour qui les jours de la coalition dirigée par le Parti justice et développement (islamiste, PJD) sont comptés.

“Le boycott est en train d’achever une coalition gouvernementale née faible”, constate le politologue Ahmed El Bouz.

Lancée il y a six semaines sur les réseaux sociaux de manière anonyme, cette campagne visant les stations-service Afriquia, l’eau minérale Sidi Ali et le lait Danone, accusés de positions hégémoniques, a remporté une large adhésion.

La filiale marocaine de Danone a averti cette semaine que son chiffre d’affaires baisserait de 20% au premier semestre.

Le boycott touche directement les intérêts du ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch et président d’un des plus importants partis de la coalition, le Rassemblement national des indépendants (RNI), son groupe Afriquia étant une des cibles.

Après avoir menacé les initiateurs du mouvement de poursuites, le gouvernement a multiplié les mises en garde contre les effets négatifs du boycott sur l’économie nationale. En vain.

– “Grands perdants” –

Lahcen Daoudi, une figure du parti islamiste et ministre des Affaires générales, a même pris part à un sit-in des salariés de Danone qui manifestaient pour exprimer leur crainte de perdre leur emploi.

Mais sa présence a suscité un tollé, de nombreux Marocains adhérant au boycott estimant qu’il défendait les intérêts d’une entreprise au détriment de celui des consommateurs. Désavoué également par des cadres de son parti pour cette “sortie inappropriée”, M. Daoudi a démissionné mercredi.

Il n’est pas le seul perdant: tous les ministres issus du PJD sont désormais “perçus comme les défenseurs d’une caste économique qui ne porte plus la voix des électeurs”, décrypte le chroniqueur politique Abdellah Tourabi.

Cantonné durant des années à l’opposition, le PJD a accédé au gouvernement à la faveur de sa victoire aux législatives de 2011. Malgré un nouveau succès en 2016, il est sorti affaibli par la mise à l’écart de son chef Abdelilah Benkirane, qui a échoué à former une majorité.

Son remplacement par Saad Eddine El Othmani, réputé homme de consensus, les concessions faites par ce dernier, et la désignation d’une équipe faisant la part belle aux hommes de confiances du Palais royal, ont divisé les rangs de la formation islamiste.

“El Othmani est arrivé après une succession de crises (…), son autorité est fragilisée par le boycott”, souligne M. Tourabi.

Outre les islamistes du PJD, le patron du RNI et ministre de l’Agriculture voit aussi son influence érodée. Après le scrutin de 2016, il avait constitué autour de lui une alliance de petits partis lui permettant de tenir tête à Abdelilah Benkirane, participant à sa chute politique.

Décrit par des médias marocains comme proche du Palais royal, il était même considéré comme un sérieux prétendant au poste de chef du gouvernement.

– Redistribuer les cartes –

Il apparaissait comme le nouveau contrepoids aux islamistes, un rôle jusque-là dévolu au Parti authenticité et modernité (PAM), une formation libérale fondée en 2008 par un proche conseiller du roi du Maroc mais qui avait échoué à battre le PJD en 2016.

“Il y a quelques semaines, le RNI d’Akhannouch se préparait à devenir une alternative au PJD, ce n’est plus à l’ordre du jour”, constate Ahmed El Bouz. “Son image a été écornée”, abonde M. Tourabi.

Le PAM justement, devenu le principal parti d’opposition, tente de surfer sur la vague du boycott.

Mais “dans l’état actuel des choses il n’y a aucun parti capable d’émerger. Ce qui va arriver, c’est une méfiance de plus en plus forte vis-à-vis des partis et des institutions politiques”, soutient M. Tourabi.

Traditionnellement au Maroc, les lignes idéologiques comptent peu ou pas dans la formation des coalitions, qui travaillent sous la tutelle du roi Mohammed VI. Chef d’Etat au-dessus des partis, il garde la haute main sur les secteurs stratégiques et trace les grandes orientations.

Le gouvernement, qui adapte son action au gré des discours royaux, “a une marge de manoeuvre réduite au vu de ses prérogatives limitées, du poids de la monarchie et de son manque d’audace”, dit Ahmed El Bouz.

Des observateurs estiment que le boycott, comme les mouvements de protestation qui ont agité l’an passé le Maroc, interroge sur la capacité qu’ont des acteurs politiques peu autonomes à gérer des crises.

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