Au Canada, les petites sirènes du populisme

Manifestation contre le pacte des Nations unies sur les migrations, à Ottawa, le 8 décembre 2018. © belga image

Galvanisés par les succès rencontrés ailleurs dans le monde, les populistes canadiens donneront de la voix en cette année électorale.

Plusieurs raisons permettent d’expliquer pourquoi le Canada a été relativement épargné par la montée du populisme et la polarisation qui touchent son plus proche voisin, les Etats-Unis. Grâce au multipartisme, les électeurs canadiens peuvent choisir parmi plusieurs partis représentant diverses tendances politiques. Ainsi, contrairement aux Américains, leur choix ne se limite pas à deux camps opposés. Les populistes peuvent moins facilement exploiter les thèmes délicats de l’immigration et du commerce dans un pays où les politiques concernées jouissent du soutien d’une majorité de la population. Le filet de sécurité dont bénéficient ceux qui perdent leur emploi à cause du commerce ou de la technologie est plus généreux au Canada. Le pays n’a pas été aussi loin que les Etats-Unis dans la transition vers un système de workfare (dans lequel on exige une forme de travail productif en échange des prestations d’aide sociale). Et les Canadiens sont généralement plus satisfaits de la vie qu’ils mènent, ce qui les rend moins sensibles aux sirènes du populisme.

La résistance des Canadiens à l’attrait des discours populistes sera cependant mise à l’épreuve en 2019, notamment dans le cadre de la campagne qui précédera l’élection générale du mois d’octobre. Les conservateurs, tant au niveau fédéral que provincial, s’essaient déjà à utiliser des messages populistes, certains empruntés à Donald Trump, pour courtiser les électeurs qui n’adhèrent pas au courant dominant.

Petit doigt en l’air

En juin 2018, les progressistes-conservateurs de Doug Ford ont remporté l’élection en Ontario, la province la plus peuplée du Canada, après avoir promis de s’en prendre à ceux qui ” boivent du champagne en levant le petit doigt en l’air ” et méprisent les gens ordinaires. Jason Kenney, le chef du Parti conservateur uni en Alberta, une province qui abrite de vastes ressources énergétiques, montre du doigt ” ces gens qui se croient intelligents ” et les élites médiatiques qui ne sont pas d’accord avec son point de vue sur le changement climatique. Andrew Scheer, le chef conservateur fédéral, a décrit la taxe fédérale sur le carbone qui doit entrer en vigueur le 1er janvier de ” combine fiscale ” mise en place par des élites qui se préoccupent peu de son impact sur les citoyens ordinaires. Justin Trudeau, le Premier ministre libéral, dit que ses opposants ont été enhardis par le succès rencontré par les campagnes populistes ailleurs dans le monde et que la campagne électorale de 2019 sera un combat contre la polarisation politique au Canada.

Les conservateurs, qui évitaient auparavant de trop s’écarter du consensus, parlent aujourd’hui de “crise” pour décrire l’afflux de demandeurs d’asile.

La dernière année du mandat de quatre ans de Justin Trudeau s’annonçait déjà mouvementée. Le double objectif du gouvernement fédéral de développer les ressources énergétiques canadiennes tout en luttant contre le changement climatique semble de moins en moins réaliste. Le Premier ministre aura sans doute de la difficulté à mettre en oeuvre son plan de lutte contre le réchauffement climatique, qui prévoit notamment l’imposition d’une taxe carbone dans les provinces qui n’ont pas d’équivalent, surtout maintenant que Doug Ford a annoncé sa décision de sortir l’Ontario du ” marché du carbone ” (il vise à limiter les émissions polluantes de certains secteurs industriels. Si les entreprises dépassent ces plafonds, elles doivent acheter des droits à d’autres entreprises qui ont respecté les limites).

Depuis janvier 2017, près de 35.000 personnes ont traversé la frontière américaine pour demander l’asile, faisant subitement de l’immigration un sujet controversé. Le gouvernement compte en effet sur le soutien du public pour accueillir les plus de 300.000 immigrés qui sont admis chaque année dans le pays. Les conservateurs, qui évitaient auparavant de trop s’écarter du consensus, parlent aujourd’hui de ” crise ” pour décrire l’afflux de demandeurs d’asile. On peut supposer qu’ils sont prêts à aller encore plus loin dans cette direction pour décourager leurs partisans de se tourner vers le nouveau Parti populaire du Canada, fondé en septembre par Maxime Bernier. M. Bernier, qui est arrivé deuxième derrière M. Scheer dans la course à la chefferie de 2017, s’oppose à ce qu’il décrit comme le ” culte de la diversité ” du Premier ministre libéral et croit que son ” multiculturalisme extrême ” constitue une menace.

Avantage au centre

La victoire écrasante de la Coalition avenir Québec (CAQ), un parti de droite, à l’élection provinciale du 1er octobre suggère qu’une part relativement importante de la population est en faveur d’une ligne plus dure sur l’immigration. La CAQ souhaite en effet réduire de 20 % le nombre d’immigrés admis dans la province francophone et expulser ceux qui échoueront aux tests de français et de valeurs qu’elle prévoit de mettre en place. Les voix populistes se feront donc de plus en plus fortes à l’approche du scrutin d’octobre 2019. Malgré tout, les libéraux de M. Trudeau bénéficient d’un avantage important : comme la plupart des Canadiens, le parti occupe le centre de l’échiquier politique. Ceux qui se situent en marge peuvent sans doute être convaincus d’abandonner leur position, mais ils sont aussi prêts à rester là où ils sont. Le Premier ministre, dont le parti alterne avec les conservateurs en tête des sondages, a ainsi de bonnes chances de remporter l’élection. A condition que le centre tienne bon.

Par Madelaine Drohan.

300.000 immigrés

sont admis chaque année dans le pays.

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