Après le Brexit et Trump, quel avenir pour l’euro ?

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L’euro doit se réinventer, mais comment ? Pour le savoir, nous avons rencontré l’ancien président du Conseil européen Herman Van Rompuy et l’économiste Bruno Colmant.

Le 25 mars 1957, six pays s’unissaient pour donner naissance au projet européen. L’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas signaient à Rome le traité créant la Communauté économique européenne (CEE). Soixante ans plus tard, l’Europe est en crise. Le Brexit est enclenché, on reparle de la dette grecque, les banques italiennes sont toujours sur la sellette, etc. Comment en est-on arrivé là ? Que faire pour renforcer la zone euro ? Pour le savoir, nous avons rencontré Bruno Colmant, à l’occasion de la sortie de son dernier livre L’euro : une utopie trahie ? (éditions Renaissance du Livre). Un dernier opus préfacé par l’ancien président du Conseil européen Herman Van Rompuy en personne, qui nous livre également sa vision quant au futur de l’euro.

Herman Van Rompuy et Bruno Colmant
Herman Van Rompuy et Bruno Colmant© DANN

1. Pas d’éclatement

Malgré les trous dans la construction, Bruno Colmant ne voit pas la zone euro exploser, contrairement au prix Nobel d’Economie Joseph Stiglitz. ” Ceux qui disent que la monnaie unique va se fracturer en deux ou trois euros n’ont rien compris, estime-t-il. L’euro va subsister, il est résilient et il l’a d’ailleurs démontré. ”

Tout comme l’économiste de Degroof Petercam, Herman Van Rompuy pense que l’euro ne disparaîtra pas, mais le ” combat continue “, dit-il. Une union monétaire n’est jamais optimale. ” Même au sein des Etats-Unis, il y a de très grandes divergences entre régions. Pour certaines, le dollar est trop fort. Pour d’autres, il est trop faible. C’est le cas aussi dans la zone euro. On retrouve ce genre de tensions dans toute union monétaire. Tout dépend du degré de divergence et de convergence, mais la zone euro connaît une stabilité remarquable depuis quatre ans. Contrairement à certains qui avaient dit en 2012 que l’euro ne passerait pas Noël, nous avons passé de façon très agréable Noël en 2016 et l’euro est toujours là. ”

2. Des différences génétiques

Il n’y a qu’un seul pays où les populistes sont au pouvoir, c’est aux Etats-Unis. Un pays où l’euro n’existe pas.” Herman Van Rompuy

Les deux hommes partagent le même diagnostic historique pour expliquer les difficultés actuelles de la monnaie unique. En fait, ” l’euro n’a pas la même signification dans tous les pays de l’Union, explique Bruno Colmant, parlant de réalités génétiques très différentes. Dans les pays germains-protestants du Nord, la monnaie doit s’apprécier de manière systématique par le travail, tandis que dans les pays latins-catholiques du Sud la monnaie a toujours été considérée comme étant subordonnée aux assemblages sociaux. C’est la vieille trame de l’église catholique qui considère qu’il ne peut pas y avoir de bonheur dans l’enrichissement et que la monnaie doit être disqualifiée au profit de la vie future. C’est un euro faible qui se déprécie pour le travail face à un euro fort qui s’apprécie par le travail. L’euro, qui n’est pas une monnaie spontanée, porte en lui cette contradiction avec des rapports de force qui découlent de cette opposition. ”

A cet égard, Herman Van Rompuy rappelle que la création de l’euro est d’abord née de l’idée de réintégrer l’Allemagne réunifiée dans une Europe plus unifiée. ” Si les Allemands ont finalement marqué leur accord sur le lancement de l’euro, malgré des convergences économiques insuffisantes, c’est parce qu’il y avait un fait politique. C’est le paradoxe de l’histoire. ” De fait, ” les Allemands ont dû payer une dernière fois la Seconde Guerre mondiale, renchérit Bruno Colmant. Avec l’euro, ils ont retrouvé leur souveraineté territoriale mais ils ont perdu leur souveraineté monétaire. ”

3. Un euro de rentiers

Un autre paradoxe pour Bruno Colmant est que l’euro a été fabriqué au motif qu’il assurerait la paix en Europe. ” Mais une population vieillissante ne fait pas la guerre. Ce vieillissement de la population européenne, qui nie donc l’argument du maintien de la paix et ralentit naturellement l’activité économique, est aussi un facteur accablant pour l’euro. Une population vieillissante voit l’inflation d’un mauvais oeil au motif qu’elle veut pouvoir vivre de son épargne et donc ne pas voir son pouvoir d’achat s’éroder à cause de la hausse des prix. Cette vision allemande de la non-dépréciation de la monnaie est entrée en résonance avec le cadre vieillissant de la communauté européenne. Cela a conduit à ne pas vouloir accepter le constat de déflation entre 2012 et 2015. Bref, si un jour on veut repenser l’euro, il faudra opérer un basculement idéologique : une monnaie ne doit pas avoir comme seule priorité de protéger le capital mais aussi une fonction de stimulation économique. On doit pouvoir admettre que la monnaie se déprécie de plus de 2 % par an. ”

4. Les Allemands

Pour Herman Van Rompuy, il ne faut toutefois pas exagérer l’influence de Berlin dans la politique européenne. ” On dit souvent que l’Allemagne domine l’agenda économique et monétaire, mais quand on lit la presse allemande, on n’a pas vraiment l’impression que l’Allemagne domine la BCE. C’est un understatement (sourire). Il y a une forte opposition en Allemagne contre la politique accommodante de la BCE qui va à l’encontre de l’intérêt des rentiers. Le gouverneur de la Banque centrale allemande est systématiquement mis en minorité. Bien sûr pour des questions d’orthodoxie, mais aussi pour des raisons électorales. L’Allemagne n’est pas très heureuse non plus de la flexibilité dont fait preuve la Commission dans l’évaluation des politiques budgétaires de certains pays. Enfin, la majorité des Allemands, mais pas Angela Merkel, étaient favorables à la sortie de la Grèce de la zone euro. Mais dans ces trois domaines, ce n’est pas la thèse allemande qui l’a emporté. ”

5. La gestion de la crise

Si Herman Van Rompuy estime que l’austérité fut nécessaire face à la pression des marchés financiers, Bruno Colmant se montre par contre très critique à ce propos. Il regrette en effet que la BCE ait attendu jusqu’en 2015 pour mettre en place sa politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE) alors que la Réserve fédérale américaine a réagi beaucoup plus rapidement pour relancer la machine. ” Entre 2012 et 2015, il y a eu un déni de déflation. Pendant trois ans, on n’a pas pris sérieusement en compte cette réalité, et aujourd’hui on en paie le prix avec des taux d’intérêt qui sont une punition pour avoir pris trop tard cette décision d’assouplissement quantitatif et qui abîme maintenant le capital. En fin de compte, le contribuable gagne mais l’épargnant perd. ”

L’euro va subsister, il est résilient et il l’a d’ailleurs démontré.” Bruno Colmant

Peut-être, ” mais il faut nuancer, embraye l’ex-Premier ministre, qui estime, au contraire, que l’austérité fut inévitable et indispensable face à la pression des marchés financiers. Entre-temps, ” tout un chemin a été parcouru. Nos déficits structurels s’élèvent en moyenne à 1 % dans la zone euro, la croissance est positive, etc. Petit détail aussi, on a sauvé la Grèce, on a sauvé l’Irlande, on a sauvé le Portugal, on a sauvé Chypre, on a aidé les Espagnols… Et depuis 2014, avec Jean-Claude Juncker, la politique budgétaire est neutre, ni expansive ni restrictive. ”

En fait, ajoute Herman Van Rompuy, ” le malaise actuel de la société européenne n’a rien à voir avec les problèmes de l’euro. Même en Grèce où le PIB a chuté de 25 %, trois quarts des citoyens ne veulent pas quitter la zone euro. Parce que sinon, c’est la chute libre ! Ceux qui voudraient quitter l’euro n’y parviendraient pas. La pression des marchés sur les taux d’intérêt serait telle qu’ils devraient y renoncer avant. D’ailleurs, le scénario d’une sortie de la zone euro n’est plus très populaire. Il ne faut pas oublier que ce que cherche un parti populiste, c’est d’être populaire. Dans la campagne présidentielle autrichienne par exemple, les candidats d’extrême droite n’ont plus mentionné le fait que l’Autriche devait sortir de la zone euro. Après le Brexit, beaucoup de choses ont changé. Les gens détestent l’instabilité. En fait, il n’y a qu’un seul pays où les populistes sont pour le moment au pouvoir, c’est aux Etats-Unis. Un pays où il n’y a pas d’euro. Ne confondons donc pas les problèmes de société actuels avec ceux propres à l’Union européenne, et plus globalement avec ceux des pays occidentaux. ”

6. Fenêtre d’opportunité

Tant pour Herman Van Rompuy que pour Bruno Colmant, la période qui s’ouvrira après les élections françaises et allemandes sera très importante pour l’avenir de l’euro. ” Si on rate cette window of opportunity, je serai très préoccupé “, lance le prédécesseur de Donald Tusk à la présidence européenne. ” Tous les éléments sont sur la table. Il faut simplement faire un choix parmi les pistes pour renforcer l’union budgétaire, l’union bancaire et l’union économique. Mais chaque mesure nécessite un transfert de souveraineté et davantage de solidarité. Si on continue de buter sur ces deux tabous, rien ne se passera. Pour reprendre une formule typiquement belge, nous avons besoin de cinq minutes de courage politique. ” La zone euro est-elle suffisamment robuste pour résister à une nouvelle crise ? Non, insiste Herman Van Rompuy. ” Le travail n’est pas fini, il faut faire davantage. J’attends beaucoup du moteur franco-allemand qui doit jouer un rôle important dans tout cela. ” Un terrain sur lequel Bruno Colmant abonde : ” Un duo Macron-Merkel ou Macron-Schulz, avec une vision centriste pro-européenne, peut tout à fait bouleverser les choses de manière positive. ”

7. Tout par ondulation, rien par choc

Après le Brexit et Trump, quel avenir pour l'euro ?
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Dans les changements à venir de la zone euro, Herman Van Rompuy ne voit pas la BCE changer sa politique monétaire du jour au lendemain. ” La sortie du QE se fera forcément de manière graduelle. Ce ne pas une sortie brutale, estime-t-il avant d’ajouter : ” Tout par ondulation, rien par choc. ” A son sens, l’impact sur les dettes sera lui aussi graduel. ” Il ne faut pas dramatiser. Pas mal de nos dettes sont des dettes à long terme. Mais il ne faut pas se leurrer non plus. La remontée des taux d’intérêt mettra sans aucun doute les finances publiques sous pression. Raison pour laquelle la politique de croissance est d’autant plus nécessaire. Le président Draghi le souligne d’ailleurs dans tous ses discours : la politique monétaire ne suffit pas. On sous-estime le renforcement de l’offre et le fait que la politique nationale joue un très grand rôle en matière d’emploi. Les réformes Hartz du gouvernement Schröder ont réduit le chômage de manière spectaculaire en Allemagne. Mais ce sont des mesures qui remontent à 2005 ! Même Angela Merkel n’a pas entrepris de mesures vraiment réformistes en matière d’emploi. On aurait dû profiter de ce ballon d’oxygène des taux d’intérêt extrêmement bas pour se lancer dans davantage de réformes. Le grand défi pour certains pays, dont l’Italie et la France, sera celui des réformes structurelles. ”

Contrairement à Herman Van Rompuy qui met davantage l’accent sur ces réformes structurelles, Bruno Colmant préconise par contre une politique monétaire différenciée. ” L’idéal serait que la BCE achète des obligations des Etats du Sud et qu’elle vende des obligations des Etats du Nord pour faire converger les taux d’intérêt de la zone euro, autrement dit qu’elle achète de la dette italienne pour vendre de la dette allemande. ”

Outre un objectif d’inflation supérieur à 2 %, il conviendrait également selon lui de définir des balises plus larges pour les objectifs de retour à l’équilibre budgétaire et d’appliquer ici aussi un traitement différencié en fonction des pays, ” cela dans la mesure où les réformes structurelles sont contingentes à une certaine vision idéologique qui peut ne pas être partagée par tous les pays “.

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